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fois les Français! Car on a la cruelle expérience de l'excès de férocité que produisent, dans les troubles civils, l'ignorance et les inclinations contractées dans la servitude. On connoît la révolte de la Jacquerie, celle des paysans Valaques, celle des nègres de Saint-Domingue. J'avoue que les maux qui accablent la France depuis l'introduction du nouveau gouverne ment, en m'affligeant autant qu'aucun autre ne me causent point d'étonnement. Je serois bien plus disposé à être surpris de ce qu'ils ne sont pas plus multipliés encore, et j'attribue à l'influence des anciennes mœurs les obstacles qui ont rallenti les funestes effets de la constitution. Les seuls pays où ils se soient développés dans toute leur force, sont le Comtat venaissin et plusieurs de nos colonies. Malheureusement l'influence des anciennes mœurs diminue chaque jour, et la multitude perd de plus en plus le sentiment de la pitié.

Qu'on ne confonde point mon empressement à diminuer la honte du nom français, avec l'insensibilité de ces prétendus philosophes qui, comparant froidement les malheurs causés en d'autres contrées par les querelles politiques, s'écrient avec emphase, que la révolution française a coûté moins de sang que d'autres

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révolutions. On se feroit difficilement une idée bien exacte de tout le sang qu'elle a déja fait répandre, de tous les incendies, les dévastations, les crimes qu'elle a fait commettre. Le parti dominant ne laisse connoître que ce qu'il lui est impossible de cacher. D'ailleurs, on ne doit pas comparer des assasinats avec des actions de guerre. Une bataille perdue est un moindre malheur que la mort d'un seul citoyen massacré par la populace. Si, comme les antropophages, elle a tâché de prolonger ses tourmens, si la tête de la victime a été portée en triomphe, si des folliculaires font l'apologie des brigands, si des associations les encouragent, si, loin de les punir, les agens de l'autorité applaudissent à leurs attentats, ou les qualifient d'erreur excusable, quel remède apporter à la dégradation morale, à l'infamie mise à la place de l'honneur, et qu'espérer d'un peuple qui croit les assassinats légitimes, et confond la cruauté avec le courage?

Tout ce qu'on peut dire de plus favorable à la nation française, c'est que jamais il n'y eut uue contrée d'une telle étendue et d'une telle population, où les moyens de maintenir l'ordre ayent été aussi complètement anéantis, que jamais l'anarchie ne fut plus générale et

plus illimitée. La France entière est aujourd'hui dans la même situation où se trouvoit la ville. de Florence dans le quatorzième siècle, quand la populace y dominoit par le fer et le feu quand tous les nobles étoient dévoués aux plus cruelles persécutions, et qu'après les avoir dis-. persés ou complètement avilis, les gens de métier finirent par opprimer les gens de condition médiocre (1).

(1) Histoire de Florence par Machiavel.

CHAPITRE XXXVIII.

Que la majorité des citoyens actifs est mécon tente du nouveau gouvernement.

MALGRÉ le nombre immense de Français admis à l'exercice des droits politiques, il est impossible, en considérant les élections faites dans les diverses parties du royaume, de ne pas être convaincu que la majorité des citoyens actifs, sans vouloir retourner à l'ancien gouvernement, n'est pas satisfaite du nouveau.

Tous ceux qui s'intéressent au maintien de la constitution doivent être fort empressés de se rendre aux assemblées, et d'influer sur le choix de leurs magistrats. C'est par ce seul moyen qu'ils peuvent prévenir la destruction du régime qu'ils affectionnent. Abandonner les élections, c'est se montrer indifférent sur les caractères et les opinions des agens de l'autorité; c'est prouver qu'on ne redoute pas l'usage qu'ils peuvent en faire • et qu'on ne connoît pas une situation pire que celle où l'on se

trouve.

De l'intérêt si pressant qu'ont tous les par

tisans

tisans de la révolution à bien choisir leurs magistrats; il résulte qu'on ne peut regarder comme tels que ceux qui donnent leurs suffrages dans les élections, et l'on y voit à peine concourir, dans toute la France, la sixième partie des citoyens actifs.

Dans la capitale, on a compté quatre-vingtdix-sept mille citoyens actifs, et les assemblées d'élection les plus nombreuses, n'y excèdent pas dix mille votans. Il en est de même de la plupart des villes de province, où l'on trouve cent votans sur mille citoyens. Les clubs des amis de la constitution, connus sous le nom de jacobins, qui veulent compléter la répus blique par l'abolition de la royauté, dirigent toutes les nominations, obtiennent presque tous les emplois; ce qui prouve combien les zélés répu blicains dominent parmi ceux qui sont sincérement attachés aux principes constitutionnels.

Les mécontens, formant le plus grand nom bre, auroient donc pu s'emparer de toutes les places, s'ils se fussent rendus aux élections. Mais comment les blâmer de ne pas s'y rendre? Ils en sont éloignés par la haine du parjure; ils éprouvent une juste répugnance à renou. veler sans cesse le serment de maintenir une

Tome II.

M

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