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le droit commun de presque toute la France. Le principe s'en trouve énoncé dans le texte d'une foule de coutumes que l'on peut consulter (1). Quelques-unes seulement ne permettaient pas au mari de disposer des acquêts par donation, Du reste, son droit d'aliéner et de disposer était tellement absolu et tellement illimité, que les coutumes défendaient de lui demander compte des aliénations qu'il avait faites.

L'art. 424 de la Coutume de Bretagne porte que « les meubles et acquêts sont à la disposi» tion du mari, et en peut faire sa volonté........ j » et n'auront la femme ni ses hoirs, après le dé» cès du mari, fors d'autant qu'ils trouveront >> desdits biens au tems du décès; et ne doit-on » faire ne ouïr compte de ce que le mari aurait » fait des biens meubles par avant sa mort. » Cette défense est copiée du chap. 214 de la très-ancienne Coutume de Bretagne, rédigée en 1330 (2).

Le mari était donc, pendant le mariage, propriétaire absolu des biens meubles et des acquêts. Il pouvait les aliéner, les perdre, les jouer, sans en devoir compte à qui que ce soit. En un mot, il avait dans sa plénitude le jus utendi et abutendi,

(1) Voy. Duparc-Poullain, conférence sur l'art. 424 de la Coutume de Bretagne, no. 5 ct 6.

(2) Les coutumes notoires qui furent rédigées dans le même siècle, ont sur la propriété des acquêts, déférée au mari, une disposition tellement précise, qu'il est bon de la rappeler ici. L'art. 175 porte :

«Si deux conjoints par mariage font aucun conquêt ensemble, le mari » est réputé pour vrai seigneur d'iceux, et en peut disposer et ordonner à » sa volonté, et ester sur iceux en jugement, convenir et être convenu

le droit d'user et d'abuser, qui caractérise essentiellement la propriété.

C'est ce qui a fait dire à Dumoulin, sur l'art 25 de l'ancienne Coutume de Paris, que pendant le mariage le mari est seul propriétaire actuel des biens meubles et des acquêts: Constante matrimonio, solus actu dominus, propter autoritatem administrationis et alienandi potestatem. D'Argentré, dans son Aitiologie sur l'art. 424 de la nouvelle Coutume de Bretagne, dit aussi, en parlant des meubles, que la femme n'en a que l'usage; mais que quant au droit et à la disposition, ils appartiennent au mari. « Sunt ergò mobilia usu quidem communia, jure et dispositione propria mariti.»

76. Cependant ces mêmes coutumes, qui donnent si clairement au mari, constant le mariage, la propriété des biens, posent en principes que « homme et femme conjoints ensemble par mariage, sont communs en biens meubles et conquêts immeubles, faits durant et constant le mariage, et commence la communauté du jour des épousailles et bénédiction nuptiale. >> Arti

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cle 250 de la Coutume de Paris.

Ainsi, deux principes qui semblent se contre

» pour raison d'iceux, et parce qu'il est vrai seigneur et administrateur, >> sans que sa femme y soit onge ne vue en aucune manière : et vaut ce que » par ledit mari est fait, sans icelle femme être appelée ou présente, et >> doit être réputé pour ferme et estable, tout ce que par ledit mari a été » ainsi fait. >>

Voy. aussi la 152. décision de Desmares. Ces deux ouvrages sont imprimés à la fin du Commentaire de Brodeau sur la Coutume de Paris.

:

dire 1°. les meubles et acquêts sont communs au mari et à la femme, à compter du jour du mariage; ce qui annonce une copropriété (1) commune et indivise.

2o. Le mari est seul propriétaire actuel, pendant le mariage, des meubles et des acquêts; il peut en disposer à sa volonté, sans le consentement de sa femme, et sans en devoir compte personne.

