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lieu qu'on les achète plus du double dans les grandes boutiques; quoique je ne veuille pas être garant qu'à Paris on ne porte à vendre dans cette occasion aussi beaucoup de choses qui n'appartiennent pas toujours aux vendeurs. Mais l'on ne s'en met ici pas fort en peine. L'on se chargerait de bien de la besogne, quand on voudrait s'informer auparavant de toutes ces circonstances.

DE LA CONSERVATION DE LA SANTÉ A PARIS.

La santé est le plus précieux des biens de l'homme, par conséquent il doit faire tout son possible pour la conserver. Beaucoup de personnes, douées d'un tempérament très robuste, se droguent constamment soit par habitude, soit pour prévenir le mal: ces gens ne doivent donc pas être étonnés lorsque, obligés de prendre un médicament, celui-ci ne produit pas l'effet attendu. Les pilules de Francfort, l'élixir de propriété, le sel volatil de corne de cerf et autres remèdes de ce genre sont excellents, mais leur action s'affaiblit quand on en abuse. Il ne faut se droguer que lorsqu'on ne peut faire autrement. Les médicaments usent les forces et la santé, et lorsqu'on a pris l'habitude d'en prendre, on ne saurait plus s'en passer.

La santé peut être compromise, tantôt par la faute du malade, tantôt par accident. Ceux qui, en Suède, ont l'habitude de se chauffer avec du bois de bouleau ou d'aune brûlant dans une cheminée, souffriront en Hollande et en Angleterre du chauffage à la tourbe et à la houille. Un Italien ou un Français, dont la nourriture est soignée et délicate, supporte difficilement le régime alimentaire de la bière et des viandes salées et grossières qu'il trouve dans la basse Allemagne, la Suède et le Danemark. Nombre d'Européens reviennent souvent bien malades des Indes; ils ont doublé la ligne et perdu la tramontane : peu d'entre eux tolèrent facilement ce changement de climat. La jeunesse aime

ordinairement le plaisir, la conversation avec les dames; d'autres ne trouvent de jouissances que dans l'abus des boissons; d'autres encore jouent avec leur santé de mille manières : eux seuls sont coupables s'ils sont affaiblis avant l'âge.

De cela je conclus que si la santé peut être altérée n'importe où, elle peut l'être surtout à Paris et de quatre façons par suite du mauvais air; par la nourriture; par l'excès dans les plaisirs; par divers accidents impossibles à prévoir et à éviter. L'on croit que Paris est une ville où la température reste toujours à peu près la même, c'est une erreur. J'ai vu quelquefois pleuvoir le matin, faire beau dans la première partie de l'après-midi; puis tout à coup, il neigeait, un orage succédait à la neige et durait à peu près une heure, et la journée se terminait par un très beau soleil. Souvent il fait froid le matin, chaud le soir, parfois c'est l'inverse qui se produit. Il arrive que, tandis qu'on se promène par un très beau temps aux Tuileries ou au Luxembourg, on soit surpris par une bourrasque ou par une grosse pluie : on est alors obligé de s'enfuir pour se mettre à l'abri. A Paris le temps est souvent désagréable, surtout en hiver on a alors des brouillards, des pluies, du froid, on passe des mois entiers sans voir le soleil. Il ne faut pas être surpris si l'humeur des Français se ressent de cette variabilité de climat, et si les dames tiennent souvent le manchon d'une main et l'éventail de l'autre. Il ne faut pas s'étonner non plus si les gens d'une constitution délicate et peu accoutumés à un tel climat sont exposés à être malades. On doit donc, surtout lorsque l'on vient à Paris dans l'arrière-saison, prendre de grandes précautions. Qu'on évite autant que possible de sortir par le brouillard. Si l'on est absolument obligé de sortir, que l'on prenne un carrosse dont on fermera les portières avec grand soin. Que pour se préserver des maux de cœur, l'on mâche un peu de zeste d'orange ou de citron, qu'enfin on reste dehors aussi peu que possible.

Pour vivre, il faut manger et boire, mais sans excès.

Les estomacs étrangers ne sont pas faits pour se nourrir à la française. Les Français ne boivent pas de bière pendant leur repas, comme les Hollandais, les Anglais et les Allemands; ils prennent de l'eau rougie ou de l'eau pure. Il est vrai qu'on peut trouver de la bière à Paris: il s'y en fabrique même, et on en importe d'Angleterre. Mais la bière faite à Paris n'est pas saine, le houblon est souvent remplacé par des herbes amères ou par du fiel de bœuf (1). Quant à la bière qui vient d'Angleterre, elle n'est bonne que pour ceux qui veulent s'enivrer. Mais le bon vin remplace avantageusement la bière.

On emploie le plus communément pendant les repas les vins d'Orléans et ceux des environs de Paris tels qu'Argenteuil, Saint-Cloud, Suresnes, etc.: ce dernier, assez aigre, ne convient guère qu'aux gens du commun. Le véritable vin d'Orléans est bon, mais les cabaretiers le mélangent souvent avec le vin des environs de Paris; c'est le vin ainsi baptisé que l'on boit en mangeant, additionné d'une certaine quantité d'eau. Les vins de Bourgogne et de Champagne ne se prennent guère que purs, au milieu du repas ou au dessert; ils se boivent aussi le soir, lorsqu'on veut se réjouir avec un ami. Les véritables vins de Bourgogne et de Champagne ne font jamais de mal, lors même qu'on en boit un peu plus qu'on ne devrait. Je n'en dirais pas autant des vins étrangers, du vin de Saint-Laurent, du vin d'Espagne, du vin de Canarie et d'autres; ils sont très forts en alcool, et leur abus peut être la cause de maladies graves.

