Page images
PDF
EPUB

chantait le ridicule des bourgeoises endimanchées, leurs papotages et les mille infamies de leurs ragots, Jules Jouy risquait une explication de son séjour à Auxerre, fantaisiste à coup sûr, mais qui vous eût semblé combien naturelle de la part de ce bohème, ô Bouvard et toi Pécuchet!

Mais c'est surtout sur l'étranger,

Le Parisien passager,

Que se déchaîne la critique

A la musique.

Que fait ici cet inconnu ?

Pourquoi chez nous est-il venu?
Veut-il découvrir l'Amérique
A la musique ?

Depuis un mois qu'il est ici
Qu'a-t-il donc à rester ainsi ?
Pourquoi prend-il l'air ironique
A la musique ?

Il s'appelle Monsieur Un Tel

Et ne peut payer son hôtel,

Et c'est ainsi que tout s'explique
A la musique.

Cependant, la tournée annuelle de revision appro

chait.

Mon cher ami, lui dit un jour le Préfet, le pays est joli, rien ne vous retient à Auxerre, accompagnez-nous donc : ce sera plus drôle.

Jouy ne se le fit pas dire deux fois. Ces excursions le tentaient, à travers un département pittoresque et agréable à voir de près, avec ses coteaux couverts de vignes, ses escarpements dans l'Avallonnais, ses grottes et, à Vézelay, cette merveille qu'est l'église de la

Madeleine; plus que jamais le chansonnier entrait dans le dolman du Sous-Préfet, et le voici à suivre, de canton en canton, les étapes du conseil.

Ici, c'était un vin d'honneur, ou un déjeuner, là un dîner, offert par le conseiller général, maire du cheflieu de canton; le repas avait lieu, officiel, les toasts succédaient aux toasts, et soudain, l'étonnement des c'était quand on

pauvres maires, les premières fois! avait bien levé son verre à « la santé de l'intègre magistrat que la France a choisi dans la libre expression de ses vœux et de ses suffrages, à monsieur le Président de la République », Jules Jouy qui, pour faire diversion, de sa voix un peu blanche, entamait une de ses chansons, à laquelle une ou plusieurs autres ne tardaient pas à succéder, jusqu'à ce qu'un fou rire secouât la salle.

Des timorés, quelques pontifes s'indignèrent bien; le directeur d'un des journaux d'Auxerre, plutôt ignorant de Montmartre et de la chanson contemporaine, écrivit à Paris pour avoir des renseignements sur ce chansonnier qui accompagnait le Préfet dans sa tournée. Ils furent favorables, j'ose le croire, car aucun incident ne se produisit.

Le Ministère lui-même ne pouvait se fâcher. S'il faisait rire, Jules Jouy était en même temps un propagandiste précieux, l'on était en pleine période boulangiste, - et qui sait si ses chansons n'ont pas fait plus que telles ou telles déclamations?

Jules Jouy sous-préfet ! C'est peut-être ce à quoi je dois de ne pas l'avoir été. Mon sérieux y perdit auprès de l'administration centrale, et cette bienheureuse tournée me valut un jour cette apostrophe en haut lieu : « Ah! c'est vous qui emmeniez avec votre Préfet Jules Jouy en revision! » J'aurais pu, sans doute, plus mal choisir, sait-on jamais, maintenant, avec le Panama? mais je préférai ne rien répondre.

Pauvre Jules Jouy, comme c'est loin tout cela, et dire que l'avant-dernière fois que nous nous sommes vus, c'était un matin brumeux d'hiver, le lendemain de l'exécution d'Eyraud, en ce coin du cimetière d'Ivry où quelques acacias, désolés, ont peine à pousser devant l'entourage tout blanc de la tombe de Géomay, une tombe d'enfant presque, et la croix noire de Vodable, sur laquelle la main de celle qui l'a dénoncé peut-être a tracé, en blanc, ce mot déconcertant : « Ami », tandis qu'à côté de nous, deux escarpes

l'Exemple

considéraient, rêveurs, la tête dans les épaules et les mains dans les poches, la terre fraîchement remuée du dernier venu!

PIERRE DUFAY.

NOUVELLES SCIENTIFIQUES

La psychologie des poissons. rayons Roentgen illusionnistes. perdus... dans nos organes,

Les

Leur toilette nocturne.
La recherche des projectiles

La parole, dit-on, a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée. On voit par là combien est difficile le métier de psychologue et on s'explique la préférence de certains philosophes, M. Edinger, par exemple, à s'occuper tout simplement des animaux qui, eux, ne peuvent mentir, attendu qu'ils ne parlent pas. Nous savons bien que c'est là une assertion hasardée et que certaines catégories, tout au moins, d'animaux peuvent avoir un langage approprié à leurs besoins, et auquel, naturellement, nous n'entendons goutte. On peut croire, cependant, au mutisme des poissons, et l'on sait que la carpe est passée, à ce point de vue, à l'état de symbole. Ce sont donc de merveilleux sujets d'enquête, l'observateur n'étant certainement pas influencé par les racontars du patient.

Une des premières questions qu'un naturaliste curieux s'est posées est de savoir si les poissons ont de la mémoire, et chacun apporte à cette étude son petit contingent de judicieuses observations. Malheureusement, en pareille matière, il ne semble pas que l'observation soit facile, ni péremptoire. Et nous ferons bien de ne pas formuler une conclusion ferme, avant d'être en possession de documents aussi probants que nombreux.

En attendant, mes lecteurs ne seront pas fâchés d'apprendre, j'en suis sûr, combien, à l'égard de ces poissons qui ont peut-être de la mémoire — lạ nature s'est montrée bonne mère, s'il faut en croire la communication de M. A.-E. Verrill à l'American Fournal of science.

-

Lorsque les personnages des romans de cape et d'épée veulent passer inaperçus, pour perpétrer quelque noire action ou échapper à quelque embûche, ils se couvrent d'un manteau couleur de muraille. Les poissons n'ont pas la même ressource, ne possédant aucun vêtement de rechange; mais Neptune y pourvoit, et, quand ils s'endorment, c'est ce dieu tutélaire, sans doute, qui change la coloration brillante de leurs écailles en un manteau verdâtre, de couleur indécise et terne comme les algues d'alentour. Voyez le Stenotomus Chrysops si vous le connaissez toutefois. A l'état de veille, il est tout fier de l'irisation de sa cuirasse argentée ; qu'il s'endorme, et le voilà qui tourne au bronze, en même temps qu'apparaissent sur son corps six bandes noires tranversales. Vous seriez peut-être embarrassé d'expliquer à quoi servent ces bandes noires; M. Verrill ne l'est pas. Leur rôle providentiel lui apparaît même clairement : grâce à elles le chrysops se confond mieux avec les thalles, frondes et autres algues parmi lesquelles il s'est réfugié. Il suffit, du reste, de l'éveiller, tandis qu'il dort la nuit dans l'aquarium, en projetant tout à coup sur lui une vive lumière, pour qu'instantanément il reprenne ses premières couleurs.

Ce n'est pas le seul exemple qu'on puisse offrir d'une aussi curieuse propriété. Le Monacanthus, à son tour, qui est brun verdâtre lorsqu'il est éveillé, s'assombrit en s'endormant et devient grisâtre. M. Verrill assure que c'est pour se confondre avec les rochers qui forment son habitat.

Oh! je me garderai bien d'y contredire, et quant au

« PreviousContinue »