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rales. La statistique des dernières élections avait constaté les résultats suivants. Après avoir été, au 23 avril, de 835 pour 100, au 10 décembre de 75 pour 100, le nombre des votants n'avait été, au 13 mai, que de 68 pour 100. Quelle était la cause de cette décroissance dans l'expression du suffrage universel? L'obligation pour les électeurs de voter loin de leur commune. Il fallait donc restituer au suffrage universel la plénitude et la sincérité de son exercice. Aussi, à la majorité de 418 voix contre 201, l'Assemblée décida qu'elle passerait à une seconde délibération sur une proposition de M. Fouquier d'Hérouel, tendant à modifier l'article 27 de la loi électorale. Cet article 27, dérogeant au principe du vote au chef-lieu de canton, posé dans l'article 25, fixait à quatre le maximum du nombre des circonscriptions électorales. autant que le comporteraient les nécessités locales, à la condition toutefois de ne point descendré au dessous du chiffre minimum de cinq cents habitants.

Il ne pouvait y avoir aucun doute sérieuxsur l'utilité pratique de cette modification. L'expérience des deux dernières élections faites sous l'empire du suffrage universel, prouvait surabondamment qu'il y avait encore insuffisance dans les facilités offertes à l'exercice du droit électoral. Que cette diminution si regrettable dans le chiffre des électeurs usant de leur droit de vote pût être en partie attribuée à l'apaisement des passions et aux progrès de l'indifférence politique; que la plupart des citoyens, et surtout les habitants de la campagne, eussent laissé s'éteindre en eux cette ardeur fièvreuse qui, aux premiers jours de la révolution de Février, les entraînait vers l'urne du scrutin comme vers un spectacle nouveau : assurément on ne pouvait le nier; mais, en ce cas, quel était le moyen le plus efficace de stimuler le zèle de l'électeur et d'obtenir qu'il reprît le chemin de l'urne électorale? C'était évidemment de la rapprocher de lui et de la mettre tout à fait à sa portée. Il y avait là, d'ailleurs, une question de justice et d'égalité; entre l'habitant de la ville et le paysan, les conditions ne sont pas égales, tant s'en faut; dans les villes, l'accomplissement du devoir électoral n'exige aucun effort, aucun sacrifice de temps ni d'argent; il n'en est pas de même dans les campagnes; là, l'électeur était souvent obligé, malgré la division du canton en

quatre circonscriptions, de subir un déplacement coûteux, de se transporter à des distances considérables. Il est vrai qu'un membre de la gauche prétendit que le chemin ne semblait pas long, quand on faisait le voyage en chantant la Marseillaise; mais peutêtre le paysan n'est-il pas si passionné pour les chansons patriotiques qu'il en oublie la perte de temps et les frais de voyage.

Un autre membre de la gauche, M. Savoye, objectait que, plus on se rapprochait de la commune, plus on excitait les mauvaises influences de clocher. Parmi ces mauvaises influences, l'orateur classait au premier rang l'abus du confessionnal! Mieux valait, sans doute, répondit-on, l'influence des meneurs du canton et du cabaret. Le seul argument de quelque valeur qui pût être invoqué contre la proposition, fut développé par M. Gavani, et, après lui, par M. le général Cavaignac. Cet argument consistait à dire que la proposition était inconstitutionnelle, en ce qu'elle détruisait le principe de l'élection cantonale et aboutissait indirectement au vote à la commune. Peut-être l'honorable général s'était-il mépris sur le véritable sens de la Constitution et sur les conséquences du projet.

Le rapporteur, M. Gaslonde, démontra que le chiffre de population exigé pour la formation des groupes électoraux était assez élevé pour qu'un grand nombre de communes ne pussent devenir chefs-lieux de circonscriptions, lors même que tous les conseils généraux épuiseraient la faculté que la loi proposée avait pour but de leur donner. M. Gaslonde fit également remarquer qu'en autorisant les circonscriptions sans déiimitation de nombre, et en exigeant seulement qu'elles fussent motivées par des circonstances locales, la Constitution avait voulu poser une exception extrêmement large, et la preuve, c'est que les membres de la commission de Constitution, M. Vivien entre autres, entendaient par ces mots de circonstances locales, non pas uniquement des impossibilités matérielles, mais de simples difficultés, des distances trop grandes, des hasards de répartition de la population. Le discours du général Cavaignac venait d'ailleurs trop tard; l'orateur se trompait de date, ce n'était pas à l'Assemblée législative qu'il convenait d'adresser le reproche d'inconstitutionnalité; c'était à la Constituante, au temps où elle décida

que tous les cantons pourraient être divisés en quatre circonscriptions; c'est, en effet, le décret rendu par la Constituante, à l'oc casion de l'élection présidentielle du 10 décembre, qui formait la dérogation la plus grave au principe de l'élection au chef-lieu de canton; c'est de ce jour-là que ce principe avait cessé d'être la règle pour devenir l'exception, car depuis lors, les trois quarts environ des électeurs n'avaient pas voté au chef-lieu. La Législative, en augmentant le nombre des circonscriptions, ne faisait que marcher dans la voie frayée par la Constituante.

M. le général Bedeau s'attira les applaudissements de la Montagne, en se ralliant à l'opinion de M. Cavaignac (5 décembre).

