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éperdue avec soi-même et le reste du monde; mais ceci n'est que littérature, et tellement plus belle est la nue et naturelle réalité !

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Le vol des plus volumineuses cousines de Noctu est, je l'ai dit, lent, sage, méthodique; position du corps à part, car Roussette et Raton-volant nagent dans l'air presque verticalement, comme fait un chien dans l'eau, il ne diffère guère de celui d'un placide et balourd pigeon domestique regagnant sans hâte son pigeonnier vol à ailes battantes et ne battant guère plus de trois fois à la seconde. Le moteur qui anime la progression de Noctu tourne plus vite, il est plus poussé, - presque du double. Venant d'user d'une métaphore empruntée à l'argot de l'automobilisme, je n'hésite pas à poursuivre, par une comparaison du même acabit, qui aura l'humble mérite de me faire familièrement et rapidement entendre: Roussette évoque l'image d'une limousine de tout repos, bien stable, aux pneus jumelés, au moteur solide et relativement lent; Noctu est la rapide et fantaisiste voiturette de sport, dont le moteur « ronfle comme une toupie », mais qui, en vitesse, « décolle » un peu, risque le dérapage dans les virages, frêle comme elle l'est! et chez qui la fatigue et l'usure se font sentir vite.

En fait Noctu ne saurait voler plus de dix minutes sans être exténuée et éprouver le besoin de se reposer un instant, si fort que l'heure la presse et si peu que sa faim soit assouvie. Il suffit d'avoir repéré un de ces gîtes, rebord de toit, creux d'arbre, trou dans un mur, d'où ces bêtes, dès le printemps, sortent en général par couples, pour s'apercevoir que monsieur et madame reviennent toutes les dix minutes au logis. Pour gorger la nichée, me direz-vous? Non, ô naïfs qui assimilez la chauvesouris aux oiseaux!... Les petits ne sont pas nés et ils têtent... Mais, me direz-vous aussi, comment pouvez-vous affirmer que ce sont les mêmes chauvessouris qui reviennent toutes les dix minutes, à l'endroit par vous repéré? Je l'affirme parce qu'elles sont deux, parce que le mari de Noctu est résolument monogame, ainsi que je le montrerai plus loin; parce qu'un couple ne tolérerait pas à l'ordinaire un intrus ou une intruse

encore,

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dans le gîte

que...

élu par lui pour la saison des amours; parce

Mais il ne s'agit pour le moment que de spécifier le temps de vol que peut fournir Noctu: dix minutes au grand maximum. Du reste, c'est bien simple: la prochaine fois qu'une de sa race entrera dans votre salle à manger campagnarde, fermez portes et fenêtres, et vous n'attendrez guère avant qu'elle aille se suspendre au cadre d'un tableau ou dans un pli de rideau, si effrayée qu'elle soit de sa captivité pressentie; vous pourrez même aller la cueillir, comme un fruit à une basse branche: elle essaiera bien rarement de fuir, tant elle est lasse...

Méthode bien commode, on le voit, pour s'emparer de Noctu. Ai-je besoin de dire que je ne la soupçonnais point, le soir, où après tant de peines, je parvins à faire choir la bestiole, soyeuse et criarde, dans la poussière sur la route de Jolibeau?

(A suivre.)

CHARLES DERENNES.

APOLOGIE POUR L'IMPÉRIALISME

Nous ne nous dissimulons pas qu'à beaucoup de bons esprits, même parmi ceux que les dures leçons de la victoire amènent à se reviser chaque jour, il paraîtrait dangereux, ou, à tout le moins inopportun, de disserter sur l'Impérialisme français. Aussi bien n'est-ce pas d'une apologie qu'il s'agit ici; et dans une telle matière, si confuse et si délicate, notre Revue n'entend pas aujourd'hui proposer de doctrine.

Mais justement, il semble que, depuis la guerre, les formules, voire les mots, aient pris plus de pouvoir encore qu'auparavant. Ce mot d'Impérialisme est certainement de ceux qui ont fait et continuent à faire le plus de bien ou le plus de mal de par le monde. N'est-ce pas rendre service aux esprits sincères que préoccupe plus qu'autrefois la vérité politique, de chercher à débrouiller, à « mettre au point » cette notion essentielle?

En demandant, pour commencer, son opinion sur l'Impérialisme à notre collaborateur Jean Variot, qui n'est pas · seulement le romancier sobre, fort, lyrique des Hasards de la guerre et de l'Effigie de César, mais aussi le dialecticien de la Lettre à l'Anglais, et l'un des théoriciens les plus distingués des doctrines dites « de droite », nous avons pensé faire voir que, même pour un tel esprit, l'Impérialisme, du moins le nôtre, devait être beaucoup moins une doctrine de conquête qu'une doctrine de conservation.

