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créer dans nos futaies régulières, et qu'en tous cas on ne saurait mieux faire que d'imiter la nature.

Ces considérations ne sauraient résister à la moindre réflexion et à l'examen le plus rapide.

L'exploitation en taillis aussi, et plus que toute autre, est en dehors des procédés de la nature faut-il la rejeter pour cette raison? La gradation des âges dans une série de futaies, la constitution de massifs réguliers ne peuvent être que le fait de l'homme, c'est évident! Mais le champ de blé d'où nous tirons notre nourriture est aussi le résultat du travail humain : qui pourrait prétendre sérieusement que le laboureur a contrecarré l'action de la nature, par la raison que la nature inculte ne nous offre point de champ de blé?

Nous savons ce que devient la forêt entre les mains de plusieurs générations de sylviculteurs intelligents. Il s'agit bien de rechercher maintenant ce que pouvait être la forêt vierge autrefois, ou ce que redeviendraient nos forêts cultivées, si on les abandonnait à elles-mêmes! Pour ce qui est de craindre que la nature ne s'accommode plus de notre système de culture tendant à la formation de massifs réguliers, c'est une préoccupation étrange, mais à coup sûr elle est tardive, car l'expérience a prononcé sur ce point.

Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que les forestiers paraissent entraînés par un courant très prononcé vers l'adoption du jardinage. quand même, dans le traitement des forêts de montagne. C'est sans doute que les agents attendent de l'application de cette méthode un allègement de leurs travaux et surtout de leur responsabilité. Avec le jardinage, en effet, plus de repeuplements à attendre, et à suivre dans les coupes, plus de risques sur les suites des exploitations; une sécurité parfaite sur la conservation des massifs. Et si la nature des exploitations à entreprendre est mal déterminée, du moins pourra-t-on retirer de cette indétermination même le bénéfice d'une plus grande liberté d'allures.

Il nous reste à démontrer que les avantages que les agents désirent réaliser, ainsi que les améliorations auxquelles ils aspirent, sil égitimement du reste, se trouveront dans l'application de la méthode dite naturelle, quand on consentira à lui faire subir une seule modification, la substitution de la possibilité par contenance à la possibilité par volume.

IV

Quand il s'agit de forêts de faible étendue, on renonce à la méthode naturelle par la raison que cette faible étendue ne permet pas de baser la possibilité des coupes principales sur le volume et par suite d'assurer le rapport soutenu, c'est du moins la seule raison nette et hautement avouée qu'on en donne, car le seul inconvénient des coupes prin

cipales assises par contenance serait justement, à ce que l'on prétend, de sacrifier cette condition du rapport soutenu.

Mais voyons par un examen attentif ce que valent en réalité les précautions prises actuellement pour assurer ce rapport soutenu; cherchons à vérifier si le but qu'on se propose est atteint, s'il peut l'être, ou si, par hasard, cette condition du rapport soutenu ne serait point simplement une illusion dans les circonstances qui nous occupent.

Le rapport soutenu en argent, bien plus que le rapport soutenu en matière, importe aux administrations municipales dans toutes les forêts où les coupes se vendent. Or, quand la possibilité doit être basée sur le volume, et qu'on procède au comptage des bois à exploiter dans la première affectation, on confond dans ce comptage des bois d'une valeur très différente, savoir les bois de feu et les bois propres au service ou à l'industrie. En montagne les bois de feu valent 2 francs le mètre cube sur pied dans les contrées les plus favorisées, tandis que le bois de service et d'industrie atteint ou dépasse assez fréquemment le prix de 20 francs le mètre cube. Or les coupes annuelles peuvent comprendre successivement des quantités relatives de bois de feu et de bois de service très variables.

On pourrait, il est vrai, lever cette difficulté en n'évaluant dans le comptage que le volume des bois propres au service; mais il faudrait pour cela renoncer à donner le volume réel pour base à la possibilité et y substituer un volume, que des agents différents apprécieront différemment, que même les changements des usages ou des besoins de l'industrie pourront faire varier incessamment, car tels arbres impropres au service jusqu'à présent peuvent le devenir par suite de débouchés nouveaux, ou inversement. Comment pourrait-on établir des tarifs qui rendissent les résultats du cubage des coupes comparables avec ceux du comptage fait lors de l'aménagement?