L'eau dont on se sert vient de la Seine ou du jardin du Luxembourg. La Seine traverse Paris : quoique très grosse et très large, elle est insuffisante pour approvisionner toute la ville. De nombreux conduits distribuent l'eau de la Seine dans différents quartiers de la ville, ce qui n'empêche pas les porteurs d'eau de la vendre par seaux toute la journée. L'eau de Seine

(1) On fabrique aux Gobelins une bière qui est meilleure; elle est même très agréable en été pour se rafraîchir.

s'emploie pour tous usages on la boit, on la brasse, on s'en sert pour cuire les viandes, etc., et lorsqu'on a l'habitude d'en user, on la croit saine. Cependant elle donne souvent aux étrangers des maux de ventre, et, selon l'expression des Français, on lui paie tribut. D'ailleurs, si elle est quelquefois claire, elle est souvent trouble et limoneuse, de sorte que, pour peu qu'on soit un peu délicat, on n'en veut pas boire. L'eau du Luxembourg, que l'on nomme aussi eau d'Arcueil, de son lieu d'origine, est beaucoup plus claire et plus pure. La plus grande partie du faubourg Saint-Germain se sert de cette eau : on l'y porte dans des seaux, dont chacun se vend un sou.

Ceux qui se nourrissent habituellement de viandes grossières ne trouveront pas leur compte à Paris : on n'y mange ni jambons (1), ni andouilles, ni chair salée ou fumée, ni choux salés, ni pain de seigle et autres choses semblables. Les Français n'aiment pas ces sortes de mets. Leur pain est blanc, et toutes leurs viandes sont fraîches. Les amateurs de viandes épicées seront étonnés de voir servir les viandes au naturel, et offrir à part une sauce quelquefois sans assaisonnement. Les Français repoussent les épiceries du Levant, bien qu'ils reconnaissent leur valeur comme condiments; mais ils sont les délices des Italiens et des Espagnols, et cela suffit pour les faire repousser des Français, qui n'aiment pas à imiter les étrangers. Ils savent bien, lorsqu'ils s'en donnent la peine, préparer des assaisonnements aussi appétissants et aussi bons que nous autres, car leurs fricassées et leurs ragoûts sont excellents, et ils rôtissent très bien la viande (2). Néanmoins les Anglais leur sont supérieurs sur ce point : leurs rôtis de bœuf et de mouton, quoique souvent très saignants, n'en sont pas moins très tendres et très bien cuits. On dit qu'en France la viande est beaucoup plus

(1) Les personnes de condition ont quelquefois sur leur table des tranches de jambon de Mayence ou de jambon de Bayonne, mais elles en mangent peu, y goûtent à peine.

(2) Je veux dire les rôtisseurs, car dans les hôtels, on ne soigne guère les rôtis.

succulente que partout ailleurs, elle est donc saignante, et les personnes sanguines doivent en manger fort peu.

Pour moi, là n'est pas le danger, il est dans l'excès en matière de boisson. Le vin de Champagne et, à un degré un peu moindre, le vin de Bourgogne échauffent beaucoup le sang. Prenez donc très peu de ces vins, juste ce qu'il faut pour vous mettre en gaieté; des autres, buvez autant que vous le voudrez pendant vos repas, ayant soin cependant de les additionner d'une légère quantité d'eau. Les personnes d'un tempérament sanguin boiront plus d'eau que de vin, celles qui sont lymphatiques prendront, au contraire, plus de vin que d'eau. Lorsqu'on n'est pas très éloigné du Luxembourg, que l'on aille de préférence y chercher son eau, elle est meilleure que l'eau de la Seine. Mais surtout que l'on ne boive pas trop de vin pur, des excès de cette sorte peuvent avoir les pires conséquences : les gens sanguins courent le risque de contracter des diarrhées très violentes ou même la fièvre chaude; les personnes lymphatiques peuvent avoir, après une légère diarrhée, la gale, ou un mouvement d'humeur qui leur couvre le corps de pustules et le visage de boutons. On attribue ces effets à l'usage des eaux de la Seine. Je ne sais ce qu'il en est, je me suis toujours servi de l'eau du Luxembourg ou de celle d'Arcueil, et je m'en suis très bien trouvé. Lorsque j'ai commencé à user de cette eau, j'avais déjà pris des bains chauds, et je me suis aussi bien porté après qu'auparavant. A présent même, où je suis à Paris pour la seconde fois, je ne bois d'autre eau que celle du Luxembourg, et j'en suis très satisfait. Quelques personnes prétendent pourtant que cette eau est lourde et indigeste.

Il faut encore, pour conserver sa santé, éviter de manger trop de fruits. Nous autres Allemands, nous n'avons chez nous ni melons, ni pêches, ni abricots, ni raisins en si grande quantité ni aussi bons qu'en France. Ces choses sont tentantes pour un étranger, et il en mange généralement avec excès. Il ne tarde pas, d'ailleurs, à se repentir de sa gourmandise, mais quelque

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