Page images
PDF
EPUB

On peut ajouter qu'en effet l'occupation, dans une société avancée, ne pourrait être qu'une source de violences et de désordres; tandis que l'attribution à l'État de tous les biens sans maître, en même temps qu'elle garantit la paix publique, est aussi plus équitable, en ce qu'elle profite à tous les membres de la société, dont l'État est le commun représentant.

Ces considérations sont certainement très-graves; il faut même en adopter, de tout point, la conclusion, en ce qui concerne les immeubles, et aussi, comme nous allons le dire les universalités de meubles.

Les termes généraux des articles 539 et 713 comprennent, en effet, tous les biens immeubles. M. Siméon a même formellement déclaré que ces articles avaient surtout en vue cette espèce de biens; et comme aucun article ne les a modifiés sous ce rapport, ils doivent être appliqués, quant aux immeubles, dans toute leur étendue. De quelque manière donc qu'un immeuble se trouve actuellement ne point appartenir à un particulier, il devient et il demeure la propriété de l'État, tant qu'il n'a pas été valablement aliéné, ou que la propriété n'en a pas été prescrite contre lui (art. 541).

C'est ordinairement des immeubles provenant des successions en déshérence, que l'État acquiert ainsi la propriété (comp. art. 539, 723, 768; voy. aussi l'article 33 aujourd'hui abrogé); car il faut remarquer que les articles 539 et 713 ont surtout en vue une masse, un ensemble de biens, et non pas des choses considérées individuellement, c'est-à-dire les choses qui peuvent seules aujourd'hui faire l'objet du droit d'occupation. L'abandon d'un immeuble pro derelicto est d'ailleurs difficilement supposable; toutefois, si cette hypothèse se présentait, ce serait encore

à l'État que l'immeuble désormais sans maître appar

tiendrait.

Il peut arriver, il est vrai, que le produit de certains immeubles soit insuffisant pour acquitter la contribution à laquelle ils sont soumis, tels que les terres vaines et vagues, les landes et bruyères, et les terrains habituellement inondés ou ravagés par les eaux; mais, précisément pour ce cas spécial, la loi du 3 frimaire an vi dispose que les particuliers ne peuvent s'affranchir de la contribution à laquelle ces fonds devraient être soumis, qu'en renonçant à ces propriétés au profit de la commune dans laquelle elles sont situées (art. 65, 66; comp. Proudhon, du Domaine privé, t. I, no 407).

18. Quant aux biens meubles, vacants et sans maître, les articles 539 et 713 les attribuent égalelement, en règle générale, à l'État; c'est particulièrement aussi en ce qui concerne les universalités de meubles, c'est-à-dire les meubles provenant des personnes qui décèdent sans héritiers, ou dont les successions sont abandonnées, que cette attribution s'applique (comp. Pothier, de la Propriété, no 22; Duranton, t. IV, n° 269).

Mais la règle est-elle, pour les meubles, aussi absolue que pour les immeubles?

On l'a enseigné ; et on en est ainsi venu à dire (comme il le fallait bien dans cette théorie!) que le lièvre qui court dans les champs, et le poisson qui nage dans l'eau courante, et l'oiseau qui vole dans les airs, sont la propriété de l'État! (Comp. Zachariæ, Aubry et Rau, t. I, p. 353 et 419, et notre t. IX, n° 461.)

De telles propositions ne sont évidemment pas admissibles; et la vérité est qué le savant auteur que nous venons de citer, ne les admet pas non plus lui

même; car il ajoute « qu'il est permis aux particuliers de s'approprier, par prise de possession, certaines choses (telles que le gibier et le poisson), qui appartiennent de plein droit à l'État. » (Loc. supra, cit.)

Il nous paraît beaucoup plus simple et plus exact de dire que certaines choses, au contraire, n'appartiennent pas à l'État, et sont encore aujourd'hui considérées comme des choses nullius, à l'égard desquelles l'occupation est toujours un moyen d'acquérir, non pas dérivé, mais originaire.

La preuve en résulte d'abord des travaux préparatoires. L'article 2 du projet de la Commission était, en effet, ainsi conçu :

« La loi civile ne reconnaît pas le droit de simple occupation.

