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bourg et de Brest accourus récemment dans Paris avec des sentiments hostiles dont ils avaient fait parade sur leur passage, des clubistes de province convoqués depuis quelques jours dans le grand centre insurrectionnel, on pouvait craindre, le 12 juin, que le lendemain ne fût une de ces journées funestes, fatales tout à la fois à l'ordre et à la liberté.

CHAPITRE XVII.

PARIS ET LYON, 13 ET 15 JUIN.

PARIS, 13 JUIN. Manifestation pacifique, groupes au Château-d'Eau, M. Lacrosse outragé, départ de la colonne, le poste Bonne-Nouvelle, attitude de la foule; le général Changarnier, la manifestation coupée, dispersion, attentats isolés; la Montagne et l'artillerie de la garde nationale, revue des forces insurrectionnelles, allocution de M. Guinard, marche sur le Conservatoire des Arts et Métiers; prise du poste, envahissement du Conservatoire, délibérations, on attend M. Forestier, arrestation de M. Suchet, proclamation; barricades, arrivée de la garde nationale, engagement, attaque par la troupe de ligne, fuite des artilleurs, dispersion des insurgés; mesures d'ensemble contre l'insurrection, attitude de la population parisienne, illusions des chefs du mouvement; permanence de l'Assemblée législative, l'état de siége, MM. Lagrange et Pierre Leroux, nobles paroles du général Cavaiguac; arrestations nombreuses, autorisations de poursuites.

Plan général d'insurrection, connexité des mouvements de la province avec la tentative de Paris, on attend des nouvelles de Paris, sourdes rumeurs; Reims, Toulouse, Bordeaux, Lille, Amiens, Mâcon, Dijon, Valence, Limoges, Strasbourg, Colmar.

LYON, 15 JUIN. Novelles mensongères, le Censeur de Lyon, agitation, rassemblements, bulletin de Paris; surprise de l'École vétérinaire, défection des élèves, les Voraces, état de siége; défection de quelques soldats du 17o léger; désarmement de deux autres postes; la Préfecture dégagée; attaque des Bernardines, intrépide défense, la troupe est fidèle, barricades à la Croix-Rousse; dispositions prises par le général Gémeau, attaque du plateau de la Croix-Rousse, belle conduite du 17° léger, prise successive des barricades, diversion du colouel O'Keiffe, les insurgés entre deux feux, dispersion, arrestations nombreuses.

Le 13 juin, vers neuf heures et demie du matin, des groupes commencèrent à se former aux environs du Château-d'Eau. La

foule augmenta bientôt rapidement. Beaucoup d'oisifs attirés par l'annonce d'une manifestation, un certain nombre de citoyens convaincus que la Constitution a été violée, les soldats ordinaires de tout désordre public, quel qu'en soit le prétexte, enfin les initiés moins nombreux, mais plus à craindre, tel était le personnel de cette multitude croissante. A onze heures, M. Lacrosse, ministre des Travaux publics, passant sur le boulevard, suivi d'une ordonnance, est reconnu et entouré. On veut le contraindre à crier Vive la République romaine! à bas le président! Il crie: Vive la République française! vive le président! On saisit la bride. de son cheval: un homme lui crie: « Vous venez voir si c'est une émeute; c'est une révolution: votre président et vous, vous irez à Vincennes. » Aux menaces succédèrent les violences, et ce n'est qu'à grand' peine, les habits déchirés, qu'avec le secours de M. Gent, ancien représentant de la gauche, que M. le ministre parvient à échapper à ces fureurs. A quelques pas de là, deux of ficiers d'état-major de la garde nationale sont assaillis et insultés.

Autour du Château-d'Eau, la colonne se forme, aux cris de: Vive la République romaine! vive la Constitution! vive Raspail! vive la Montagne! d bas les traîtres! Ces cris divers correspondent aux nuances diverses d'opinions et d'intentions réunies. M. Etienne Arago arrive en uniforme de chef de bataillon de la garde nationale; c'est lui qui organise et dirige la colonne. Tous ses efforts tendent à lui conserver une attitude pacifique.

Enfin, la colonne s'ébranle; 6,000 hommes, selon les uns, 20,000 selon les autres, s'échelonnent sur la chaussée du boulevard. Dans le trajet, quelques enfants perdus de la manifestation s'arrêtent devant le poste du boulevard Bonne-Nouvelle, et le somment de rendre ses armes. Le sergent Terré, du 18e léger, déconcerte par sa ferme contenance le groupe qui lui adresse cette sommation. Sur le passage de la colonne, la foule est nombreuse. Elle paraît plutôt curieuse qu'inquiète, et ne partage pas l'enthousiasme qui semble animer la protestation qui s'avance.