Il y a plus dans les situations très diverses qu'occupe une forêt en terrain escarpé et sur un même versant, suivant l'altitude, les bois ont, en raison de leurs qualités diverses et des facilités de la vidange très variables, une valeur sur pied qui peut varier dans des limites très étendues, du simple au double, au triple et plus encore.

Comment est-il possible d'espérer arriver à un rapport soutenu en argent avec de pareilles conditions?

Mais n'y a-t-il pas d'autres circonstances encore qui empêchent d'arriver au rapport soutenu en argent ?

Les règlements administratifs et les prescriptions du cahier des charges des ventes défendent de mettre en vente avant une année les coupes invendues d'un exercice. L'utilité incontestable de cette disposition au point de vue des intérêts pécuniaires des communes propriétaires ne contredit-elle pas la prétendue nécessité du rapport annuel soutenu?

Ainsi le rapport soutenu en argent n'est pas obtenu actuellement et ne peut l'être par l'adoption de la possibilité par volume. Nous allons chercher enfin si cette condition est véritablement exigée des communes propriétaires.

Quand il s'agit de forêts de faible contenance, et ce sont celles qui nous intéressent le plus ici, les communes se contentent généralement de demander de temps à autre des coupes extraordinaires, et sont disposées à ne considérer la forêt tout entière que comme une sorte de réserve, destinée à fournir des ressources dans quelques circonstances extraordinaires. Bien peu de communes compteront sur les produits forestiers pour équilibrer leur budget annuel, à moins que la forêt ne soit vaste et importante, ce qui est rare, nous le répétons, dans les Alpes. Et puis on sait que l'égalisation des produits en argent n'est pas obtenue et ne peut l'être dans le taillis où des coupes de contenances égales se vendent des prix inégaux.

Pourquoi serait-on plus exigeant dans les futaies?

Il est bien facile de voir qu'il n'y a dans cette question du rapport soutenu qu'une seule considération sérieuse, savoir l'égalisation des produits dans les diverses périodes, ou mieux la garantie que ces produits ne diminueront pas d'une période à la suivante. Mais en ce qui concerne la répartition des produits de l'affectation en tour de régénération dans les années de la période, elle n'a qu'une importance bien secondaire quand on peut déterminer, comme nous pouvons toujours le faire, même avec l'application des coupes par contenance, le volume des bois exploitables pendant la période, et par conséquent leur valeur et le produit annuel moyen durant cette période.

Nous savons encore qu'on va nous objecter: Si vous faites aussi bon marché du rapport soutenu, ce n'était pas la peine d'abandonner la possibilité par volume, sous prétexte que dans les petites forêts elle est applicable car elle devient applicable justement si l'on ne veut considérer que le volume annuel moyen, si l'on veut (et que l'on puisse) réduire, supprimer même au besoin la coupe annuelle quand les conditions de la régénération ne permettent pas de l'asseoir.

La réponse est facile :

Avec les coupes par contenance, la coupe annuelle, forcément comprise dans les limites d'une surface déterminée à l'avance, comprendra un volume variable de bois; mais l'opération telle que les agents jugeront à propos de la faire sera facilement vérifiée et acceptée par la commune: dans tous les cas la discussion avec les représentants de la commune sera facile, car cette discussion aura pour base l'examen d'un peuplement restreint.

Au contraire, avec les coupes par volume, quel sera l'agent qui osera tenir sérieusement au maire ou aux administrateurs de la commune le langage suivant ou à peu près:

J'ai parcouru toute l'affectation en tour de régénération, je l'ai bien examinée, mais j'ai constaté qu'il est impossible cette année d'y couper un seul arbre. Les besoins de la régénération s'y opposent, etc., etc.; ainsi nous vous demandons de renoncer à la coupe de l'exercice courant?

Inutile d'insister sur le succès qu'aurait une pareille motion, surtout si elle se renouvelait plusieurs années de suite.

Examinons maintenant s'il est possible de se dérober à la condition du rapport soutenu en matière dans les cas où les produits de la futaie sont délivrés en nature.

Il arrive, en effet dans certaines régions, et notamment dans toutes les vallées reculées des Alpes, que les bois de service que produit la forêt ne sont jamais vendus, mais qu'ils sont annuellement délivrés aux habitants et partagés par feux, comme l'affouage: ces bois servent à l'entretien et aux réparations de bâtiments, et les habitants n'ont souvent aucune autre ressource pour y pourvoir, vu l'absence de forêts particulières et l'impossibilité de se procurer des bois de construction par la voie du commerce.

