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gligemment, retombaient un peu en désordre sur son cou. Elle vit la figure bouleversée de Jean et perdit elle-même contenance. Dans son désarroi, elle ne songeait même pas à se relever et demeurait à genoux près

de la caisse.

- Pardon de mon indiscrétion, madame, balbutia Serraval. M. Divoire est-il encore ici?

—Non, répondit-elle en plongeant sa tête dans la malle pour cacher son trouble. Il est parti ce matin... Vous aviez à lui parler?

J'ai oublié de lui rendre quelques pièces qu'il m'avait confiées... Puis-je vous les remettre?

Il cherchait péniblement ses mots, surpris d'en trouver encore pour bâtir un mensonge à peu près acceptable. Simonne n'y prenait pas garde. Depuis la veille, elle souffrait du même mal; elle était torturée par le même regret de s'être séparée de lui sans avoir pu dire autre chose que des paroles banales. Et, à ce moment, elle maudissait la contrainte que leur imposait la présence de la femme de chambre; comme lui, elle était possédée. par un irrésistible désir de parler à cœur ouvert. Toute frémissante, elle se leva en murmurant :

Moi aussi, j'ai oublié de vous rendre des livres que vous m'aviez prêtés... Venez, que je vous les donne !

Elle entra dans le salon, dont les meubles étaient couverts de housses et où les volets étaient déjà clos. Jean l'y suivit. Elle referma vivement la porte, et tout d'un coup la volonté à l'aide de laquelle, depuis des mois, ils violentaient leur cœur, s'affaiblit comme si ses ressorts étaient usés. Une impulsion impétueuse les poussa l'un vers l'autre. Jean tendit ses bras, et Simonne s'y précipita, éperdue, laissant tomber sa tête sur l'épaule de son ami. Serraval étreignait plus tendrement la taille souple et libre de la jeune femme,

dont le corps tressaillait tout entier. Leurs visages se touchaient, leurs lèvres essayaient des baisers timides encore, mais exquis... Ah! ce muet embrassement dans le salon aux volets clos, quel délice infini!...

Ils s'y oubliaient tous deux et commençaient à perdre la tête. Le pas de la servante dans le vestibule les arracha à cette troublante folie.

Allez-vous-en, suppliait Simonne; laissez-moi ici... Je n'oserai jamais vous revoir en plein jour.

Je vous aime! répétait-il.

Il essayait de la ressaisir, mais elle reculait effarée et murmurait d'une voix éteinte :

Partez! Adieu! adieu!...

Effrayé de son effroi, il redouta de la compromettre aux yeux de la femme de chambre, et obéit. Il se glissa dehors et se retrouva tout brûlant de tendresse, tout ébloui d'amour, sur le chemin des Charvines.

ANDRÉ THEURIET.

(A suivre.)

LES GENS DE HEMSOE

(Suite)

Après le repas de midi, où les deux eiders, cuits dans du lait, avec du poivre de Cayenne, figurèrent comme plat de résistance, les hommes allèrent faire la sieste. Carlsson tira de sa malle son livre de psaumes et fut s'asseoir dans la cour, sur une pierre, le dos à la fenêtre, de telle façon que la vieille en fut enchantée. Il ne tarda pas toutefois à pencher la tête et à tomber dans un demi-sommeil.

Quand il fut resté ainsi assez longtemps pour donner apparence à ce qu'il voulait établir, il se leva et, sans frapper, entra dans la salle, poussé par le désir de se faire montrer la chambre où il devait dormir. La vieille voulait gagner du temps, prétextant qu'il fallait d'abord la nettoyer et la mettre en ordre. Mais Carlsson insista et fut enfin conduit à une sorte de petit grenier sous les combles, dont un store rayé de bleu couvrait l'étroite croisée. Un lit s'y trouvait, ainsi qu'une petite table et un pot à eau. Au mur étaient suspendus des objets que le drap blanc qui les protégeait faisait supposer être des vêtements, ce que confirmait un second coup d'œil, car ici dépassait une basque d'habit et là une jambe de pantalon. En dessous, s'alignait tout un escadron de chaussures d'homme et de femme, confusé

ment mêlées. Et, près de la porte, on apercevait une énorme malle, toute bardée de fer, avec une serrure de cuivre.

