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CHRONIQUE

La semaine sainte.

Mme Clara Ward restera chez elle.

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spectacles religieux. A l'Odéon, la Rose du pauvre, un acte en vers de M. Jean Richepin. A la Renaissance, la Samaritaine, trois tableaux en vers de M. Edmond Rostand. Avant les Salons les pastellistes, les peintres-graveurs, l'exposition de photographie. La guerre entre la Turquie et la

:

En Orient.

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Grèce. Les vacances.

entre

Les tristesses du Carême et de la Semaine Sainte ont pris fin, et Pâques a lui si tard cette année les nuages qui roulent sur la face changeante du ciel en ce printemps capricieux et boudeur. Le scandale promis aux Parisiens pour le Jeudi Saint leur a été épargné; l'officieuse intervention du préfet de police a facilement convaincu Mme Clara Ward, et surtout l'entrepreneur qui la devait exhiber, des inconvénients qui pourraient résulter de cette exhibition, et dont le plus sûr était, après le tumulte prévu de la première séance, la fermeture obligée, pour raison d'ordre public, de la salle où se donnerait ce beau spectacle. On comptait bien sur le scandale pour corser la recette, et la censure n'y pouvait rien. Mais on comptait sans la police qui pouvait ensuite pour cause de scandale fermer l'établissement. Ah! non, ce n'est vraiment pas à faire au moment où la province et l'étranger affluent à Paris, les FoliesBergère restent ouvertes, et la princesse devra renoncer à l'art et se consacrer tout entière à Rigo.

On ne voudra pas insister sur le sentiment de soulagement avec lequel le public a appris la solution négative de cet incident, on risquerait d'en tirer des conséquences exagérées, mais il est bon pourtant de le noter. Par contre il paraîtrait vain de vouloir extraire un enseignement ou un renseignement quelconque du grand nombre de spectacles soi-disant religieux qui furent montés pendant cette même Semaine Sainte. Elle a ses poètes spéciaux dont les noms et les œuvres reparaissent chaque année à cette occasion, M. Haraucourt, M. Armand Silvestre, M. Grandmougin, d'autres encore, versificateurs d'une rhétorique et d'une prosodie inégalement expertes, mais chrétiens et mystiques d'une égale sincérité sans doute. Cette fois M. Richepin a pris rang parmi ces enfants de chœur; oui, M. Richepin lui-même, et quel temps fut jamais si fertile en miracles? est touché de la grâce. Pour le Vendredi Saint, il ajouta un épilogue à son Chemineau. Cet épilogue, c'est la Rose du pauvre, la rose que reçoit d'un ange, qui en accompagne le don d'un discours édifiant, le Chemineau mourant sur sa grand'route. Vous entendez bien tout de même que cette sorte de sixième acte n'emprunte rien de précis aux circonstances de la vie du Christ et ne s'inspire que vaguement de sa parole. C'est une amplification poétique qui ne se recommande pas absolument de l'actualité religieuse, si l'on peut ainsi parler. M. Edmond Rostand a eu plus d'audace, et sa pièce la Samaritaine, qui met en scène Jésus, est qualifiée sur l'affiche d' « Évangile en trois tableaux » . A la lecture, plus d'un passage en est choquant et de ton faux, d'une versification d'ailleurs forcée et pénible. Le très grand succès qu'elle a eu à la représentation ne peut s'expliquer que par le prestige de la mise en scène et par la merveilleuse diction et les artifices de Mme Sarah Bernhardt.

