Page images
PDF
EPUB

« C'est un peu là que nous l'attendons, le concert européen. On se concerte pour un morceau, pour deux morceaux, pour jouer les andante, à la condition encore qu'il n'y ait pas d'accidents à la clef. Mais essayez de presser la mesure : vous verrez comme le Kapell-meister, qui est à Berlin, je crois, ou peut-être à Saint

[blocks in formation]
[ocr errors]

« Il est un autre point dont vos journaux ne parlent guère. Ils oublient de vous rappeler qu'il y a une colonie grecque de deux cent mille membres à Constantinople. Elle tient Galata et le Phanar. J'ai été consul général là-bas. La population mâle ne compte guère moins de quarante mille gaillards, des Céphaloniotes, des gens des Sporades, dont l'un cette fois, je le dis avec fierté, monsieur ne vaut pas mieux que l'autre. Rien de commun avec les Arméniens, qui n'ont même pas su se servir des revolvers expédiés de Londres sous le couvert même du consulat anglais, je vous prie. Ils nous ont envoyé, l'autre jour, quatre cents volontaires. Savez-vous ce qu'on leur a dit, en Grèce? « Vous auriez mieux fait de rester là-bas. On peut avoir à vous demander des services qui ne peuvent se rendre ailleurs. »

« La guerre à la Grèce! Mais on ne la localise pas si facilement, je vous assure. Une des meilleures preuves est que notre flotte a gagné le large, à l'abri du blocus, et qu'il ne faudra rien moins qu'une chasse en règle vous nous la ferez, du reste, et sauvage, nous n'en doutons pas pour l'empêcher d' « opérer », au mieux des intérêts de la nation. Et sur terre? On a beaucoup exagéré le nombre des bataillons turcs sur la frontière de la Thessalie. Hier soir, la Neue Freie Presse elle-même les réduisait à dix-huit mille hommes : vous avez pu la lire. Derrière nos avant-postes, il y en a le double, et derrière les leurs, la Macédoine. Et là, pas de blocus. Les vivres ne manquent pas. Depuis

deux mois, une ordonnance a suspendu l'exportation des céréales. L'armée de Thessalie est sûre de manger.

<< En somme, nous avons joué atout. Il est bien tard pour retirer la carte. Si nous cédons, nous sommes un pays non seulement humilié, mais ruiné, disloqué : le roi Georges l'a fait entendre assez clairement dans sa réponse aux puissances. Nous nous sommes fait des illusions sur les dispositions de l'Europe; elle s'en fait à son tour sur la nature de nos ressources in extremis. En Crète, il s'agit de parer aux crampes d'estomac; partout ailleurs, c'est affaire de tension nerveuse. Avec de bons nerfs, nous pouvons gagner six mois. En six mois... patience, comme disent les Turcs, iavas, iavas... »

On remarquera que, pour le fond de la pensée, le vieil Hellène est en quelque façon d'accord avec tout le monde. La Grèce veut gagner du temps, parce qu'elle ne saurait plus rien attendre que d'événements nouveaux; l'Europe veut gagner du temps, parce qu'il manque encore quelques clous à son artillerie; la Turquie veut gagner du temps, pour retarder cette liquidation qu'on lui prédit depuis une bonne centaine d'années. N'est-ce point un but trop commun pour que les parties ne finissent pas par se diviser sur les moyens? Au Montenegro aussi, on dit iavas, dans le même esprit et de la même manière : c'est pourquoi le Tout-Cettinje s'émouche avec bienséance, quand le bourdon «< conflagratif » lui sonne aux oreilles.

CAUSERIE

SIMPLE HISTOIRE

Il était une fois un ingénieur anglais que travaillait le souci des entreprises originales... Il avait, plusieurs fois déjà, dans son pays, attaché son nom à des œuvres intéressantes, et notamment organisé deux ou trois expositions d'art et d'industrie dont le succès avait été grand. « Mon cher W..., lui dirent un jour ses amis, avez-vous remarqué qu'on s'ennuie énormément le dimanche, à Londres?

Je l'ai remarqué en effet, dit John W...

Eh bien, vous devriez, vous qui êtes un chercheur de neuf, nous trouver ceci : un endroit, sur la côte de France, où il soit possible à des Anglais très occupés d'aller faire entre eux, le dimanche, une partie d'échecs ou de golf; et cela, rapidement et simplement, en conservant presque l'illusion qu'on n'est pas sorti de chez soi...

— Si je vous comprends bien, observa John W..., vous me demandez de fonder en France une ville anglaise.

Parfaitement.

