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dans l'opprobre par sa propre faute, et qui prit soin de flétrir elle-même les honneurs dont elle fut d'abord environnée !

>>Quand ce malheur arrive, ilya en nous quelque chose qui combat contre la conscience, par la routine du respect long-temps attaché à cette illustration à présent déchue. Notre instinct s'indigne de ce caprice de la fortune, et nous voudrions, par une contradiction irréfléchie, continuer d'honorer ce qui brilla d'un si grand éclat, en même temps que détester et mépriser celui qui causa de si épouvautables malheurs à l'état.

>> Telle est, Messieurs les pairs, la double et contraire impression qu'éprouvent, ils ne s'en défendent pas, les commissaires du Roi, à l'occasion de ce déplorable procès. Plût à Dieu qu'il y eût deux hommes dans l'illustre accusé, qu'un devoir rigoureux nous ordonne de poursuivre! mais il n'y en a qu'un. Celui qui pendant un temps se couvrit de gloire militaire, est celui-là même qui devint le plus coupable des citoyens.

>> Qu'importe à la patrie sa funeste gloire, qui depuis attira sur la France des revers que, sans elle, elle n'eût jamais connus! Qu'importe sa funeste gloire, qu'il a éteinte toute entière dans une trahison, suivie, pour notre malheureux pays, d'une catastrophe sur laquelle nous osons à peine faire

reposer notre attention! S'il a servi l'état, c'est lui qui contribua le plus puissamment à le perdre : il n'y a rien que n'efface un tel forfait. Il n'est pas de sentiment qui ne doive céder à l'horreur qu'inspire cette grande trahison.

Brutus oublia qu'il fût père, pour ne voir que la patrie. Ce qu'un père fit au prix de la révolte même de la nature, le ministère, protecteur de la sûreté publique, a bien plus le devoir de le faire, malgré les murmures d'une vieille admiration qui s'était trompée d'objet. Ce devoir, il va le remplir avec droiture, mais avec simplicité. On peut du moins épargner à l'accusé d'affligeantes déclamations. Qu'en est-il besoin à côté d'une conviction puisée dans une incontestable évidence? Je les lui épargnerai. C'est un dernier hommage que je veux lui rendre. Il conserve sans doute encore assez de fierté d'âme pour en sentir le prix, pour se juger lui-même, et pour distinguer dans ceux qui subissent la douloureuse fonction de le poursuivre, ce mélange vraiment pénible de regrets qui sont de l'homme, et d'impérieuses obligations qui sont de la charge. »

(Après cet exorde, M. Bellart a continué à peu près en ces termes):

« Les faits offerts à votre attention réunissent à une grande simplicité, une évidence entière; et

telle est leur nature, que de leur masse sortira la preuve du crime dont le maréchal est accusé. Je vais même avoir sur lui ce bien triste avantage, que je puis ne m'arrêter qu'à ceux dont il est convenu lui-même ; les commissaires du Roiabandonneront tout ce qu'il n'a point avoué: c'est sur ce qui a été avoué par le maréchal, que vous jugerez et l'accusation et l'accusé.

il a reçu

» Il est tombé d'accord que, le 7 mars, du ministre de la guerre l'ordre de se rendre dans son gouvernement. Il arrive à Paris; il y séjourne vingt-quatre heures ; il fait une visite au Roi; je ne veux point vous en rappeler les circonstances; elles jettent un odieux sur le maréchal, que je voudrais pouvoir lur épargner. Il part pour son gouvernement: il arrive à Besançon ; y trouve des ordres dont je dois vous donner lecture.

(On dit l'ordre du jour du 13 mars).

>> Je serai sobre de réflexions dans le court résumé

que je vais vous soumettre; je ferai cependant celles-ci : Que le maréchal a eu une bien fausse idée de ses devoirs, quand il a cru, et qu'il nous a ici répété qu'il n'avait rien à faire à Besançon;, qu'il y allait pour s'y croiser les bras. C'était pour agir qu'il était envoyé dans ce gouvernement, et pour agir d'un e manière bien active, puisqu'il lui était or

donné de marcher à l'ennemi, de lui nuire par tous les moyens possibles, ou de le détruire.

» Le maréchal se rend à Lons-le-Saulnier. Jus qu'à la nuit du 13 au 14, il nous a affirmé ici qu'il était resté fidèle au Roi. Les commissaires du Roi veulent lui faire encore cette généreuse concession ; et il doit en sentir tout le prix. Nous trouverions dans sa conduite antérieure assez de louche pour conserver quelque doute à ce sujet, surtout si nous nous reportions à ces dépositions sì concordantes', qui ont présenté le maréchal comme portant à Lonsle-Saulnier les décorations à l'aigle qu'il aurait substituées à celles du Roi: mais je me hâte d'arriver à l'époque funeste de la nuit du 13. Je rentre dans les entrailles mêmes de l'accusation.

>> Que s'est-il passé dans cette nuit fatale? Le maréchal, qui avait à peine eu le temps de faire la route de Besançon à Lons-le-Saulnier, le maréchal, au premier acte d'exercice de son pouvoir, reçoit, non pas un émissaire, mais plusieurs émissaires de Bonaparte.

» Demandons-nous ce qu'il devient à cette époque, lui qu'on considérait comme le plus ferme appui du trône? On l'envoie pour combattre les ennemis du Roi et de la patrie, et il écoute leurs propositions! A cette époque le crime était déjà commencé. En une seule nuit, le maréchal était

perverti. Il devient traître à son Roi et perfide à sa patrie!

>> Eh! quel palliatif propose-t-il pour excuser une semblable conduite ? Il n'était pas entièrement décidé. Il délibère: il fait appeler deux généraux pour demander leur avis; il se plaint qu'ils ne lui aient point donné des conseils conformes à son devoir, comme si son devoir n'était point de punir ceux même qui lui auraient donné ces perfides conseils. Il dit que les généraux Lecourbe et Bourmontlui ont donné l'avis de se réunir à Bonaparte, et ces généraux ont déposé le contraire.

>> Vous vous rappelez le ton solennel avec lequel, levant les regards vers les cieux, il a invoqué le témoignage du général Lecourbe. La lecture vous a été donnée de sa déposition écrite, et elle a confirmé dans vos esprits celle du général Bourmont. Mais il est une preuve bien satisfaisante que les généraux Bourmont et Lecourbe ont dit la vérité; ce témoin irrécusable résulte de la conduite si différente du général Bourmont et de celle tenue par le maréchal Ney.

>> Si ce faux ami avait donné au maréchal l'affreux conseil de trahir son Roi, s'il l'avait engagé à marcher dans la route de la perfidie, pourquoi se seraient-ils séparés? pourquoi, cinq jours après, le maréchal aurait-il signé cet ordre d'arrêter le général Bourmont ?

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