Carlsson leva le store et ouvrit la fenêtre, afin de chasser l'odeur étouffante d'humidité, de camphre, de poivre et d'absinthe.

Puis il posa sa casquette sur la table et déclara qu'il serait là parfaitement. Et comme la vieille exprimait ses craintes que le froid eût une influence fâcheuse sur sa santé, il protesta qu'il avait l'habitude de coucher dans une chambre froide, une raison suffisante à elle seule pour qu'il dût renoncer à dormir dans la cuisine.

La vieille, du moins, voulait avoir le temps de débarrasser les vêtements, à cause de l'odeur du tabac. Mais il promit solennellement de ne pas fumer. La mère ne devait se déranger pour lui en aucune façon. Il se glisserait promptement entre ses draps le soir et ferait son lit le matin. Personne n'aurait besoin d'entrer dans la chambre, car il comprenait très bien que la mère prît souci de ses affaires, d'autant qu'il paraissait y avoir là nombre de belles choses.

Après avoir vaincu la résistance de la vieille, Carlsson redescendit, monta sa malle en haut, suspendit sa jaquette et sa gourde à un clou et rangea ses bottes près de celles qui se trouvaient déjà là.

Cependant, le soir commençait à tomber. Le soleil se couchait dans un voile de nuages qui, bientôt dissipé, couvrit le ciel de petites nuées légères. L'air était encore tiède. Carlsson, laissant aller ses pas à l'aventure, traversa la prairie et parvint dans l'enclos aux chevaux. De là il s'enfonça sous les noisetiers en fleur, à peine encore à demi feuillus, qui formaient une allée couverte au-dessus du chemin creux conduisant vers la grève.

Il s'arrêta soudain. Entre les branches, il venait d'apercevoir Gustave et Norman qui, à l'autre bout du

chemin, se tenaient adossés à un rocher, le fusil sur l'épaule et prêts à tirer, jetant de toutes parts des regards autour d'eux.

- Chut! Le voici! chuchota Gustave, assez haut toutefois pour que Carlsson l'entendît. Et, croyant qu'il s'agissait de lui, celui-ci, instinctivement, se glissa à l'abri des buissons.

Mais, par-dessus les jeunes pins, un oiseau passa lentement, d'un vol endormi et lourd, et juste derrière lui un second parut.

On entendit dans l'air un cri d'oiseau, puis un paff! paff! partit des deux fusils, tandis que le plomb et la fumée sortaient du canon en nuage épais.

Les branches d'un bouleau craquèrent, et une bécasse vint tomber à terre, à la distance d'un jet de pierre de Carlsson.

Les chasseurs accoururent et ramassèrent leur butin. Il a son compte, dit Norman en lissant les plumes de l'oiseau encore tiède.

- Je connais quelqu'un à qui je ne serais pas fâché de régler aussi le sien, répliqua Gustave, qui, en dépit de sa fièvre de chasseur, ne laissait pas d'être rempli d'autres pensées. Imagine-toi, ce personnage, qui doit maintenant coucher seul dans la chambre d'en haut!

man'.

-

Non, vraiment, il va coucher là? demanda Nor

Oui, et mettre ordre à tout, paraît-il! Comme si nous ne savions pas vingt fois mieux que lui ce qu'il convient de faire! Mais c'est la vieille histoire : les balais neufs balayent toujours bien. Tant qu'ils sont neufs, s'entend. Mais qu'il attende seulement un peu, et je lui montrerai de quel bois je me chauffe. - Chut! Voici l'autre oiseau!

Les deux chasseurs rechargèrent leur arme et retournèrent à leur ancienne place. Carlsson se glissa hors de sa cachette sans avoir été aperçu, résolu d'accepter

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