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77. Mais la contradiction disparaît, quand on considère que, par le droit de communauté donné à la femme, il ne faut entendre que l'espérance de devenir commune ou copropriétaire des biens seulement qui se trouveront exister à la dissolution du mariage, et dont le mari n'aura pas disposé auparavant. C'est ce qui résulte nécessairement de l'art. 424 de la Coutume de Bretagne : « L'homme et la femme sont communs » en meubles et acquêts, et néanmoins les meu

bles (et acquêts) sont en la disposition du mari, » et en peut faire sa volonté, et n'auront la femme » ni ses hoirs, après le décès du mari, fors d'au» tant qu'ils trouveront desdits biens au tems du » décès, et ne doit en faire ne ouïr compte de ce » que le mari aurait fait auparavant sa mort. »

(1) Commune. Se dit des choses que plusieurs possèdent par indivis, fort bien Ferrière, Dictionnaire de droit.

dit

Quod commune est meum est. Voy. loi 5, § Labeo, ff de legat., 1o. In his enim quæ communia sunt cum pluribus ut singulis, illud quod mihi cum alio communé est, verè ne propriè dicitur meum quantum ad partem meam attinet. Pontanus sur Blois, tom. II, pag. 201.

La femme, pendant le mariage, n'a donc 'point un droit de communauté ou de copropriété sur les meubles et acquêts, mais seulement l'espérance ou le droit éventuel de les partager un jour, si le mari n'en a pas disposé. Ce droit s'ouvre et devient actuel de plein droit, dit Dumoulin, sur l'art. 25 de l'ancienne Coutume de Paris, au moment de la dissolution du mariage: Et quamvis ista communio, pendente matrimonio, propriè non sit in actu, sed in credito et habitu, tamen, soluto matrimonio, ipso jure exit in actum et actualem dominii et possessionis communionem.

La communauté proprement dite, c'est-à-dire la copropriété actuelle des biens communs, ne s'ouvre donc réellement qu'au moment où finit la société conjugale, soluto matrimonio. Avant cette époque, la femine n'est point commune en biens ou associée; elle n'a que l'espérance de le devenir; non est propriè socia, sed speratur fore, ainsi que l'enseigne Pothier (1).

Si la femme, comme on ne saurait le nier, n'a qu'une espérance, elle n'est donc pas réellement et véritablement commune, car l'espérance n'est pas la réalité. Elle se trouve dans le cas d'un créancier conditionnel, à qui l'on aurait promis 3,000* sous la condition si tel navire arrive d'Asie. Le droit de la femme n'est même pas aussi fort; car le débiteur conditionnel ne peut, en aucune manière, faire évanouir l'espérance ou le droit éven

(1) Traité de la communauté.

tuel du créancier conditionnel, puisqu'il n'est pas en son pouvoir d'empêcher le navire d'arriver; aú lieu que le mari peut, à son gré, faire évanouir l'espérance de la femme ou son droit éventuel, en dissipant tous les biens qui auraient un jour composé la communauté.

Le droit du créancier conditionnel n'est subor donné qu'à une condition purement casuelle; lé droit de la femme à la communauté est subor donné à une condition potestative, qui annule rait une société ordinaire. Ainsi, dans la vérité, ce que nos coutumes ont appelé communauté n'est point une communauté véritable, et se réduit à ceci:

Les meubles de la femme et les revenus de ses immeubles propres sont mis au pouvoir du mari et confondus avec les siens ; il peut en disposer à son gré sans le consentement de sa femme, ainsi que des immeubles acquis pendant le mariage, sans en devoir compte à qui que ce soit ; et s'il n'en á pas disposé avant sa mort, la femme aura la moitié de ce qui restera de ces biens, en payant la moitié des dettes qu'il aura faites. Voilà ce que la plupart des coutumes ont fort improprement appelé communauté, régime de la communauté.

78. La Coutume de Blois s'est donc exprimée d'une manière bien plus exacte sur les droits de la femme. Elle s'est bien gardée de dire que les con joints sont communs en biens, qu'il y a communauté entre eux pendant le mariage. L'art. 178 porte: Constant le mariage de deux conjoints, tous » biens meubles, de quelque côté qu'ils leur soient

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