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Le maréchal. Le témoin avait sans doute les meilleures dispositions; mais je ne crois pas qu'il eût pu rassembler trois hommes. Ce que j'ai dit au général Lecourbe m'avait été suggéré par Bertrand; mais je n'en avais pas moins pris toutes les mesures nécessaires. J'ai invité les gardes d'honneur à marcher, et personne n'est venu. J'ai dit, il est vrai, que je ne voulais que des hommes francs et qui

iraient en avant.

:

Le président au témoin Pouviez-vous réunir un certain nombre de gardes d'honneur?

Le témoin. Oui, j'aurais eu des hommes trèsdévoués, notamment 109 hommes à cheval, des gardes d'honneur, et autres de bonne volonté.

Me. Berryer.Je prie monseigneur de demander. au témoin ce qu'il a entendu dire au général Lecourbe sur l'état des choses, sur les dispositions des troupes.

M. le président a adressé la question au té

moin.

Le témoin. Le général Lecourbe dit que le maréchal Ney parlerait à l'empereur pour les généraux; mais que, s'il voulait continuer à les tourmenter, et à régner en tyran, on trouverait bien le moyen de s'en défaire. Le général Lecourbe ajouta que nous ressemblions à l'empire romain dans sa décadence; et que, si l'empereur venait à être tué, il se

présenterait cinq à six généraux qui éleveraient leurs prétentions au trône.

M. Bellart. Le général Lecourbe a-t-il parlé au témoin des dispositions faites par le maréchal pour arrêter Bonaparte?

Le témoin. Le général m'a dit : Que voulez-vous faire quand les troupes ne veulent pas se battre? Mais, si j'avais commandé, il en aurait été autrement. On fait du soldat tout ce qu'on veut.

Le maréchal. Le général Lecourbe n'a pu tenir un discours aussi peu véridique. Les troupes étaient en marche d'après les ordres du ministre de la guerre, et sous la conduite de M. de Bourmont. Ce n'était donc pas un jeu d'enfant de les diviser pour les faire marcher en échelons. J'ai demandé qu'on fît venir cent mille cartouches en poste. Après cela, depuis huit mois, on peut avoir arrangé les dépositions pour dire que j'avais manigancé des ordres à l'effet d'éparpiller les troupes et les désorganiser.

M. Bellart. M. le Gagneur était-il présent à la conversation que vous avez eue avec les généraux Lecourbe et Bourmont?

Le témoin. En partie. Il est sorti pour faire apporter à manger au général Lecourbe, qui déclarait qu'il mourait de faim.

Sixième témoin. M. le comte de Bourmont,

lieutenant-général des armées du Roi, a déposé, après les interpellations d'usage, ainsi qu'il suit :

«< J'ai déjà fait à Lille une déclaration; mais la commisération qui s'attache toujours aux grandes infortunes, m'a porté à répondre simplement aux questions de la commission rogatoire. J'ai su de-. puis que le maréchal avait affirmé que j'avais approuvé la proclamation qu'il a lue aux troupes. Cette assertion m'oblige à des explications. Si elles ajoutent à la gravité du crime dont il est accusé, ce sera sa faute.

>> Jusqu'au 14 mars, les ordres donnés par le maréchal Ney, et transmis par moi, ont été ou m'ont paru conformes aux intérêts du Roi. Le 13 au matin, le baron Capelle, préfet du département de l'Ain, arriva à Lons-le-Saulnier de bonne heure, et vint m'apprendre que la ville de Bourg était insurgée; que le 72a. régiment avait arboré la cocarde tricolore malgré le général, malgré les of ficiers supérieurs. Je pensai que cette nouvelle devait être communiquée à M. le maréchal, et j'allai chez lui pour la lui annoncer. Le maréchal en parut assez fâché, ne me dit que peu de choses, qu'il pensait qu'on pouvait préserver les autres troupes de la contagion.

» Le 14 au matin, le maréchal m'ordonna de faire mettre le 8. régiment de chasseurs à cheval

en bataille, et de faire prendre les armes aux autres troupes, pour leur parler. Ensuite le maréchal me dit: Vous avez lu les proclamations de l'empereur, elles sont bien faites; ces mots, la victoire marche aupas de charge, feront un grand effet, sans doute, -sur le soldat: il faut bien se gårder de les laisser lire aux troupes. Sans doute, lui dis-je. Mais ça va mal, ajouta-t-il; n'avez-vous pas été surpris de vous voir ôter la moitié du commandement de votre division, et de recevoir l'ordre de faire marcher vos troupes par deux bataillons et trois escadrons? c'est de même dans toute la France, toute l'armée marche comme cela. C'est une chose finie absolument.

» Je ne l'avais pas compris; le général Lecourbe entra. Je lui disais que tout était fini, dit-il au général Lecourbe. Celui-ci parut étonné. Oui, ajouta le maréchal, c'est une affaire arrangée; il y a trois mois que nous sommes tous d'accord; si vous aviez été à Paris, vous l'auriez su comme moi. Les troupes sont divisées par deux bataillons et trois escadrons; les troupes de l'Alsace de même; les troupes de la Lorraine, de même; le Roi doit avoir quitté Paris, ou il sera enlevé; mais on ne lui fera pas de mal; malheur à qui ferait du mal au Roi! On n'avait l'intention que de le détrôner, de l'embarquer sur un vaisseau, et de le faire con

duire en Angleterre. Nous n'avons plus maintenant, continua le maréchal, qu'à rejoindre l'empereur. Je dis au maréchal qu'il était très-extraordinaire qu'il proposât d'aller rejoindre celui contre lequel il devait combattre. Il me répondit qu'il m'engageait à le faire, mais que j'étais libre. Le général Lecourbe lui répondit : Je suis ici pour servir le Roi, et non pas pour servir Bonaparte; jamais il ne m'a fait que du mal, et le Roi ne m'a fait que du bien. Je veux servir le Roi, j'ai de l'honneur. Et moi aussi, répondit le maréchal, j'ai de l'honneur; mais je ne veux plus être humilié; ne veux plus que ma femme revienne chez moi les larmes aux yeux, des humiliations qu'elle a reçues dans la journée. Le Roi ne veut pas de nous, c'est évident; ce n'est qu'avec Bonaparte que nous pouvons avoir de la considération; ce n'est qu'avec un homme de l'armée que l'armée pourra en obtenir. Venez, général Lecourbe; vous avez été mal traité, vous serez bien traité. Le général Lecourbe répondit que c'était impossible; qu'il allait se retirer à la campagne. Une petite discussion s'éleva entre eux enfin, une demi-heure après, il prit un papier sur la table. Voilà ce que je veux lire aux troupes, dit-il; et il lut la proclamation. Le général Lecourbe et moi, nous nous sommes opposés à ce qu'il voulait faire; mais persuadés que, si tout était

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