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chacha, -son fils naturel, ou qu'il le désignait pour l'empire. Quoi qu'il en soit, Ménélick réunit tous les suffrages, et il fut reconnu et sacré solennellement empereur d'Éthiopie, le 4 novembre 1889. Le Ras Mangascia essaya de se faire sacrer de son côté et tint la campagne. Mais il fut battu et s'estima heureux d'obtenir son pardon par une soumission complète. Ménélick ne lui fit pas de dures conditions. Mangascia reçut l'investiture du Tigré pour y exercer la viceroyauté, sa vie durant. On sait qu'il devint un des meilleurs lieutenants de l'Empereur et qu'il battit les Italiens en plus d'un combat. Aussi ces derniers lui ont-ils taillé une belle réputation de perfidie.

MAURICE MAINDRON.

(La fin à la prochaine livraison.)

PROPOS D'ORIENT

Cettinje, 21 mars 1897.

M. Hanotaux peut se flatter d'avoir fait sensation, hier, dans la capitale du Montenegro.

Vers onze heures, aux abords de la berline vieux rose qui apporte quotidiennement le courrier, en présence du cercle accoutumé des Albanais coiffés d'un pain de sucre, des perianiks flâneurs et des marmots accroupis autour de la fontaine, un des membres du corps diplomatique, le doigt sur un journal fraîchement arrivé, montrait un passage sensationnel au plus perspicace de ses collègues. Sur un signe de ce dernier, d'autres collègues encore, qui déambulaient, suivant l'habitude, le long de la chaussée rurale, entre deux lignes de boutiques basses, ont pressé le pas. On a vu s'approcher successivement l'Autrichien », le « Russe », le « Bulgare », comme on les appelle ici; enfin le « Turc » et le « Grec », qui naturellement se donnaient le

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car c'est aussi

bras. Un remous d'ombrelles claires, l'heure des élégantes; des appels énergiques à Dick et à Jack, car les batailles de petits chiens frisés ont déjà failli entraîner des complications internationales, et la légation d'une très grande Puissance n'a pu dernièrement se tirer d'affaire que par la cession d'un chat d'Anatolie authentique. Un peu plus loin, le scintille

ment des revolvers de quelques hauts fonctionnaires monténégrins, qui roulent des cigarettes en sortant des ministères de l'instruction publique et de l'intérieur. Peu à peu, à petit bruit, mines réservées, oreilles aux écoutes, un congrès européen se rassemble, pendant que le cocher de la berline en partance pour Cattaro appelle les voyageurs, en soufflant dans son petit

cor.

Renseignements pris, c'est le mot « conflagration générale », enchâssé dans la harangue de M. Hanotaux au Luxembourg, qui a causé cet attroupement. Le mot seul, bien entendu, car on sait que M. Hanotaux éloigne le spectre de la chose et qu'il a parlé dans ce dessein. Néanmoins, on se regarde, on toussaille... Il faut vous dire que, dans ce coin de montagne, le plus belliqueux de la Péninsule balkanique, où aboutissent une foule de petits fils ténus et soigneusement dissimulés, où l'on a connu, entre parenthèses, la noyade du Vardar deux jours avant le reste de l'Eules consciences sont lisses et muettes comme la rope, nappe de neige qui pend du Lovcen. Il est entendu, admis, par tout le « gratin » administratif, social et international, que la question d'Orient n'existe pas, tout le moins qu'il faut éviter d'en prononcer le nom, comme jadis on faisait de celui des fées en Écosse. N'en demandez point de nouvelles à ce diplomate qui part à bicyclette pour pêcher à la ligne dans le lac de Scutari, ni à l'un de ces guerriers, qui ne se débottent ni ne se désarment jamais, fût-ce devant l'acajou de leur petit bureau ministériel; moins encore au ministre même de la guerre, qui surveille benoîtement, depuis quelques jours, une plantation de graminées devant le palais du prince Danilo... — Chez ceux-là surtout, la réserve est innée, souriante. Ils sont naturellement palissadés contre l'interview. A la limite extrême des confidences, pendant les parties de « pré

à

férence » russe, arrosées de rakia, vous entendrez parler situation tendue, question un peu délicate... Mais conflagration!... Hé! monsieur Hanotaux, que voilà bien un mot banni des cercles officieux, et les Français seront-ils donc toujours des enfants terribles? C'est cela pour que je vous dis qu'il y eut mouvement autour de la berline rose, et que le « Grec » tira le « Bulgare » par la manche, ce que le « Turc » ne manqua pas de remarquer.