Ne peut-on pas penser qu'il serait fâcheux de ne pas apporter une certaine régularité dans le service de ces délivrances? Ne serait-il pas difficile dans la pratique de faire accepter aux communes une coupe insignifiante, une année ou plusieurs années consécutives, pour leur délivrer ensuite tout à coup une coupe qui se trouverait par hasard considérable, mais par laquelle les intéressés ne se regarderaient pas néanmoins comme véritablement compensés ?

Nous ne craignons pas de répondre que ce serait là simplement une habitude à laisser prendre aux habitants. Et, en effet, les besoins en bois de service des habitants d'une commune diffèrent complètement des besoins en bois de feu : évidemment le rapport soutenu des coupes affouagères est une condition nécessaire, puisque les besoins en bois de chauffage des habitants sont identiques chaque année (on sait cependant combien en pratique il est difficile déjà de servir des affouages. égaux).

Quant au bois de service, on sent qu'il est sans utilité d'en délivrer chaque année une même quantité à chaque ménage. Car les réparations des maisons et bâtiments divers ont un caractère accidentel et se présentent très irrégulièrement. Sans doute il se produit des compensations entre les besoins des divers ménages d'une commune, et il arrivera que les habitants qui sont actuellement dans la nécessité de réparer leurs bâtiments ou d'en construire de neufs achèteront les lots des habitants hors d'état d'utiliser les bois à eux échus en partage.

Mais il n'en reste pas moins évident que rarement, et sauf le cas d'incendie par exemple, les besoins en bois de construction sont urgents. L'habitant qui a des constructions à faire ou à réparer peut ordinairement retarder ces travaux d'un an ou deux. Donc le rapport soutenu

d'année en année, dans la délivrance des coupes de bois de service, n'est pas indispensable.

Du reste, il ne faut pas l'oublier, dans le cas, si fréquent en montagne, de la destruction d'un groupe de maisons et souvent d'un village entier par un incendie, la coupe ordinaire ne suffira jamais, et il faudra recourir à des exploitations extraordinaires à prendre dans les zones de réserve, ou dans la réserve mobile de la possibilité, ou enfin à demander à des anticipations sur les coupes (que ces coupes soient assises par volume ou par contenance) si l'on ne peut trouver ailleurs les ressources indispensables.

Nous arrivons enfin à l'exposé de la méthode que nous proposons. (A suivre.) GUINIER.

LA MALADIE DES CHATAIGNIERS1.

Pendant un séjour dans les Cévennes, j'ai fait sur la maladie des châtaigniers quelques observations que je crois devoir communiquer à l'Académie. Mon maître et ami M. Planchon a donné les caractères de cette maladie (séance du 22 octobre 1878) (2); je n'y reviendrai pas. J'ai surtout examiné les points d'attaque habituels des parasites, c'est-à-dire les feuilles et les racines de l'arbre malade. En septembre, les feuilles présentaient en abondance le septoria castaneæ, Lev., leur hôte habituel au moment de leur chute; mais l'apparition un peu hâtive de ce champignon ne pouvait alors (nuire à l'arbre. Les racines sont les organes sérieusement atteints, et parfois au point de rappeler la destruction des pommes de terre par le peronospora. Sur les fibrilles radicellaires de quelques arbres j'ai vu, mais rarement, un mycélium blanc, hyménoïde, d'un aspect analogue à celui qu'a décrit M. Planchon en l'attribuant à un rhizoctonia; l'étude micrographique ne m'a pas permis de constater un lien direct entre sa présence et la destruction très manifeste du tissu des racines. Tout accolé qu'il soit contre ces organes, il ne les pénètre pas et ne semble pas jouer ici un rôle plus actif que les mycéliums, connus sous le nom d'himantia, qui dessinent sur les feuilles mortes d'élégantes figures dendroïdes.

Les racines que j'ai examinées, depuis les plus fines divisions du chevelu jusqu'à celles qui ont la grosseur d'une plume d'oie, peuvent,

(1) Note présentée par M. Duchartre à l'Académie des sciences dans la séance du 6 janvier 1879.

(2) Voir Revue des eaux et forêts, décembre 1878, p. 554.

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