- Ce doit être possible, et je vais essayer. »

Et John W... se mit à l'œuvre.

Il s'y mit avec d'autant plus de joie et de passion que sous cette « enveloppe » d'ingénieur bat un cœur de philosophe humanitaire et de bourgeois sentimental, M. W... a beaucoup vécu dans notre pays, et il nous aime de tout son cœur. Il y a même, je crois,

quelques Français dans sa famille. Il pensa : « Voilà une occasion unique de réaliser mon rêve : créer entre les deux pays un lien nouveau, une communauté d'intérêts qui soit, à des gens trop enclins à se méfier les uns des autres, une raison et une occasion de se mieux connaître... et de s'aimer peut-être un peu! >>

Et il chercha. Il explora toute la côte, erra pendant un an parmi les rochers et les sables, et, un beau jour, s'arrêta triomphant. Il avait trouvé.

Entre Etaples et Berck-sur-Mer, à mi-chemin de Londres et de Paris, John W... avait découvert une plage exquise, inhabitée, dont la bande de sable clair se déroulait, sur une lieue de longueur, à l'abri d'une forêt de huit cents hectares de pins. Arcachon dans le Pas-de-Calais ! L'immense territoire était la propriété d'une famille qui, jusqu'alors, malgré d'écrasantes charges d'entretien, n'avait pu se résoudre à s'en défaire. John W... lève patiemment les scrupules qu'on lui oppose, et devient propriétaire à son tour.

Et, à partir de ce moment, commence pour lui l'œuvre difficile, l'œuvre de propagande et de conquête morale d'un coin de pays où sa présence a d'abord provoqué quelques étonnements... La question d'argent importe peu. John W... en a. Ce qui importe, c'est d'apaiser les méfiances, de prévenir les hostilités possibles, de s'assurer les concours nécessaires, d'expliquer ce qu'il vient faire là et quelle source de richesses il apporte en un lieu où il n'y a que du désert et du silence, et où, de ses propres mains, il va créer la vie.

Deux ans et demi sont consacrés à cet apostolat. Des deux côtés de la Manche, John W... recrute ses partisans; il rédige des circulaires, dresse des plans, publie des brochures et des albums, fait des conférences. Sa ville existe déjà; il la voit, il la sent vivre en lui, et c'est merveille que de la lui entendre décrire... Notez ceci : il ne quémande rien, il ne réclame aucune subvention de qui que ce soit; il laisse en paix son gouvernement et le nôtre. Il ne demande aux Anglais que de venir dans la ville qu'il construira, et il ne

demande aux Français que de la lui laisser construire. Et ses démarches auprès des représentants de nos pouvoirs publics se réduisent à implorer la liberté de se donner beaucoup de peine et de dépenser beaucoup d'argent pour peupler, à ses risques et périls, une solitude. C'est bien simple!

Mais voici qui est mieux encore :

John W... a intéressé à son projet la famille royale d'Angleterre. Il a placé la future ville sous le patronage d'une femme, de la très gracieuse princesse May; et bientôt « Mayville » figurera au dictionnaire des communes de France. Ce n'est pas tout. L'ex-vice-roi du Canada, gendre de la reine Victoria, le marquis de Lorne qui, depuis de longues années, honore John W... de son amitié, avait promis à celui-ci de faire construire sur le territoire de Mayville un chalet; et comme le noble lord est en même temps un amateur passionné du jeu de golf, il avait été convenu qu'il viendrait un jour choisir l'emplacement de sa résidence future à Mayville, et désigner le morceau de forêt où la piste du jeu nouveau devait être installée.

La chose est faite, et le marquis de Lorne a tenu sa promesse, il y a trois jours.

Ami de John W..., j'avais été convié à assister à cette visite. A deux heures de l'après-midi, le paquebot de Folkestone amenait à Boulogne, dans le plus strict incognito, le gendre de la reine Victoria.

Coiffé de la classique casquette de voyage en drap clair, ne portant d'autres bagages qu'un menu sac de toilette, et la longue palette à coude d'acier qui sert à lancer la balle au jeu de golf, l'ancien vice-roi du Canada semblait tout heureux et amusé de cette petite exploration, de cette découverte d'une terre inconnue à trois heures de Paris. Un landau nous y mena d'un train rapide, au trot de deux bons chevaux.

J'allais oublier d'ajouter que le voyage ne se fit pas directement. A mi-route, John W... nous arrêtait devant un castel entouré de ruines, du plus vénérable aspect. « Ceci, nous dit-il, est une maison historique.

« PreviousContinue »