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Puis il se recueillit un instant et se mit en devoir d'enlever ses draps.

Il y avait longtemps que le pasteur et le professeur étaient rentrés chez eux, sans que les deux ennemis du prêtre eussent eu occasion de réaliser en entier le plan concerté contre lui.

Ce ne fut qu'au matin toutefois que les derniers invités quittèrent la ferme.

AUGUSTE STRINDBERG.

(Traduit du suédois avec l'autorisation exclusive de l'auteur, par L. BERNARDINI.)

(La fin à la prochaine livraison.)

LE

CHATEAU DE MARRAC

MARIE-ANNE DE NEUBOURG, 1720.

NAPOLÉON, 1808 (1).

Ce château de Marrac, aujourd'hui, ce n'est plus qu'un nom, une ruine auguste et lamentable. Deux murs restent debout, noirs sous le revêtement du lierre et des ronces. Ils bâillent sur le ciel. Leurs fenêtres regardent l'horizon avec des yeux morts, des yeux vides d'aveugle. Le paysage serait gai à l'entour, il l'assombrit. Il couronne un coteau lumineux, où les haies des prairies découpent des carrés d'herbe grasse. En face, une vallée basque échelonne dans la verdure les blancheurs de ses fermes. Tout au bas, la Nive noue la ceinture bleue de ses eaux, comme un ruban à la taille d'une coquette. Mais rien ne peut contre la mélancolie des pierres croulantes. Les futaies voisines d'un parc projettent sur elle du silence, l'isolent dans un deuil attendri. C'est un site qui a des souvenirs, et qui s'y recueille. La ville est trop proche, l'esprit citadin ne crée pas de légendes. Quelle ombre, pourtant, on y aimerait imaginer, vaguant de nuit sous la lune pâle, reconnaissant la place de ce qui fut jadis les salons impériaux, les appartements impériaux, la chambre de l'Empereur, le boudoir de cette déplorable et charmante Joséphine! Là où la flamme d'incendie a

(1) Voir au Supplément illustré. Six gravures.

tordu, descellé le fer des balcons, l'ombre monterait. On la verrait, comme dans la Revue nocturne, avec le petit chapeau et la redingote, assistant au défilé de l'armée-fantôme, en marche vers la tuerie, vers la profondeur sournoise des gorges et des sentiers, là-bas où les Pyrénées hérissent de crêtes leur formidable muraille. Au passage, les têtes onduleraient, les dos ploieraient sous l'enthousiasme. Les voix, les gestes monteraient vers César, pour le salut suprême : Ave, Cæsar! morituri te salutant!

Vain rêve! Et quel lieu, cependant, à évoquer, à laisser naître d'elle-même cette vision romantique! Une reine de Victor Hugo avait choisi Marrac pour sa résidence. C'est par son ordre et pour elle qu'on avait construit le château. Elle s'appelait Marie-Anne de Neubourg. Qui, ayant vu ou lu Ruy Blas, n'a pas un petit coin de son cœur où il lui voue de la pitié, de la tendresse? Obscure dans l'histoire, elle vit immortellement par la fiction poétique. Mais la fiction poétique, si haut qu'elle se prévale de ses droits, n'annule pas ceux de l'histoire. Il est permis de savoir que la douce, la touchante recluse du drame, l'Allemande rêveuse qui cache dans son sein les fleurs du mystérieux cavalier, l'étoile qui a fait lever les yeux au ver de terre, fut, dans la réalité, une altière et véhémente personne, experte à l'intrigue, décidée dans les choses de la politique comme dans celles de l'amour. Elle reste dans notre souvenir parée de pureté, de bonté, de résignation. Tout ce charme dont la voilà vêtue désormais, nous savons que par un caprice de poète elle en a dépouillé la chaste Marie d'Orléans (1). Le duc d'Anjou devenu roi d'Espagne, elle prit parti contre lui, si ouvertement, avec tant de vigueur, qu'on dut l'éloigner. Pas trop, car il importait de la tenir en surveillance. On calcula

(1) MOREL-FATIO, Études sur l'Espagne.