« Les biens qui n'ont jamais eu de maître, et ceux qui sont vacants comme abandonnés par leurs propriétaires, appartiennent à la nation; nul ne peut les acquérir que par une possession suffisante pour opérer la prescription. » (Fenet, t. II, p. 124.)

Mais le tribunal d'appel de Paris présenta sur cet article l'observation suivante :

« Nous n'approuvons qu'on dise, d'une manière si crue et si générale, que la loi civile ne reconnaît pas le droit de simple occupation, et que les biens qui n'ont jamais eu de maître, appartiennent à la nation. Il y a des choses qui n'appartiennent à personne, et que les jurisconsultes appellent res communes, res nullius. Entend-on soustraire aux particuliers la faculté d'acquérir ces choses pour les donner exclusivement à la nation? Est-ce qu'un particulier qui va puiser de l'eau à la rivière, n'acquiert pas le domaine de l'eau qu'il y a puisée, et dont il a empli sa cruche? Les pierres, les coquillages qu'on ramasse sur le bord de

la mer, n'appartiennent-ils pas à celui qui s'en saisit? On peut citer cent exemples pareils. » (Fenet, t. II, p. 212.)

Et c'est d'après ces observations, si pleines de vérité, que la première partie de l'article 2 du projet fut entièrement retranchée, et que la seconde partie fut modifiée et ramenée aux termes de la disposition, qui forme aujourd'hui notre article 713. Donc, malgré la généralité, trop grande encore sans doute, de ses termes, cet article n'attribue pas à l'État, absolument et sans distinction, tous les biens qui n'ont pas de maître; car, s'il en était ainsi, on ne s'expliquerait pas les changements que le projet de la Commission a subis. Bien plus! les articles suivants, 714, 715, 716 et 717, se trouveraient en contradiction flagrante avec l'article 713. Ce dernier argument serait, à lui seul, décisif; nous allons voir, en effet, que les articles 714 à 717 consacrent l'occupation comme manière d'acquérir; et dès lors, il est impossible de nier que l'étendue apparente de l'article 713 ne soit restreinte par les articles suivants, qui ont été précisément ajoutés dans ce but (comp. Toullier, t. II, no 475).

Concluons donc que l'occupation est encore, dans certains cas, un mode d'acquérir; et cette conclusion, dans les limites où nous allons voir qu'elle est renfermée, n'est pas moins conforme à nos textes qu'à la nécessité même et au bon sens.

19. « L'occupation, disait Pothier, est le titre par lequel on acquiert le domaine de propriété d'une chose qui n'appartient à personne, en s'en emparant dans le dessein de l'acquérir. » (De la Propriété, n° 20.)

L'occupation, en effet, exige deux conditions, comme la possession, dont elle n'est qu'un mode, à savoir : le fait, factum, c'est-à-dire l'appréhension corporelle; et

l'intention, animus, c'est-à-dire la volonté de s'approprier la chose (voy. notre t. IX, no 479).

En général, la prise de possession de la chose, corpore, est nécessaire. Il faut, comme disait encore Pothier, avoir mis la main dessus! Cette règle, toutefois, n'est pas absolue; nous croyons même qu'on formulerait plus exactement cette première condition de l'occupation, en disant que pour que l'occupation s'accomplisse, il faut que la chose soit au pouvoir de celui qui a la volonté de se l'approprier: « .... ut si in meam potestatem pervenit, meus factus sit.... » (L. 55, ff. de adq. rer. dom.)

20.

II.

Dans quels cas l'occupation est-elle admise?

SOMMAIRE.

On peut dire que l'occupation est admise comme manière d'acquérir dans cinq hypothèses, ou en d'autres termes, qu'il y a cinq espèces d'occupation.

-

20. Le Code Napoléon reconnaît l'occupation comme manière d'acquérir dans quatre hypothèses principales; ou mieux encore, on peut dire qu'il reconnaît quatre sortes d'occupation :

A. L'occupation, que nos anciens auteurs appelaient l'occupation simple, parce qu'elle ne porte aucun nom particulier (art. 714);

B. La chasse (art. 715);

C. -La pêche (art. 715);

D.-L'invention (art. 716, 717);

E.

butin

Enfin, on pourrait ajouter l'occupation du par la guerre, bellica.

Expliquons-nous sur ces différentes espèces d'occu

pation.

« PreviousContinue »