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Voici plus de deux ans que dure l'insurrection cubaine. C'est en effet en février 1895 que les premiers symptômes s'en sont dessinés. Depuis, la lutte a continué de part et d'autre avec une égale énergie. Les insurgés, indigènes et noirs, séparatistes ou partisans de l'annexion aux États-Unis, continuent à tenir la campagne, et l'Espagne ne se lasse pas d'envoyer des renforts et encore des renforts et d'épuiser ses ressources financières pour conserver à la couronne de la métropole son plus beau fleuron.

Les causes de l'insurrection sont les mêmes que celles qui ont suscité les soulèvements antérieurs. Les Cubains, industrieux, travailleurs et riches, se plaignent que leur industrie, leur travail, leur richesse, ne servent qu'à des fonctionnaires bien en cour que Madrid leur envoie et qui, leur convoitise à peu près satisfaite, cèdent la place à d'autres. Ces maîtres arrogants ont lassé leur patience, et ils ne semblent pas, cette fois, devoir se contenter de l'espoir de réformes dont on les a si souvent dupés.

C'est le gouvernement libéral de M. Sagasta qui était au pouvoir lorsque l'insurrection éclata. Le maréchal Martinez Campos fut envoyé à Cuba, muni des pleins pouvoirs civils et militaires. Le maréchal répugnait aux moyens extrêmes, ou peutêtre se faisait-il quelque illusion sur la gravité de la situation. Sa méthode conciliante ne réussit pas, et il dut rentrer en Espagne, laissant l'île en pleine révolution. Le ministère conservateur de M. Canovas del Castillo avait alors succédé au cabinet Sagasta. M. Canovas décida d'envoyer à Cuba le général Weyler et lui donna mandat de déployer, pour réprimer l'insurrection, l'énergie dont il avait donné des preuves ailleurs. Voici plus d'un an que le général Weyler est en fonction, et la guerre civile continue. Les incidents, tels que les rapportent des dépêches contradictoires, en sont d'ailleurs extrêmement confus. Il semble pourtant que l'insurrection soit en voie de décroissance et que le moment de la pacification approche. L'île pacifiée ne sera plus d'ailleurs, en bien des points, que ruine et cendres. Les maisons ont été incendiées; les plantations, les voies ferrées et les ponts sont détruits.

Le gouvernement espagnol lui-même semble avoir reconnu que l'on ne saurait espérer une paix durable de l'emploi unique de moyens de répression, et déjà, dans plusieurs occasions, il a pris des mesures de clémence que l'opinion publique n'a du reste pas ratifiées. Quoi qu'il en soit, des condamnations capitales prononcées par les tribunaux militaires n'ont pas été exécutées; un prisonnier fort important, M. Sanguily, a été simplement expulsé, et on sait d'avance que le général insurgé Riuvera, tombé entre les mains des Espagnols après une lutte héroïque dans laquelle il a été grièvement blessé, ne sera pas fusillé, quel que soit l'arrêt du conseil de guerre.

M. Canovas del Castillo, à l'instigation du gouvernement des États-Unis, qui aurait mis sa neutralité à ce prix, s'est même décidé à modifier de fond en comble l'organisation administrative de l'île de Cuba, laquelle serait pourvue d'une sorte de parlement local. Ces innovations constituent tout un ensemble de réformes propres à satisfaire les autonomistes les plus exigeants, si tant est que l'autonomie qu'ils réclament n'est pas une question de race et si ce n'est pas l'élément nègre qui se livre à sa haine contre les blancs. Ces réformes ont été publiées dans la Gaceta de Madrid d'une façon officielle et envoyées, il y a trois mois, au Conseil d'État, qui devra rédiger la réglementation qu'elles comportent. Aussitôt que le Conseil d'Etat aura terminé ce travail de légiste, la promulgation du nouvel état de choses se fera, si les circonstances toutefois le permettent, car on ne saurait demander au gouvernement de proclamer solennellement le cedant arma togæ tant que les insurgés n'auront pas mis bas les armes, ou que tout au moins ils ne seront pas hors d'état de tenir la campagne.

