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témoignage du 'poisson lui-même, s'il n'est pas muet, c'est tout comme, à notre égard.

Les sujets dont on parle le plus sont ceux dont un chroniqueur ose le moins parler : il lui semble que chacun sait tout ce qu'il pourrait en dire. Mais les rayons Roentgen les mystérieux rayons X sont pourvus de toutes les vertus et détiennent toujours le record de l'actualité. Il en faut parler, quoi qu'on en ait, si l'on veut être de son temps. Chaque jour, c'est une application nouvelle, une propriété imprévue, et ce que l'on pouvait prendre au début pour une inutile curiosité scientifique ajoutée à tant d'autres se trouve être un précieux outil dont l'humanité reconnaissante escompte déjà les bienfaits.

M. de Parville racontait l'autre jour comment, grâce à ces étonnants rayons, un physicien qui ne passe pas pour un sorcier redoutable, dans une maison qui n'est pas hantée d'ordinaire, peut montrer à ses invités les plus hallucinantes fantasmagories. Il suffit de frotter les bibelots du salon au moyen d'une de ces substances qui ont la propriété de devenir phosphorescentes sous l'action des rayons de Roentgen (du sulfure de calcium, par exemple); puis, toutes lumières éteintes, dans cette obscurité que réclament les revenants et les médiums, de promener dans l'espace les rayons émis par un tube de Crookes, rayons invisibles pour tous et qui rendent lumineux pourtant, en les touchant, les objets ainsi préparés.

On est parvenu, par ce moyen, à faire apparaître même un magnifique spectre aux yeux caves; c'était une personne de bonne volonté dont certaines parties du corps et du visage avaient été enduites de substances fluorescentes.

Ajoutez quelque mise en scène : des bruits de cordes pincées, de sonnettes, un phonographe qui parle à pro

pos, et toute l'assistance est sous le charme angoissant d'une visite dans le monde des esprits.

Mais ce n'est pas pour faire la description forcément écourtée d'un scène de magie amusante que j'ai songé à vous parler des rayons X.

Depuis quelque temps, ils menacent d'envahir victorieusement la thérapeutique : avec ces messieurs de la Faculté, les choses redeviennent graves et sérieuses. Elles ne pourraient l'être davantage que lorsqu'on parle de tuberculose; en aurait-on découvert la panacée avec ces merveilleux rayons qui, décidément, sont bons à tout?

Les docteurs Rendu et du Castel, sans s'engager outre mesure, citent de bien curieuses expériences à ce sujet. Un jeune homme de vingt ans, atteint d'une affection pulmonaire mal définie, touchant à la pneumonie infectieuse et probablement compliquée de tuberculose rebelle à tout traitement, a été soumis à l'action d'un appareil Crookes. A la quatrième séance, les accès fébriles disparurent, tandis que le sujet subissait une abondante élimination de sueur et d'urine. A la dixième application, la région du thorax soumise au flux de Roentgen se couvrit d'un érythème analogue à une brûlure; puis l'état du malade alla s'améliorant, son poids s'accrut peu à peu. Il se porte bien main

tenant.

Une seule observation, c'est peu de chose, n'est-ce pas? mais c'est pourtant une porte ouverte à l'espérance.

Quand bien même le terrible microbe qui fait tant de victimes parmi nous ne serait pas tué lui-même par les rayons X, ceux-ci auraient encore un assez joli rôle médical.

M. Marey entretenait l'Académie des sciences, l'autre jour, de leurs applications en chirurgie, comme explorateurs de tous nos désordres internes.

On joue si inconsidérément du revolver, aujourd'hui, qu'on ne compte plus les gens qui ont une balle perdue dans le corps. Le mal n'est pas trop grand si le projectile a bien choisi sa place, mais il est insupportable d'avoir un fragment de métal logé sous son crâne― insupportable, et quelquefois pis que cela, témoin ce malade qu'ont radiographié MM. Charles Remy et Contremoulins. Le projectile, entré par le temporal droit, avait si bien intéressé le nerf optique que le malheureux n'y voyait plus. Il était urgent d'extraire ce malencontreux corps étranger, mais où le prendre? Sur une épreuve radiographique, on le vit apparaître dans la fosse qui sépare les deux orbites et en avant de l'entre-croisement des nerfs optiques. Mais ces indications n'étaient qu'approximatives, et, lorsque le docteur Remy insinua son doigt entre le cerveau et sa boîte osseuse, il eut la désagréable surprise de ne point trouver, dans son exploration, la balle au point présumé.

