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égalités, qui résulteraient contre eux de la loi étrangère;

2' Que le prélèvement autorisé par l'article 2 de la loi de 1819 s'exercerait même sur les meubles, afin de les indemniser des exclusions ou des inégalités qu'ils subiraient sur les biens situés en pays étranger; tel nous paraît être l'esprit évident de la loi du 14 juillet 1819, qui s'applique, dans les termes les plus généraux, à toutes les successions et à tous les biens, en considérant non pas leur situation de fait, mais leur situation légale, pour atteindre sûrement, dans tous les cas, le but équitable qu'elle se propose; et M. Rossi ajoute encore fort justement que s'il n'en était pas ainsi, le législateur n'aurait rien fait; car qui ne sait que c'est principalement en biens meubles, en effets publics, en actions d'industrie, en marchandises, que les étrangers peuvent laisser, en mourant, une partie considérable de leur fortune en France. (Comp. Cass., 27 août, 1850, Chanten, Dev., 1850, I, 647; Cass., 21 mars 1855, Galitzin, Dev., 1855, I, 273; Cass., 20 déc. 1856, Gomez, Dev., 1857, I, 257; Rossi, Encycl. du Droit, v° Aubaine, no 19; Valette sur Proudhon, t. I, p. 99; Ducaurroy, Bonnier et Roustaing, t. III, n° 421; Demangeat, de la condit. des étrangers, p. 403; Demante, t. III, n° 23 bis, IV; Massé et Vergé sur Zachariæ, t. II, p. 242.)

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207. Ce que nous venons de dire prouve assez que, sous cette dénomination des biens meubles laissés par l'étranger en France, nous comprenons non pas seulement le mobilier corporel, mais encore le mobilier incorporel, les créances, les rentes, les actions, etc.

Cette doctrine ne peut souffrir aucune difficulté, en ce qui concerne les créances quelconques, dont le dé

biteur est Français, ou du moins domicilié en France; car les créances, qui par elles-mêmes n'ont pas de situation materielle, quæ nullo continentur loco, sont réputées, en droit, situées au lieu du domicile du débiteur, c'est-à-dire dans le lieu où le créancier doit venir, en général, chercher le payement, et dont la juridiction serait compétente en cas de poursuites judiciaires; toutes les créances dont le débiteur est Français, doivent donc être considérées comme des valeurs françaises, ou, en d'autres termes, comme des meubles situés en France (comp. notre t. IX, n° 329 et suiv.; Demante, t. III, no 37 bis, V.).

Mais la Cour de cassation a encore été plus loin; et elle a décidé que le prélèvement autorisé par la loi du 14 juillet 1819 pouvait s'exercer même sur les valeurs payables en pays étranger, quand les titres de ces créances ont été laissés en France par le défunt (21 mars 1855, Galitzin, Dev., 1855, I, 273). On pourrait objecter que, d'après le principe même que nous venons de rappeler, ce sont là des valeurs étrangères; et la Cour de cassation elle-même a jugé que les valeurs, qui ont leur siége en pays étranger, parce que le débiteur est étranger, ne donnent lieu, en France, à aucun droit de mutation par décès (comp. Cass., 23 janv., l'Adm. de l'enregist., et 2 juill. 1849, mêmes parties, Dev., 1849, I, 193 et 640). Mais il faut répondre que la loi d'impôt est un statut réel, qui ne peut franchir la frontière pour atteindre, à l'étranger, des sommes dues, en vertu des titres existant en France; tandis que l'article 2 de la loi de 1819 ne renferme, en réalité, aucune question de statut, ni réel ni personnel; son but essentiel est de rétablir, autant que possible, l'égalité dans le partage de la succession entre les cohéritiers français et les cohéritiers étrangers; et c'est se conformer à sa pensée que d'autoriser

ce prélèvement équitable, même sur les valeurs étrangères dont le titre se trouve en France, et d'ordonner la remise de ce titre à l'héritier français, pour le faire valoir ainsi qu'il avisera.

208. Reste l'hypothèse où la succession seraitcomposée tout à la fois de meubles et d'immeubles situés en pays étranger et en France.

Mais au point où nous en sommes, cette hypothèse est déjà pour nous résolue par avance; il est clair que cette succession devra être considérée comme un seul tout, et que le prélèvement autorisé par l'article 2 de la loi de 1819 s'exercera sur les biens, meubles et immeubles, situés en France, afin d'indemniser les cohéritiers français des exclusions totales ou partielles qu'ils subiront sur les biens, meubles ou immeubles, situés en pays étranger (comp. Duvergier sur Toullier, t. II, p, 102, note a).