L'Espagne a envoyé à Cuba, depuis vingt-six mois, 165,000 hommes, ce qui, avec les garnisons qui étaient déjà dans l'île, forme un total de 190,000 combattants, dont 30,000 ont péri ou ont dû être réformés, 6,000 par suite de blessures et 24,000 par suite de maladies.

Les gravures que nous publions sont toutes relatives à l'insurrection de Cuba. Elles représentent le général Weyler, les chefs insurgés José Macco, qui a trouvé la mort dans un combat, il y a trois mois, et Modesto Tirado, les principaux officiers de l'armée espagnole, et divers épisodes de la campagne.

PARIS. TYP. E. PLON, NOURRIT ET Cie, S, RUE GARANCIÈRE.

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LE COUPABLE

Il pleut souvent dans le Calvados, et, presque toujours, les clochers des belles églises de Caen ne montrent de leur doigt de pierre qu'un ciel gris où passent des nuées, entraînées par le vent d'ouest. Mais Chrétien Lescuyer, le fils du vieux M. Lescuyer, conseiller à la Cour, avait mené, jusqu'à l'âge de vingt-deux ans, une vie tellement ennuyeuse, qu'il n'avait même pas joui des rares sourires du climat normand et que, pour cet infortuné jeune homme, il semblait qu'il eût plu à verse depuis le jour de sa naissance.

La maison où il avait reçu le médiocre et discutable bienfait de l'existence, datait de son bisaïeul et avait été construite vers la fin du règne de Louis XV. Elle était bien la plus lugubre parmi les lugubres maisons de l'aristocratique rue des Carmes, qui, elle-même, exclusivement habitée par d'anciennes familles et le plus souvent déserte, est un phénomène de tristesse. En pleine canicule, les pavés y sont cernés de noir par l'humidité, les murs donnent le frisson. On respire ici à plein nez le spleen et le rhume de cerveau. Pourtant, à l'une des extrémités, dans la joyeuse rue Saint-Jean, grouille la foule paysanne des jours de marché, émailR. H. 1897. 2o série.

V, 4.

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lée de bonnets blancs et de blouses bleues; et, à l'autre bout, c'est l'animation du port, où les marins scandinaves à barbe jaune, agiles sous leur chemise de flanelle rouge, débarquent avec fracas les planches de sapin qui sentent si bon. Mais la rue des Carmes n'en veut rien savoir. Elle dédaigne ce travail populaire, ce mouvement de mauvais ton, ce bruit canaille. Elle tient closes de volets la plupart de ses fenêtres apparentes; et ses hôtels, d'assez hautaine tournure, mais que dégrade mainte lézarde, font songer à la physionomie d'un homme fier et ruiné, plein de tenue et de sombre humeur.

Pour l'aspect bougon et refrogné, le logis de M. Lescuyer père ne le cédait en rien à aucun de ses voisins. Séparé de la vie extérieure par un mur très élevé, un mur de prison, dans lequel s'ouvrait

ou plutôt ne

s'ouvrait presque jamais — une énorme porte cochère, l'hôtel Lescuyer ne donnait accès au visiteur que par une petite porte, ménagée dans un des vantaux de la grande, et qui, lourde et massive, elle aussi, ne s’entre-bâillait qu'en rechignant. Lorsque vous aviez franchi cet huis inhospitalier, vous vous trouviez dans une cour, étroite et sombre, limitée par deux corps de logis en équerre, aux façades lépreuses, et par le mur de la maison mitoyenne, que tapissait un lierre funèbre et touffu.

Rien n'était plus rébarbatif que cette cour. Dans un coin, le vieux puits à poulie avait l'air d'être empoisonné. Les mascarons grotesques, sculptés au-dessus des fenêtres, vous faisaient la moue, comme à un importun; et les marches du perron, aux dalles usées et disjointes, vous disaient clairement : « Ne soyez pas le bienvenu. »

Mais, à l'intérieur, c'était encore pis. Tout y respirait l'avarice provinciale et la morgue justiciarde; et, dès le péristyle, un manteau de glace vous tombait sur

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