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puis longtemps, que, par conséquent, il n'avait point été appelé à être juge et qu'il ne pouvait y être appelé. Néanmoins, le remords resta, sourd, furtif, et détermina sa volonté à accepter la demande, à jouer le roman du mariage :

Je veux la vie aussi, fit-il; mais, alors, toute mesure que je jugerai devoir prendre pour m'abriter contre ta fortune, tu l'acceptes d'avance.

Cette phrase lui parut bonne à se donner encore du temps et à raffermir la malade dans sa chimère. · Oh! mon Dieu, qu'importe ? dit-elle.

M'écriras-tu un serment signé que jamais je n'aurai rien de toi ni en donation ni en testament? Eh bien? Eh bien? fit-elle... Est-ce tout?

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Une chose encore... Je désire que notre engagement reste secret quelque temps, pour préparer les mesures que tu consens à prendre. Je pourrai alors tout avouer sans rougir.

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Devant le visage de Christine, il ne pouvait que s'absoudre du mensonge. Elle s'animait d'une beauté touchante, d'une exaltation naïve. Le sépulcre proche lui fit comme une effrayante parure; toute l'illusion des pauvres mortels se condensait dans son regard. Elle fut le psaume charmant et épouvantable des joies, qui toutes portent en elles la désuétude :

Oh! fit-elle, me voici guérie ! Les jours suivront les jours, Gilbert, et je ne pourrai cesser d'être heureuse! De cette heure datera ma force.

Il répondit de balbutiants mensonges, et déjà le déclin survenait sur le jardin. La lumière cessa d'éblouir et fut comme un lac calme.

Les yeux mourants de Christine exprimaient le reverdis, l'hymne des collines vêtues d'herbe fraîche, la gloire des recommencements.

4

Viens donc, dit-elle.

Tendrement, elle unit sa faible main à celle du jeune homme, elle murmure, elle prie, elle veut le goût des lèvres rencontrées. Puis un triomphe erre dans son sourire :

C'est pourtant vrai que tu m'aimes... que tu m'aimes pour moi seule... Ah! je n'avais pas osé l'espérer !

Soudain, Gilbert vit l'Approche et se détourna d'hor

reur.

Pourquoi te tournes-tu? demanda-t-elle.

Sa voix rassura Gilbert. Il avait craint qu'elle ne sentît la mort. Mais le bonheur était toujours là. Le visage de la moribonde s'enfonçait délicieusement dans le non-être. Elle ignorait, elle continuait le songe d'avenir, une lumière demeurait au fond de ses pupilles.

Gilbert... le premier mois, très loin d'ici....

- Oui, bien-aimée !

Il tient la tête frêle, il rêve le mystère, les profondeurs, les chuchotements du gouffre. Tout remords s'éteint. Il sait que nul ne peut lui faire reproche. La mort et la tendresse l'enveloppent d'une telle magie qu'il ne sent point la tristesse. Il ne détache pas un instant le regard du visage mortuaire. Elle parle encore, si bas qu'il ne l'entend plus même en se penchant. Elle va passer. Il veille sur le dernier souffle, il veut être tourné vers elle au bord même de l'anéantissement.

Enfin, le sourire s'efface, le regard tremble doucement, les bras retombent : le soir éternel est descendu. Il demeure encore, il s'attarde à la leçon immense, jusqu'à ce qu'un pas dans le corridor, soudain, trouble tout, le terrifie, le rend à la douleur et aux larmes.

LIVRE CINQUIÈME

I

Elle est morte!

Isabelle s'est avancée sur la pointe des pieds. Elle a peur, elle doute de la réalité délicieuse jusqu'à ce qu'un long regard l'ait convaincue. Alors, au fond d'elle, la certitude du bonheur va trouver quelque attendrissement. Ses yeux]se mouillent. Elle se sent aimante pour le pâle cadavre, et cette pitié est une douceur de plus. Sauvée, enfin... libre... la vie pleine... toute dette abolie!... Elle gardera l'habitation de Paris et les deux châteaux : complétera les écuries, le mobilier, refera le salon !... Ah! sauvée, sauvée !