Il va de soi qu'une partie de l'argumentation de M. Variot, probablement celle qui a trait à l'organisation des portes de sécurité et à la revision du traité, peut appeler des répliques vigoureuses, non seulement de la part des doctrinaires « de gauche », mais même de la part de certains

qui se proposent avant tout « l'intérêt bien entendu de la France ».

Nous serions heureux, en accueillant ces répliques, de contribuer à cette « mise au point » dont nous parlions en commençant. N. D. L. R.

I. Contre les mots.

Les quelques pages que voici me feront, sans aucun doute, un tort considérable: elles vont me compromettre gravement. Nous vivons dans un temps où « le monde entier part en guerre contre la raison » (pour prendre une fois de plus une expression du grand logicien Chesterton), « et déjà la tour vacille. » Les nombreuses réunions du Conseil ci-devant suprême nous ont donné le spectacle d'hommes d'une intelligence certainement remarquable, puisqu'ils sont appelés à conduire les nations, et qui font des efforts désespérés pour marcher sur leurs mains, tête en bas et pieds en l'air, ce qui me semble anormal. Je me demande très sérieusement s'il ne conviendrait pas de faire un appel très bien tourné au peuple français en faveur de la marche sur les pieds, marche qui est, jusqu'à preuve du contraire, le moyen le plus simple pour se rendre d'un point à un autre.

La guerre développe beaucoup de choses, et celle que nous avons vécue pendant quatre années a provoqué une très jolie recrudescence de ce qu'on est convenu d'appeler l'éloquence. C'est effrayant ce qu'on a pu être éloquent pendant qu'on se battait. Bossuet, Bourdaloue, Massillon ont du frémir dans l'empire des morts. Je ne passe jamais près de la Sorbonne sans entendre l'écho des phrases sublimes qui furent prononcées de 1914 à 1918 dans le grand amphithéâtre et puis-je oublier le discours hebdomadaire, et même bi-hebdomadaire, que prononçait alors M. Lloyd George pour nous envoyer l'assurance de sa considération très distinguée?

Nos modestes mitrailleuses, modèle Saint-Étienne,

et nos simples fusils, modèle Châtellerault, qui passent pour des instruments bruyants, n'arrivaient pas à couvrir le concert de tant de voix harmonieuses. C'était une grandiose symphonie. D'outre-Atlantique, d'outreManche, des voix nous parvenaient en ondes sonores, comme disent les critiques musicaux.

Le DROIT formait, dans ces temps héroïques, avec la JUSTICE et la CIVILISATION, une trinité au nom de laquelle il a été dit de bien belles choses. Et il y avait des mots honnis, des mots maudits : particulièrement militarisme et impérialisme. Ces deux substantifs joints faisaient admirablement, dits sur un certain ton, et on se voilait la face en les prononçant.

Jamais nous ne nous sommes tant répété qu'à cette époque cette phrase qui est peut-être la plus belle qu'ait dictée l'esprit français à un homme de sens : « Prends l'éloquence et tords-lui le cou. » Loin des Parlements, loin des Conférences de ministres interalliés, dans la boue jusqu'à mi-jambes, dans les gaz, dans les bombardements, dans ces nuits pluvieuses où il était si difficile d'allumer la fusée pour demander à l'artillerie un tir de barrage, dans la menace de la mort, dans la guerre, enfin, nous nous rappelions parfois des bribes de discours, lus dans quelque cantonnement de repos, discours qui nous avaient fait tordre de rire !...

Le monde a perdu le sens de la Vérité. Nos ennemis n'ont pas osé nous attaquer sous le prétexte qui était réellement le leur, et pendant la guerre ni nos parleurs, ni nos alliés n'ont osé dire franchement et simplement qu'il faut se défendre quand on est attaqué, reconquérir ce qu'on a perdu (voyez Monluc), sous peine de faillir à l'honneur national et de mourir ensuite. La Vérité fut remplacée par un jargon, une salade d'expressions destinées à ménager je ne sais qui et je ne sais quoi.

L'état alarmant de la France actuelle, victorieuse par son état-major et ses soldats, qui ont organisé en plus la victoire des autres, s'explique très simplement par Les phrases toutes faites que nos dirigeants ont acceptées en pleine guerre, le sourire aux lèvres. Nous n'avons pas

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