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209. B. Notre seconde question est de savoir comment et de quelle manière s'exerce le prélèvement autorisé par l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 (supra, no 197).

Il faut d'abord déterminer l'étendue des prélèvements à exercer; et, à cet effet, on réunit fictivement en une seule masse tous les biens du défunt, tant ceux qui se trouvent en pays étranger que ceux qui se trouvent en France; tous ces biens forment, comme dit notre texte (art. 2), une même succession, dont le partage doit être fait entre les cohéritiers étrangers et français. C'est sur cette masse que l'on calcule les droits respectifs des héritiers (comp. le rapport de M. Boissyd'Anglas, Locré, Législ., civ., t. X, p. 526, 527; Cass., 16 févr. 1842, Bouffier, Dev., 1842, I, 714; Grenoble, 25 août 1848, Chanten, Dev., 1849, II, 257; Cass., 9 janv. 1856, Gomez, le Droit du 10 janv. 1856; Duvergier sur Toullier, t. II, n° 102, note a).

Il est vrai que la Cour de cassation décide, en matière d'enregistrement, que lorsqu'une succession se compose de biens situés partie en pays étranger et partie en France, les biens de France doivent être considérés comme formant une succession à part; mais c'est là une matière spéciale; et cette exception ne doit être, en conséquence, admise que pour ce qui concerne les droits de mutation (comp. Cass., 29 août 1848, l'Adm. de l'enregist., Dev., 1848, I, 624, et les conclusions de M. l'avocat général Hello, à l'audience du 16 févr. 1842, Dev., 1842, I, 717).

210. Lorsque l'exclusion, totale ou partielle, que le cohéritier français subit en pays étranger, provient d'une disposition faite par le de cujus, qui n'est pas valable en France, parce qu'elle attenterait, par exemple, à la réserve telle que nos lois l'ont fixée, il paraît juridique et équitable que le prélèvement ne s'opère, sur les biens situés en France, qu'aux dépens de la portion qui reviendrait, sur les biens de France, aux héritiers avantagés, qui seuls ont profité de cette exclusion; il ne se justifierait effectivement par aucune cause, en tant qu'on voudrait l'exercer sur la part des héritiers non avantagés (comp. Grenoble, 25 août 1848, Chanten, Dev., 1849, II, 257; Cass., 27 août 1850, mêmes parties, Dev., 1850, I, 647; Massé et Vergé sur Zachariæ, t. II, p. 242).

211. M. Rossi a enseigné que, dans le cas où les biens situés en France ne suffiraient pas pour compenser la valeur des biens situés en pays étranger, dont le cohéritier français aurait été exclu, celui-ci aurait une action personnelle contre ses cohéritiers, sur les biens qu'ils posséderaient en France ex alia causa, pour obtenir ce qui manquerait à son lot; et que même cette action devrait lui être accordée, a fortiori, lorsque, faute de tout bien en France, il n'au

rait pu rien obtenir (Encycl. du Droit, vo Aubaine, n° 20).

Mais cette opinion nous paraît tout à fait inadmissible:

1° Parce que, d'après le texte même de l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819, c'est sur les biens mêmes de la succession, sur les biens situés en France, que le prélèvement peut s'exercer, et que la loi accorde seulement ainsi aux cohéritiers français une part héréditaire plus forte sur ces biens, sans les constituer, en aucune façon, créanciers personnels de leurs cohéritiers;

2° Parce qu'en effet, ce système de prélèvement ne constitue qu'un règlement et un mode de partage de la succession elle-même, et que dès qu'il n'y a plus de biens en France, et a fortiori lorsqu'il n'y en a jamais eu, il n'existe, en France, aucune succession à régler ni à partager.

212. Remarquons, en terminant, que la loi du 14 juillet 1819 a été étendue aux colonies françaises par une ordonnance du 21 novembre 1821, sauf toutefois l'ancienne réserve d'un édit de juin 1783, d'après lequel les étrangers héritiers ne peuvent exporter des colonies les objets servant à l'exploitation des habitations et les esclaves de toute espèce de destination (comp. Legat, Code des étrangers, p. 21).

213.

SECTION II.

QUELLES SONT LES CAUSES D'INDIGNITÉ?

SOMMAIRE.

On reconnaissait autrefois, indépendamment des causes d'incapacité, des causes d'exclusion. — Lesquelles?

214.

-

Suite. De l'exclusion qui résultait des renonciations à une succession future.

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