Quand paraîtra cette chronique, le Salon des ChampsÉlysées et le Salon du Champ de Mars seront ouverts. Le premier a pris cette année de l'avance sur son concurrent et a fait aux visiteurs de province, en même temps qu'aux Parisiens, cette agréable surprise de fixer son vernissage au lundi de Pâques. On a même dit à ce propos qu'il était question d'organiser toutes les semaines des trains de plaisir pour le vendredi, qui est, comme on le sait, le jour chic. C'est une idée à mettre en pratique tout au moins l'an prochain. Ce n'est point, en effet, le jugement des délicats et des connaisseurs qu'on sollicite, ni leur suffrage qu'on recherche; c'est uniquement la recette dont on se préoccupe, et rien ne doit être négligé de ce qui peut remplir la caisse. Mais avant d'en venir aux Salons, il convient de jeter un rapide coup d'œil sur les expositions de ce mois d'avril, et je ne les saurais d'ailleurs même énumérer toutes. Celle des Pastellistes est depuis longtemps cotée comme l'une des plus élégantes et des plus agréables à visiter. On peut seulement regretter que les exposants ne s'y limitent pas avec plus d'exactitude aux seuls moyens du pastel et s'aident de toutes sortes de ressources qui en falsifient la technique; on éprouve aussi quelque ennui à la longue de voir chaque année leur talent se répéter. M. Ménard, dont le progrès est constant et réfléchi, expose des œuvres d'une poésie à la fois exquise et grave. M. Desvallières ne se dégage pas de curieuses et érudites recherches, mais cette recherche même est des plus intéressantes. M. Besnard, M. René Billotte, M. Lagarde, M. Lévy-Dhurmer, M. Jean Veber, M. Charles Léandre (dont il faut signaler aussi l'exposition, d'une si vive et plaisante humour, à laquelle

le Figaro avait son prêté salon) varient d'études et de tendances diverses l'intérêt et l'agrément de cette collection de pastels. Passons de la galerie Georges Petit à la Bodinière et des pastellistes aux peintres-graveurs, Mais nous avons à peine le temps d'y relever les noms de MM. Bracquemond, Helleu, Besnard, Fantin-Latour, du regretté Henri Guérard, qu'il faudrait courir au Palais des arts libéraux, au Champ de Mars, où exposent les Indépendants. Nous nous arrêterons en route et n'irons

pas

jusque-là. Entrons donc à la galerie des Champs-Élysées où les amateurs photographes nous convieront à visiter leur quatrième exposition. Elle en vaut la peine, et je ne me fais point scrupule de la ranger parmi les petits salons artistiques. Le choix et la disposition des sujets, le soin minutieux du tirage font de certaines épreuves exposées là de véritables et surprenantes œuvres d'art. Je crois, du reste, qu'il faudrait citer à peu près tous les noms des exposants; si l'on doit faire un choix, on signalera particulièrement les photographies envoyées par M. Demachy, M. Brémart, M. CraigAnnan, M. Louis Malatier, M. Crooke, M. Bucquet, etc.

* *

La diplomatie européenne, ou, si vous voulez, la fédération ou le concert européen, n'ont point su empêcher la guerre d'éclater entre la Turquie et la Grèce. C'est un beau succès dont l'Europe peut se flatter. A la suite des incursions répétées des Grecs au delà des frontières, et après avoir fait preuve d'une patience dont il lui devra être tenu compte, la Turquie a, le 17 avril, déclaré la guerre à la Grèce, et les hostilités ont aussitôt commencé officiellement. Les puissances paraissent décidées à se désintéresser, au moins apparemment, de la lutte, à moins que l'un des adversaires ne prenne un

avantage trop marqué. C'est ce qu'elles auraient de mieux à faire. Mais il faudra bien un jour qu'elles en viennent à l'irréparable aveu de leur impuissance collective et dénoncent cette absurde fiction du concert européen. Il faudra donc que chacune prenne son propre parti et ne s'inspire que de son intérêt propre, comme paraissent l'avoir déjà fait l'Allemagne en soutenant la Turquie, et l'Angleterre s'il est vrai qu'elle ait poussé la Grèce à agir et s'en soit ainsi fait, quoi qu'il arrive, une cliente pour demain. Ces graves événements n'ont du reste pas troublé le répit qu'apporte Pâques aux travaux et aux soucis de la vie, et chacun en ces quelques jours s'est empressé de quitter la ville pour les champs. C'est ainsi qu'il me faut sans doute demander pardon à mes lecteurs de la hâte de cette chronique écrite à côté d'une valise entr'ouverte et d'une bicyclette impatiente, et comme au son du sifflet de la locomotive.

CLAYEURES.

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