A ces impressions charmantes, Isabelle s'émeut jusqu'au sanglot. Elle voudrait partager ses richesses avec Christine. Elle se sent bouleversée d'impulsions généreuses; puis elle s'inquiète, elle se méfie, se promet de ménager la vaste fortune. Enfin, le besoin grandit de communiquer la joie; elle fait un vague signe pieux et retourne vers son mari :

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A la béatitude infinie qui le baigne se remêle encore le vieux regret du temps où il désirait Christine. Il baisse les yeux, il redescend une minute dans les rêves abolis; son cœur bat avec une douceur profonde. Il se sent rajeuni, plein d'indulgence; il serre tendrement la main d'Isabelle. Une lueur inconnue luit sur le grand parc; une intimité adorable jaillit des herbes et

des arbres, de tout ce coin de nature, qui s'identifie maintenant avec eux.

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A-t-elle souffert ?

Il semble que non... Il était auprès d'elle...

Ah! fait Raymond, un instant assombri... Est-il encore auprès d'elle?

Il s'est retiré devant moi... Mais je crois qu'il doit y être... Il m'a paru sincère.

Il la regarde, prêt à lui avouer le secret de Jacqueline; mais le désir de goûter l'héritage est plus fort. Ils calculent, supputent. Leurs paroles vont dans un tendre désordre, dominées du miracle.

Soyons unis! dit-il pour répondre à une crainte vague devant la vie trop belle.

Alors il semble que le parc se voile, que l'herbe est moins familière. Raymond pense au testament. Tantôt, quand Isabelle est entrée, la mort a tellement dominé qu'il n'a senti que la confiance. Toutes les promesses de Gilbert, d'ailleurs, sa dernière renonciation... A présent, l'inquiétude reparaît, qu'il ne peut cacher à sa compagne :

- Si, tout de même, elle lui avait tout légué? Isabelle a moins de doute :

Elle ne se voyait pas mourir... Je sais, d'ailleurs, qu'il lui a toujours défendu de lui rien laisser... J'ai des preuves...

On ne sait jamais rien !

Elle regarde Raymond avec crainte. L'influence agit, la pénètre, lui fait mal au cœur.

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Nous avons sa renonciation...

Oui, mais nous sommes le 20 seulement. Si l'on ouvrait le testament maintenant, il pourrait réclamer, faire annuler cette pièce postdatée....... Il a été désintéressé devant l'hypothèse; mais pouvons-nous prévoir ce qu'il serait devant la réalité ?

Le bonheur est lointain, l'inquiétude horrible. L'in

certitude les enserre et les étouffe. Ils n'auront plus de cesse jusqu'à ce qu'ils aient un mot rassurant de celui qui menace leur destinée.

- C'est la vie !... fait Raymond.

Ils se tiennent en silence devant la porte vitrée; la vue de Jacqueline au bord de l'étang fait venir des larmes à Isabelle :

Pauvre chérie !... sera-t-elle condamnée encore à cette horrible misère?

Ce sentiment répond à celui de Raymond. En ce moment, il semble que leurs projets personnels s'effacent, que l'amour des enfants domine. Ils plaident, devant la puissance informe du hasard, la cause de leurs filles.

On pourrait n'ouvrir le testament que le 1o octobre, murmura pensivement Somerville.

Et, tout à coup, par association d'idées, par espérance aussi, il se mit à dire :

Sais-tu pourquoi il ne venait plus ici ?... Sais-tu pourquoi ta fille était si pâle et si triste ?

Non, fit-elle étonnée.

Il aimait Jacqueline, et Jacqueline l'aimait... Il est venu me la demander. Avec une naïvetéļmonstrueuse il m'a avoué aimer ta sœur et notre fille à la fois. Il en était si indigné encore que, malgré sa finesse, il fut surpris de voir la tranquillité d'Isabelle. Elle s'en montra plutôt curieuse, et, espérante : Mais il en préférait une?

Il préférait Jacqueline. Il offrait, du reste, de tout quitter pour elle.

Et tu as refusé? fit-elle avec rage... Tu nous as volontairement exposés à cette épouvantable incerti

tude?

Il haussa les épaules:

A cette époque, elle aimait déjà l'étranger au point de nous sacrifier tous sur un geste de lui. S'il

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