de telle sorte que la surveillance fût double, s'exerçât simultanément de Versailles et de Madrid. On lui donna Bayonne en fief. Elle y vécut trente-deux ans, gouvernée par son bon plaisir, fort au-dessus des préjugés d'opinion et de morale, princesse aimable, volontaire, spirituelle, passionnée et fantasque. Ses liaisons s'affichaient. Ce fut au point qu'un après-midi qu'elle traversait le Pont-Majour, allant à ses dévotions aux Jacobins ou aux Cordeliers, en équipage souverain, dans un carrosse attelé de six mules, le frère du chevalier de Larrétéguy, officier de Sa Majesté, put se permettre d'écarter la foule curieuse en criant : « Place à ma belle-sœur! » Impertinence qui valut à l'écervelé six ans de séjour au château d'If. Marrac construit (vers 1720), Marie-Anne sut qu'une de ses dames d'honneur, sans sa permission, avant même l'achèvement des travaux, y avait occupé un appartement. Ce lui fut un gros sujet de dépit. Elle jura que de sa vie elle ne mettrait les pieds à Marrac. Elle se tint parole.

De 1720 à 1802, sommeil sur Marrac. Tout à coup, trompettes, fanfares. C'est Augereau, son état-major, ses cavaliers, le corps d'armée qu'il doit mener en Portugal si le Premier Consul n'obtient pas les satisfactions qu'il réclame. Augereau s'établit à Marrac. Parmi ses officiers, il y a un jeune sous-lieutenant, cadet de Gascogne comme d'Artagnan, visage et cœur de mousquetaire, grand sabreur, déjà réputé pour son entrain, sa folle bravoure : Marbot (1). Encore six ans, et Marrac va sortir pleinement de sa pénombre. Il ne lui faudra, pour cela, que se trouver sur le chemin de Napoléon. Sa situation le désigne, l'impose au choix du maître. C'est dans le moment où la courbe de la politique napoléonienne touche l'Espagne. L'attention de l'Empereur, jusque-là fixée au nord, va provisoire

(1) MARBOT, Mémoires, t. I.

ment s'en détourner. Tout la sollicite du côté de Madrid: l'hostilité de la cour, avouée, proclamée à la veille d'Iéna, puis dissimulée vainement sous les assurances insidieuses; l'état même de cette cour, que ses démêlés de couloirs et d'alcôve déconsidèrent, amoindrissent, avilissent; le danger anglais, qu'il n'est que temps de conjurer à la pointe extrême du continent. Déjà, Napoléon a lancé les troupes de Junot, de Dupont, de Moncey, sur les routes de la Péninsule. Simple prologue au drame qu'il médite. Drame considérable, organisé par un homme du métier, qui prévoit, combine, mesure, déduit, enchaîne avec une précision merveilleuse, ne se trompant que comme font à l'ordinaire les gens du métier, sur le dénouement; drame dont le château de Marrac sera le théâtre.

Un érudit, M. Ed. Ducéré, qu'ont signalé de considérables et précieux travaux d'histoire bayonnaise, publie justement cette semaine un ouvrage sur Marrac (ou, plus exactement, sur Napoléon à Bayonne). Il s'est abondamment pourvu d'informations générales et particulières, d'anecdotes, de souvenirs recueillis sur place, dans la bouche même ou les écrits de témoins. Il a eu l'amabilité, plus que confraternelle, de me communiquer ses notes. J'en userai, puisqu'il m'y autorise, puisqu'il m'y invite même. Si, involontairement, j'en abuse, il me le pardonnera, m'y ayant, somme toute, un peu induit par sa complaisance. Quant à espérer qu'il me reste grand'chose à glaner, derrière lui, je ne l'ose pas. Je chercherai néanmoins. Où il apporte sa moisson, je serais heureux de fournir ma gerbe.

Napoléon arrive à Bayonne le 14 avril 1808, à neuf heures du soir. C'est jeudi saint. On pourrait croire les cloches parties en pèlerinage. Il y a eu contre-ordre

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