Dans le fond, la raison pour laquelle on économise plus les termes à Cettinje qu'à Paris est peut-être qu'on y connaît mieux les choses, j'entends certains facteurs de «< conflagration » dont la subtilité échappe aux chancelleries. On y doute, en tout cas, et le plus philosophiquement du monde, de tout ce qui sert ailleurs, et singulièrement en France, à lénifier cette bonne, cette excellente opinion publique. Concert européen, intégrité de l'empire ottoman, application des réformes, autant de vieilles lunes qu'on est accoutumé, depuis un siècle, à suivre dans leurs différents quartiers. Pour ce qui est, en particulier, des « choses grecques », on n'est pas tout à fait convaincu que le blocus et l'action de la Sextuple alliance les empêchent de dégénérer en « choses » macédoniennes, turques, slaves et même européennes. J'en cause quelquefois avec un ancien consul général à la Canée et à Constantinople, qui n'est pas non plus sans nouvelles d'Athènes, et déverrouille assez volontiers sa langue, à bonne distance de la capitale, en botanisant sur les pentes de l'OrlovKerch. J'essaye de résumer nos entretiens :

« Toute cette Orientale-là, mon cher monsieur, se pourrait intituler comme une des pièces du Théâtre en liberté (du même auteur): Mangeront-ils? - Parfaitement; l'harmonie des Puissances entre elles et des gouvernements avec les parlements est subordonnée au point de savoir si les insurgés de Crète trouveront

à manger pendant six mois. N'attendez rien de leur « sagesse ». En les traitant de la sorte, vous en avez fait des anarchistes de plein air. Ils n'obéiront pas même au roi Georges. Ils sont cinquante mille, bien armés, retranchés dans la montagne, avec des munitions pour un an et des vivres pour plusieurs semaines : entendez des vivres dont seuls ces gens-là peuvent se contenter. J'ai assisté à l'insurrection de 1878: certaines bandes, pendant quinze jours, ne se sont nourries que d'oranges. Ils ont à présent quelques bestiaux qu'ils abattront, naturellement, jusqu'au dernier. Ce qui leur manque, c'est le sel. Faute de sel, l'année dont je vous parle, j'en ai vu mourir un grand nombre de la dysenterie. Un de vos compatriotes était parvenu à leur en procurer un peu. Je m'en souviens: il s'appelait M. Icard. Il avait établi un petit moulin à Platania et faisait venir sel et farine, sous la protection du pavillon français. Aujourd'hui, vous nous bloquez, comme tout le monde, mais soyez sûr rection a été mieux préparée que dans ce temps-là. « S'ils mangent, d'ici la fin de l'été, ce n'est pas dix ou douze, mais au moins cinquante mille hommes qu'il faudra pour passer à ce que les chancelleries appellent la coercition ». Dès les premiers engagements, l'Europe sera acculée à ce dilemme retirer ses troupes ou les renforcer, dans la proportion du double, puis du triple, et peut-être du quadruple. Vous savez d'expérience, en France, l'effet que produisent sur l'opinion ces expéditions par petits paquets. Observez qu'ici les petits paquets sont internationaux. Il en faudra régler le volume, le mode d'envoi et aussi le mode d'emploi par notes successives, concertantes, entre chancelleries dont chacune semble bien avoir son arrière-pensée - excepté la vôtre, je le soupçonne; à cause de quoi, permettez-moi de vous offrir, entre parenthèses, mes sincères compliments de condoléance.

que

l'insur

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