La tête de la manifestation venait de dépasser la rue de la Paix dans la direction de la Madeleine vers une heure, le général en chef Changarnier était arrivé dans cette rue, suivi d'une triple

colonne de gendarmes mobiles, de dragons et de chasseurs à pied. A peine la manifestation a-t-elle passé devant le général, que les troupes débouchent sur le boulevard, coupent en deux la manifestation faisant face à droite et à gauche à l'attroupement. Les sommations sont faites et les divers corps s'élancent. Des charges vigoureuses refoulent de la chaussée et de la contre-allée des boulevards la masse qui se reforme en fuyant par groupes compacts. Quelques exaltés se jetèrent à genoux devant les soldats, en criant: « Tirerez-vous sur vos frères! » La troupe ne tire pas, mais s'avance toujours, poussant en avant, sans violences, ceux qui lui font obstacle. Alors la manifestation se débande dans toutes les directions; des cris isolés: Aux armes! se font entendre; des pierres sont lancées sur la troupe. Au coin de la rue de la Chaussée-d'Antin, un coup de pistolet part, un chasseur est frappé d'un coup de poignard et blesse lui-même dangereusement l'agresseur. Quelques hommes cherchent à brûler la devanture d'un armurier, quelques tentatives de barricades sont essayées, des voitures sont renversées, des chaises accumulées, des pavés remués mais la rapidité des mouvements de la troupe déconcerte l'émeute naissante,

Dispersée sur les boulevards, la manifestation se répand dans. les rues, au cri de Vive la Constitution! Aux armes! Mais tous les éléments étrangers ont disparu le noyau seul est resté, singulièrement amoindri. Déjà les troupes ont fait halte à la Porte Saint-Denis, et l'émeute ne se fait plus reconnaître que par des désarmements de gardes nationaux isolés, et par quelques coups de feu tirés, sans résultat, sur l'état-major du général en chef, par des hommes postés dans la petite rue Notre-Dame-de-BonneNouvelle.

Cependant les représentants de la Montagne se réunissaient rue du Hasard, numéro 5, et l'artillerie de la garde nationale à son état-major, au Palais-National. On comptait sur l'assistance armée de l'artillerie tout entière, et ce corps, si distingué par son courage dans les journées de juin 1848, était l'espérance la plus avouée de la démocratie militante. La légion se composait de 12 à 1,500 hommes: 500 environ se trouvèrent au rendez-vous. Là, une sorte de revue fut passée. M. Ledru-Rollin et quelques

autres représentants y assistaient. Déjà, la nouvelle de la dispersion des pétitionnaires était arrivée, la maison de la rue du Hasard avait été évacuée et un rendez-vous nouveau indiqué au Conservatoire des Arts-et-Métiers. Malgré le contre-ordre expédié au colonel Guinard par l'état-major général, les artilleurs présents se forment en colonne. M. Guinard leur fait une allocution qui se termine par ces mots : «Que ceux qui partagent mes opinions me suivent, que les autres se retirent. » Quelques armes sont chargées et on part aux cris de Vive la République romaine! Vive la Constitution! Jurons de défendre la Montagne! Plusieurs représentants, entre autres MM. Ledru-Rollin, Boichot, Rattier, Gambon, marchent en tête de la colonne. Déjà une moitié des artilleurs a disparu des hommes en blouse se `joignent au cortège. De temps à autre, sur le chemin, le cri: Aux armes ! est proféré par les artilleurs. La population des rues parcourues ne répond pas à ces cris: elle est calme, étonnée, indignée.

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On arrive au Conservatoire. Ce n'était pas sans raison que ce local avait été choisi. Depuis le 29 janvier, c'était là, pour l'insurrection, le centre naturel de réunion et de défense. Les motifs de cette résolution s'expliquent par l'attitude prise, à cette époque, par le colonel de la 6e légion, et par l'idée erronée qu'on se faisait des dispositions de la légion tout entière.

Un poste de quinze voltigeurs du 1er léger était établi à l'entrée du Conservatoire dont la grille était ouverte. La colonne se présente devant ces hommes, et M. Rattier les somme de livrer leurs cartouches, en s'annonçant comme le représentant de l'armée. Le sergent s'y refuse, et le poste, trop peu nombreux pour s'opposer à une invasion, se retire dans une cour intérieure, mais sans rendre ses armes. M. Ledru-Rollin se présente au directeur du Conservatoire, M. Pouillet, et l'invite à mettre à sa disposition une des salles de l'établissement. Cette invitation équivalait à un ordre. Une partie des envahisseurs se forme en commission et délibère dans l'une des salles, tandis que l'autre organise un service de sentinelles à l'intérieur et à l'extérieur. Trois barricades sont commencées à l'intérieur, une quatrième s'élève dans la rue Saint-Martin.

Que fait-on dans la salle des filatures, où les représentants dé

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