UN DOUBLE AMOUR (Suite) LIVRE DEUXIÈME I Christine, toute frêle, se faisait habiller. Son regard, méfiant, trop perspicace, épiait la femme de chambre. Elle doit être désappointée ! Flamande brune, fine sous du hâle, celle-ci réalisait une manière de silhouette aristocratique avec laquelle contrastait son geste court et gauche. Ses yeux respiraient la révolte, la vanité vite piquée, l'entêtement. Bien désappointée !... Elle jetait des étoffes pâles sur la convalescente, s'enfermait dans une soumission hypocrite. D'ailleurs, la jeune femme ne se trompait pas. A ce premier lever après la maladie, la servante songeait à la grosse somme dont la résurrection de sa maîtresse la frustrait. Christine tomba dans une rêverie déprimante : rison ! Personne... personne qui soit heureux de ma gué Et la phrase, intérieurement, roula, se répercuta. Un instant! fit la jeune femme, interrompant sa toilette. Elle s'assit, regarda vers la ruelle de son lit, d'une façon suppliante, égarée. La sensation de la maladie revint à sa mémoire, les heures de l'abîme où elle se sentait dissoudre dans l'indéfinissable, où ses mains jointes se levaient, où sa voix criait la fièvre et les tor tures. Elle s'irrita, pleine d'une moquerie amère : Tu ne sais décidément pas habiller une revenante, ma pauvre Mathilde... Ce rose sur ce jaune cette batiste, c'est navrant!... avec Elle jeta les étoffes d'un geste faible et pitoyable. Dans toute sa tête, ce fut un remous confus, des idées sans liaison, tombant comme de petites pierres sur une flaque d'eau. Tu devrais être plus avisée avec les yeux que tu as, ne pas mettre sur un pauvre squelette ce que tu mettrais sur ta tête de brune. Tiens, donne... ainsi... le fichu doit bouffer, la dentelle éclairer et cacher à la fois... les cheveux sortir en lumière... tiens! La domestique retenait des paroles vives; ses tempes d'entêtée s'enflèrent. Christine alors prit un ton âpre, chaque syllabe tombant comme une goutte d'acide. -Tu aurais à vêtir une gardeuse de dindons que tu n'y mettrais pas plus de criard. Songe que c'est une ombre que tu as à recouvrir avec des nuages. Dentelles, batiste gisaient autour de la silhouette gracile, les grands cheveux tombés en nappes. La jeune femme montrait une grâce diaphane. Elle parut tissée de fleurs d'amandier, de lueurs de fontaines matinales; les vêtements pâles flottèrent comme des écumes sur son corps mince. Ses yeux étaient clairs, apeurés. Va-t'en, dit-elle plus doucement à sa femme de chambre... Puis, comme l'autre s'en allait, tête basse : Elle s'en irait! Avance un fauteuil. Deux secondes encore, la chambrière se contint, le cou grossi, la langue comme un ressort en arrêt; puis elle cria : - Ce n'est pas moi qui ai quelque chose... C'est madame... Tais-toi ! J'aime autant... - Je ne suis pas un chien et je ne suis pas une bête non plus... Je sais très bien habiller. Mon autre maîtresse me l'a toujours dit. Ton autre maîtresse n'avait pas de goût... Je demande pardon, elle avait autant de goût que madame! Tu es une insolente! Madame, bien sûr, ne pense pas ce qu'elle dit! La jeune femme, indécise, les nerfs détendus, tout accablée, entre les larmes et la fureur, s'écria : Sans cœur! Si tu avais un peu de cœur, est-ce que tu répliquerais en ce moment? L'autre, les pommettes encore rouges, s'arrêta confuse et tremblante; ses yeux s'éteignirent. Elle balbutia : Madame sait bien... Qu'est-ce que je sais? Madame sait bien que c'est plus fort que moi... Madame sait bien que je lui suis dévouée corps et âme. Et la pensée amère qui avait amené toute la scène échappa à sa faiblesse : Va, tu serais trop contente de me voir morte, maintenant que tu sais être dans mon testament... Oh! madame! La bonne pâlit, rougit, indignée, navrée. — Protes |