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13 mars, à Lons-le-Saulnier, où je savais qu'était le maréchal. Je me suis d'abord rendu chez M. de Bourmont avec qui j'étais en correspondance; de là nous sommes allés ensemble chez le marcchal. Il a paru étonné, indigné de ce que je lui ai appris; il m'a demandé quelles étaient les forces de Bonaparte ; j'ai répondu de dix à quinze mille hommes.

» Je savais que le maréchal n'avait que trois à quatre mille hommes ; et je crois lui avoir proposé de ne pas attaquer, mais de se porter sur les derrières de Bonaparte par Lyon et Grenoble, pour se joindre à Masséna. Ceci me rappelle une circonstance de ma première déposition. Je proposai de se retirer à Chambéry, où je comptais être joint par les Suisses. Au mot d'étrangers, le maréchal parut offensé, et dit que, les étrangers mettaient le pied en France, ils seraient pour Bonaparte; qu'il n'y avait d'autre parti pour le Roi que de se faire porter sur un brancard à la tête de ses troupes, et qu'elles se battraient excitées par sa présence. Que voulez-vous? ajouta-t-il, je ne puis arrêter l'eau de la mer avec la main! Il nous dit ensuite que tout cela retentirait jusqu'au Kamtchatka. Ces mots me donnaient de l'inquiétude. J'en parlai à M. de Bourmont, qui me tranquillisa, en me disant : Je ne compte pas sur son dévoue

:

ment, mais je compte sur sa loyauté. Je rentrai à la préfecture, et me mis au lit. Vers midi, mon valet de chambre vint me dire que le maréchal Ney avait proclamé Bonaparte. Je ne pouvais le croire. J'allai chez M. de Bourmont il me dit que le maréchal les avait réunis, Lecourbe et lui; qu'il leur avait dit que la cause des Bourbons était perdue; qu'il y avait du danger à se réunir à Bonaparte; qu'il aimait mieux le courir que de supporter les humiliations dont l'abreuvaient les Bourbons; que c'était une chose convenue entre lui, d'autres maréchaux et le ministre de la guerre; que le Roi, n'ayant pas tenu ses promesses, on avait arrêté de changer de dynastie; qu'on avait d'abord pensé au duc d'Orléans, mais que, dans l'intervalle, ayant appris que madame Hortense avait formé un parti pour Bonaparte, on avait été obligé de se joindre à lui; qu'un commissaire avait été envoyé à l'île d'Elbe pour lui faire des conditions. Lecourbe m'a dit les mêmes choses, mais avec moins de détails. J'ai vu ensuite le maréchal il m'a dit de me rendre dans ma préfecture. J'ai refusé. Il a insisté. Avant tout, m'a-t-il dit, vous êtes Français ; si j'avais pu rester fidèle, je le serais encore; mais c'est une affaire finie : ils ont des idées trop opposées aux nôtres. Au reste, il ne leur sera fait aucun mal; on leur donnera

un apanage, et on les conduira aux frontières. Les maréchaux exposeraient leur vie pour les défendre.

» Il ajouta que dans le même moment le duc de Dalmatie faisait son mouvement à Paris. Le colonel Tessen m'a dit qu'il avait ordre de m'arrêter. M. le président. Avez-vous rėmarqué la décoration que portait le maréchal ?

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Le témoin. Je crois être certain qu'il avait la plaque à l'aigle, cependant je ne puis l'affirmer; il me semble aussi qu'il avait la croix de Saint-Louis, et je ne pouvais assembler cela.

Le maréchal. Les discours qu'on me prête sont beaucoup trop longs. M. le préfet a cu le temps de les préparer. A l'époque dont je parle, le duc de Dalmatie n'était plus ministre de la guerre, c'était le duc de Feltre. Ce que j'ai dit est la suite des conversations que j'ai eues après le 14, et de l'influence des agens de Bonaparte; au reste, ce que vous m'avez dit m'a fait beaucoup de mal.

Me. Berryer a expliqué que ce que le maréchal venait de dire s'appliquait surtout aux détails que le témoin lui avait donnés sur l'esprit public et les dispositions des troupes. Il l'a invité à vouloir bien les préciser.

Le témoin. En rapportant ce qui s'était passé à Bourg, j'ai dit que c'était une rechute révolutionnaire ; j'ai dépeint la stupeur profonde des gens

de bien; j'ai dit que trois ou quatre communes limitrophes de mon département avaient arboré le drapeau tricolore; que j'étais depuis deux jours dans une impuissance absolue, lorsque le 76o. régiment s'est insurgé.

Neuvième témoin, Le comte de Grivel, maréchal des camps et armées du Roi, inspecteur des gardes nationales du département du Jura, chevalier de Saint-Louis, etc., après les interpellations ordinaires, a déposé à peu près en ces

termes :

« Le maréchal arriva dans la nuit du 11 au 12 mars à Lons-le-Saulnier. Je me présentai chez lui le 12; il me demanda l'état des gardes nationales du département. Le lendemain 13, alarmé des bruits qui se répandaient sur la marché rapide de Bonaparte en-deçà de Lyon, je me transportai chez le maréchal; je lui offris de faire marcher sur Dôle tous les volontaires du département et ceux de la garde nationale; qu'ils se mettraient en rang avec ses soldats, et qu'il n'en pourrait résulter qu'un très-bon effet; le maréchal Ney répondit d'un ton véhément que tout le monde était de bonne volonté, mais que les volontaires marcheraient quand il en serait temps, et qu'il en donnerait l'ordre; qu'il n'avait besoin avec lui

ni de pleurnicheurs ni de pleurnicheuses.

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>> Sur mon observation, que les volontaires que je lui proposais ne verseraient point de larmes ; qu'ils étaient Français, dévoués à leur Roi ; qu'ils s'armeraient,s'équiperaient et s'entretiendrait à leurs frais; et que, s'il youlait les faire marcher, il fallait au moins les avertir de se tenir prêts et en faire un état, il se radoucit alors extrêmement, et me dit: Faites cela.

» Dans la soirée du 13 j'écrivis trois lettres, une au Roi, une au comte Dessoles, et la troisième au comte de Vioménil. Je leur rendais compte de l'esprit des troupes, dont je leur annonçai que plus de la moitié passerait du côté de Bonaparte şi elles se trouvaient en présence; que, quant au maréchal Ney, il brûlait de se mesurer avec l'ennemi de la France; car je croyais le maréchal fidèle et dévoué au Roi.

» C'était l'opinion générale, et celle du comte de Saurans, aide-de-camp de MONSIEUR, et qui se soutint jusqu'au 13 au soir.

>> Le 14 je me rendis à la revue. J'y vins près de trois quarts d'heure avant le maréchal, qui y arriva avec de la cavalerie.

>> On vint me prévenir que j'avais tort d'assister à la revue ; qu'il était certain que le maréchal Ney allait trahir le Roi en proclamant Bonaparte,

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