» Le lendemain, je priai le maréchal de me renvoyer près de Monsieur, que j'avais quitté depuis bien long-temps, et qui devait être inquiet de moi. Le maréchal ne me donna aucun ordre par écrit, mais il me dicta une lettre. Monsieur était à Sens. J'allais l'y rejoindre. Je rencontrai dans ma route un régiment de dragons et un régiment de ligne. J'arrêtai leur marche, parce qu'ils allaient tomber dans les lignes de Bonaparte. Je fis aussi changer de route aux équipages de M. le maréchal Ney, pour qu'ils ne tombassent pas au pouvoir de l'ennemi. J'arrivai à Paris, et je remis au ministre de la guerre la lettre de M. le maréchal.» Me. Berryer. Quelles expressions le témoin entendit-il proférer aux soldats? R. Ils criaient vive l'empereur! mais la masse marchait en ordre et avec silence. J'ajoute que, quand je vis M. le maréchal, je lui parlai de sa position; que je la trouvais bien plus difficile que dans les autres campagnes. Il me répondit : « D'or» dinaire, quand j'avais toutes mes dispositions » faites, je dormais; aujourd'hui je n'ai pas un >> moment de repos. >> « Sur les inquiétudes que je lui témoignais, il me répondit: Les troupes se battront; je tirerai, s'il le faut, le premier coup de fusil ou de carabine, et, si un soldat bronche, je lui passerai mon épée au travers du corps, et la poignée lui servira d'emplâtre. Ce n'est pas avec des · fusils qu'on fait marcher le soldat; il faut du canon, et mon aide-de-camp sait l'appliquer. (On a fait la lecture de la lettre de M. le maréchal..) M. le président. Monsieur le maréchal, vous reconnaissez cet ordre? Le maréchal. Oui, Monseigneur. M. le président. Il est du 13 au soir. Comment, Monsieur le maréchal, après avoir pris ces longues et sages dispositions, avez-vous pu être conduit le 14 à un résultat si différent? Le maréchal. Votre observation est juste; mais les événemens ont été si rapides, une tempête si furieuse s'est formée sur ma tête, que chacun m'abandonnant, chacun cherchant à se sauver à mes dépens, et en me sacrifiant, j'ai été entraîné à l'action que vous connaissez. D'ailleurs, mon avocat entrera dans des développemens à cet égard. Me. Berryer a demandé que M. le président fît donner aux défenseurs copie de cette pièce. M. Bellart ne s'est pas opposé à ce que la minute fût au service des défenseurs lors de la plaidoirie. M.. Berryer a insisté pour avoir une expédition de la pièce : elle lui a été accordée. M. Frondeville, pair de France. Je demande à l'accusé ce qu'il entend par la tempête qui a fondu sur lui ? Le maréchal. C'est la fureur révolutionnaire qui éclata' dans les troupes le 13 au soir. Il était impossible d'en disposer, de les faire marcher où on aurait voulu les conduire. M. de Saint-Romans, (un des pairs), a demandé au maréchal pourquoi il n'avait pas fait arrêter ces émissaires venus le 13; car ce sont eux qui ont ainsi changé l'esprit du soldat. Le maréchal. J'ai déjà répondu à cette question. Je n'avais personne pour faire arrêter; il m'était impossible de le faire. Vingt-huitième témoin, M. Renaut-de-Saint'Amour. Ila dit : « Depuis vingt-deux ans que je sers, j'ai vu deux fois M. le maréchal. Les journaux ont publié des déclarations qui ne sont pas miennes. » Le 7, je remis mes dépêches à Dijon : on m'apprit le débarquement de Bonaparte. Je crus que mes ordres avaient pour objet de rassembler les troupes. Je me dirigeai sur Bourg, de là à Lyon et à Vienne. Je voulais me rendre à Grenoble. Un officier déguisé me dit de changer de route. Je révins à Lyon. Monsieur me dit qu'il partait. » A Poligny, je rencontrai le marquis de Saurans, et je l'ai accompagné jusqu'à Quingey. Beau'coup de soldats que nous rencontrions sur notre route criaient vive l'empereur, et nous faisions entre nous cette réflexion, qu'on ne pouvait plus compter sur eux. » J'allai le 11 au soir à Quingey, chez M. le maréchal Ney, qui me dit qu'il ne pouvait pas concevoir qu'on n'eût pas défendu le passage du Rhône, et coupé les ponts à Lyon. Il me donna l'ordre pour M. le directeur d'artillerie de Besançon, d'envoyer des cartouches à Lons-le-Saulnier. >> M. Berryer. Quel était l'esprit des campagnes? R. Dans le département de l'Ain, à Bourg, les paysans criaient vive l'empereur ! dans les villages et dans les cabarets, la même agitation existait aux alentours de Lons-le-Saulnier. Vingt-neuvième témoin, M. Boulouse, négociant; il a déposé : " « J'ai quitté Lyon samedi 11, II à neuf heures du soir. Craignant d'être arrêté, j'ai pris la route de Bourg et de Genève. A Lons-le-Saulnier, on me demanda mon passe-port. Un officier vint ensuite me trouver pour savoir de moi ce qui se pas sait; il me dit : « Je suis bon Français. Le prince » est dans les plus vives inquiétudes. » Il vit que j'étais dans les mêmes dispositions : il me demanda si je voulais qu'il me conduisît au maréchal ; j'acceptai cet honneur avec reconnaissance. M. le maréchal me fit beaucoup de questions. D. D'où venez-vous? R. De Lyon. D. Que s'y passe-t-il? R. L'empereur est entré sans troupes, et seulement avec son état-major. D. Quelle conduite a-t-il tenue? R. Il s'est montr à la fenêtre pour haranguer la populace, qui se pressait pour le voir. Il a passé ensuite ses troupes en revue sur la place Bellecour; il pouvait avoir sept à huit mille hommes. Je donnai au maréchal les numéros de tous les régimens, et les détails que j'avais recueillis sur leur composition. J'ajoutai au maréchal qu'il avait fait des proclamations. Je lui en montrai une que je m'étais procurée; il me la prit, en me disant qu'il s'en faisait le cadeau. Il prit les noms de ceux qui avaient signé cette proclamation, en me disant Cela n'est pas dangereux; il n'y a rien à craindre; quarantecinq mille hommes garantiront Paris. Le premier coup en décidera. Comme je paraissais inquiet sur ce qu'on m'ayait parlé d'une alliance avec l'Autriche, il ajouta : C'est là sa jactance ordi |