C'est que pour déterminer un point dans l'espace, il faut trois coordonnées, comme disent les mathématiciens, et l'insuccès de l'opération précédente montre la nécessité d'avoir un appareil permettant de marquer l'emplacement d'un corps par le recoupement de trois directions rapportées à trois points fixes du crâne. M. Contremoulins s'est empressé de combiner un semblable appareil, qui relève un peu de la méthode employée par le colonel Laussedat pour lever les plans. Malheureusement la construction de cet appareil, du premier tout au moins, coûterait cher, et M. Marey terminait sa communication en faisant aux généreux donateurs un appel qui ne saurait manquer d'être entendu.

G. BÉTHUYS.

CAUSERIE

UN BRAVE

Cela est presque ridicule à avouer : j'ai pour M. Bérenger, sénateur, un faible... Les exécutions dont plusieurs entrepreneurs de spectacles montmartrois furent victimes ces jours derniers ont suscité contre cet honnête bourgeois de vives rancunes et, du haut de la Butte sacrée, fait pleuvoir sur cette redingote sénatoriale une ondée féroce de quolibets. M. Bérenger ne jouissait jusqu'ici, dans les milieux de jeune littérature, dans les clans de l'Art « de demain » et d'après-demain, que d'une popularité moyenne; on peut dire que sa récente interpellation-prélude des incidents dont Montmartre s'est ému si fortement ces temps-ci- l'a tout à fait compromis dans l'estime des générations nouvelles, et classé définitivement au rang des « raseurs >> dangereux.

On court donc quelque risque, à s'avouer épris de M. le sénateur Bérenger. Tant pis. Et j'oserai dire que M. Bérenger parle d'or, et que son « geste » est excellent; et enfin que c'est à force de le comparer à ceux qui se moquent de lui que j'ai pris le parti de l'aimer.

Qui sont-ils, en effet, les hommes que la vertu de M. Bérenger fait rire? D'où viennent-ils, ceux que gêne la pudeur de M. Bérenger? Sont-ce des fous inoffensifs,

des adolescents épris de vie joyeuse, qui ne réclament d'autre faveur que la liberté d'avoir vingt ans, et à qui on refuse cette liberté? Sont-ce de purs artistes qui s'amusent, et dont M. Bérenger aurait violé la porte, au mépris du droit qu'a tout citoyen de s'amuser ou de s'ennuyer chez lui comme il lui plaît?

Pas du tout. Ce sont des commerçants dont la police surveille le commerce, le plus légitimement et le plus légalement du monde, - et qui s'insurgent.

Ils s'insurgent au nom de la liberté de la pensée, et de la dignité de l'art... La plaisanterie est bonne ; et ces messieurs oublient, ou feignent d'oublier que les temps sont bien changés, et que le métier qu'ils font ne peut guère être décemment comparé à celui où plusieurs de leurs devanciers s'illustrèrent.

Ceux-là, en effet, eurent peut-être - pendant quelques mois le droit d'invoquer le privilège de l'art, et de parler de liberté. On se rappelle leurs débuts. Montmartre était un coin ou un sommet ignoré du reste de Paris, et où, chaque soir, s'assemblaient, en cénacles fermés, des gens de lettres, des chansonniers, des artistes. En ces milieux de jeunesse insouciante et frondeuse, la satire des hommes et des événements du jour se donnait librement carrière. Elle s'étalait aux murs, en croquis hardis, ou sur les panneaux des lanternes magiques, en ombres d'un dessin savant et délicat ; elle s'épanouissait en strophes somptueusement rimées, ou se déchaînait en couplets fous. Et peu à peu le champ d'inspiration s'élargit; et Montmartre chanta l'amour, évoqua la grande Histoire ; Montmartre eut ses compositeurs de romances, ses poètes du pavé et du ruisseau, ses « découpeurs » de légendes mystiques. C'était charmant.

Si charmant que, d'en bas, Paris s'émut. Les « philistins» voulurent voir... On consentit donc à leur entre-bâiller quelques portes. Ils s'y précipitèrent.

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