Page images
PDF
EPUB

l'arbitre suprême des destinées de l'empire; pour être sourd aux cris des victimes dont on a préparé les tourmens, il faut être capable de se laisser enflammer de rage par les plus absurdes récits, de se laisser persuader que les nobles et les prêtres vouloient égorger tous les autres citoyens, ou les faire périr par la famine; qu'ils jetoient les grains dans la rivière, et qu'ils empoisonnoient les sources; ou bien il faut avoir, à force de sophismes et d'orgueil, étouffé dans son cœur tous les principes de l'équité, décorer du nom de philosophie l'égoïsme le plus féroce, être doué de l'audace et de l'insensibilité de Catilina et de ses compagnons.

Dans l'assemblée de 1789, on trouvoit peu 'd'hommes aussi insensés, aussi crédule que la plus vile populace; mais on y remarqua, dès les premiers jours, dans chacun des ordres, plusieurs caractères semblables à ceux des conjurés qui voulurent à Rome massacrer les sénateurs, incendier la ville, faire révolter les esclaves et s'emparer du suprême pouvoir. Ils n'étoient pas d'abord au nombre de cinquante; mais lorsqu'ils furent ligués avec la populace, quelques députés connus par leurs talens, trop foibles, trop dénués de courage, pour renoncer aux applaudissemens de la multitude, et se dévouer à

sa haine, après avoir essayé le rôle de défenseurs de la justice et de la modération, eurent la lâcheté de l'abandonner et de se joindre aux factieux. Cependant jamais on n'a pu compter plus de cent cinquante députés sincerement attachés aux décrets publiés sous le nom de l'assemblée nationale:

де

à

Si l'intérêt et la raison invitoient la plus grande partie des membres de l'assemblée à combattre les factieux, le sentiment de la terreur, plus puissant encore, les portoit à la soumission. Après la prise de la Bastille, on ne tarda pas reconnoître l'autorité qu'avoient acquise, dans l'assemblée, les favoris de la populace. Ils se déclarerent les apologistes de ses forfaits; ils empêcherent toutes les mesures propres à rétablir le bon ordre. Les listes de proscription contre plusieurs députés, leur avoient procuré cet avantage.

Dans les premiers jours du mois d'août, la majorité délibérant librement, puisqu'elle opinoit par scrutin, avoit nommé M. Thouret son président. Il s'étoit distingué par son zèle contre les factieux. Il dût la grande pluralité de suffrages dont il fut honoré, à l'estime des gens de bien. que lui avoit concilié sa conduite jusqu'à cette époque. On ne sauroit décrire la fureur, les

menaces auxquelles se livrerent les députés factieux au moment de sa nomination. On déclara qu'on feroit arriver à Versailles les brigands qui s'attroupoient au Palais-Royal, pour l'immoler lui et ceux qui l'avoient élu. M. Thouret obéi aux menaces, abandonna le poste qu'on lui avoit confié (1). Un grand nombre de ceux qui l'avoient choisi furent aussi prudens, et, par amour de la paix, laissèrent les factieux élire à leur gré, ou donnèrent même leurs voix à l'un des députés qu'ils avoient désignés.

Puisque M. Thouret avoit obtenu, par sa modération, la haine des factieux, et la pluralité absolue des suffrages pour la présidence, n'est-il pas évident que les ennemis des principes, don il étoit le défenseur, ne formoient pas la majorité ?

A Versailles, les résolutions étoient préparées dans un club comme elles le furent depuis à Paris. La terreur, une fois inspirée, subsistoit quelque temps, et lorsqu'on la voyoit s'affoiblir, on avoit soin de la ranimer par des attroupe

(1) On sait que M. Thouret, reconcilié avec ces terribles adversaires, a reçu plusieurs fois de leur reconnoissance, la présidence qu'ils ne Ini avoient pas parmis d'exercer dans le mois d'août 1789.

mens qui furent employés pour les délibérations les plus importantes. La populace fut soulevée pour l'abolition de la dixme, pour ôter au roi le droit négatif en matière de législation, pour usurper les propriétés du clergé, pour empêcher de déclarer la religion catholique religion de l'état, pour l'établissement des assignats, pour priver le roi du droit de paix et de guerre.

Les spectateurs placés dans les galeries, par leurs signes d'approbation ou leurs murmures, s'opposoient à la liberté des suffrages. Leurs ap plaudissemens, en faveur d'une proposition, devenoient une déclaration de guerre de la part de la multitude, contre tous ceux qui refusoient de l'adopter; des hommes courageux pouvoient seuls mépriser les menaces, les lettres anonymes, les listes de proscription. En résistant aux factieux, on exposoit, dans les provinces, sa famille à des outrages, ses propriétés à des dévastations. Plusieurs députés furent contraints de se prémunir contre tant de périls, par des certificats. qui attestoient leur patriotisme. Chaque jour augmentoit le nombre de ceux qu'on parvenoit à frapper dépouvante.

Dans le mois de septembre 1789, la majorité sembla s'indigner de sa foiblesse, et se rallia

pour la sanction royale ; c'est-à-dire, pour conserver au roi le droit de rejeter tous les projets de loi qu'il ne jugeroit pas à propos de consacrer. Les républicains regardèrent, avec raison, cette circonstance comme décisive, et jamais ils ne firent mouvoir plus d'intrigues. Les lettres de menaces, écrites au nom des attroupemens du Palais-Royal, dénoncèrent une coalition du clergé, de la noblesse et de cent trente membres des communes ; c'est-à-dire, qu'elles dénoncèrent la majorité elle-même, qui étoit encore plus considérable, car plus de trois cents membres des communes étoient déterminés à soutenir le droit négatif du monarque (1).

,

Quand les républicains furent parvenus à détruire la plus incontestable des prérogatives du trône la plus évidemment garantie par tous les mandats, quand ils eurent forcé jusqu'au ministère à se réunir avec eux pour exclure le roi de tout partage dans la souveraineté

(1) Le traité que plusieurs républicains me proposèrent de signer à cette époque, et dont j'ai parlé dans l'exposé des motifs de mon retour en Dauphiné, étoit une nouvelle preuve qu'ils n'avoient pas en leur faveur la pluralité des suffrages.

« PreviousContinue »