Les réfutations successives de MM. Lacaze, Gaslonde et Ferdinand Barrot eurent enfin le mérite de lever les scrupules de M. le général Bedeau qui renonça à son opposition. 442 voix contre 206 adoptèrent le projet pour la deuxième délibération; restait l'épreuve de la troisième. Cette dernière discussion, qui eut pour résultat l'adoption définitive du projet, ne fut remarquable que par l'attitude nouvelle d'un représentant de la Montagne, M. Miot. Cet orateur ayant accusé la majorité de n'avoir que de la haine pour les enfants du peuple et de pousser à la révolte en retirant le travail, le président dut le rappeler trois fois à l'ordre et lui infliger la censure. Il fallut aller jusqu'à lui interdire la parole et encore M. Miot s'apprêtait-il à résister au règlement, lorsque M. Dupin se couvrit. Alors seulement l'orateur révolté descendit de la tribune. Ce dernier scandale signala la dernière discussion politique de l'année.

CHAPITRE XXI.

DERNIER INVENTAIRE LÉGISLATIF.

QUESTIONS ADMINISTRATIVES. Coalitions industrielles; système de M. Morin (de la Drôme), rapport de M. de Vatimesni! sur la proposition Doutre, etc.; conséquences de la liberté absolue; rejet de l'amendement Morin; MM. Heurtier et Bastiat, répression et laisser-faire, l'Angleterre; M. Sainte-Beuve, les socialistes sans le savoir; amendement Wolowski et Valette, coalitions injustes et abusives, rejet ; amendement Chauffour, le jury, rejet ; MM. Boysset et Nadaud, exploitation de l'homme par l'homme, insuffisance des salaires ; les prud'hommes; autre amendement Wolowski, rejet; adoption du projet. — Proposition Miot modifiant l'article 474 du code pénal, rejet. — Projet modifiant l'article 472 du code d'instruction criminelle, relatif au mode d'exécu tion des arrêts rendus par contumace, adoptiou. Proposition BravardVeyrières sur les concordats amiables, adoption. — Proposition Morellet, etc., relative à la création de chambres industrielles, rejet. Caisses de retraite, sociétés de secours mutuels; intervention de l'État, rapport de M. Benoit d'Azy, retenues obligatoires ou versements facultatifs; c'est le socialisme, M. Pelletier et M. Raudot; projet nouveau du gouvernement, ajournement. Subvention aux associations, proposition Faure, etc., expérience à tenter; M. Nadaud, les parasites de l'industrie, l'infâme capital, rejet. Naturalisation et séjour des étrangers, proposition Vatimesnil et Lefebvre-Duruflé amendement Bourzat, souveraineté de l'Assemblée; droit électoral, amendement Mauguin, adoption; les droits acquis; vote d'adoption.

Questions financières. — Plan financier de M. Passy, plan nouveau M. A. Fould, budgets divers, création d'impôts; autre plan de M. L. Faucher; douzièmes provisoires; théories financières de la gauche, M. Huguenin, les recettes avant les dépenses, le milliard d'indemnité. Situation de la Banque de France, traité avec l'État, adoption; M. Benjamin Delessert, M. L. Faucher, interpellations, cours forcé, maximun d'émission; projet élevant le maximum, assignats el banqueroute, adoption. - Impôt des boissons, agitation politique, discussion, adoption, réserves faites, enquête.

Chemins de fer.— Ajournements, ligne de Paris à Marseille; sections de Châ

lons-sur-Saône à Lyon et de Tonnerre à Dijon, c'emande de crédits; compagnie nouvelle pour le chemin de Paris à Avignon, projet; Marseille à Avignon, projet de subvention et de garantir, a loption.

Dernier inventaire législatif.

Il reste, pour compléter la longue série des travaux législatifs, à indiquer les dernières études administratives et financières qui occupèrent l'attention de l'Assemblée. Parmi les projets de loi, les propositions, les discussions de nature si diverse et quelquefois si confuse, parmi les rapports souvent remarquables, parmi les votes définitifs ou provisoires, nous ne choisirons que ceux dont le sujet commande un intérêt véritable.

Questions administratives. Dans cette série se présente d'abord une importante proposition de MM. Doutre, Pelletier, Benoit (du Rhône), etc., tendant à modifier les articles 414, 415 et 416 du Code pénal, relatifs aux coalitions industrielles. Cette proposition fut discutée le 16 novembre. M. Morin (de la Drôme), présenta et développa un nouveau système, tendant à supprimer le délit de coalition, et à punir simplement d'un emprisonnement de six jours à trois mois et d'une amende de 16 fr. à 3,000 fr. : 1o ceux qui auraient opéré ou tenté d'opérer la hausse ou la baisse des salaires par des menaces violentes ou autres voies d'intimidation collectives ou individuelles; 20 ceux qui, par les mêmes moyens, auraient porté ou tenté de porter atteinte aux autres conditions du travail, ou en auraient causé le ralentissement ou la suspension dans les ateliers. Un troisième article portait que, dans les cas prévus par les deux articles précédents, les chefs ou

o'eurs seraient punis d'un an à trois ans de prison et pourraient, en outre, à l'expiration de leur peine, être placés sous la surveillance de la haute police pendant deux ans au moins et cinq ans au plus. C'était là un moyen terme entre le principe de la liberté absolue soutenu par M. Doutre et le principe de la répression qui formait la base du projet de la commission. Mais le rapporteur, M.de Vatimesnil, n'eut pas de peine à prouver que ce prétendu moyen terme n'aurait pour effet que d'assurer l'impunité aux coalitions, tout en diminuant les pénalités édictées par le Code pénal contre les au

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