Page images
PDF
EPUB

Me. Berryer a fait observer que les débats et le résumé de M. le commissaire du Roi avaient fourni des éclaircissemens sur lesquels il était nécessaire de fixer quelque temps ses réflexions. Il a réclamé en conséquence l'ajournement de la séance au lendemain.

Ce délai a été accordé.

[ocr errors]

Séance du 6 décembre.

M. le président a donné la parole aux défensenrs de l'accusé.

M. le procureur général. Je demande qu'avant d'entendre les défenseurs de l'accusé, M. de la Genetière soit entendu de nouveau relativement à la lettre de démission qu'il dit avoir écrite au maréchal Ney. M. de la Genetière a, dit-il, une preuve irrécusable que le maréchal connaissait cette lettre.

D'après l'ordre de M. le président, M. de la Genetière a donné lecture d'un paragraphe d'une lettre écrite par le maréchal à M. le général Bessières, le 16 mars, à deux heures après midi, dans laquelle il lui prescrivait de donner ordre à M. de la Genetière de quitter Besançon jusqu'à ce qu'on eût appris l'arrivée de Bonaparte à Paris, II en a tiré un extrait signé du général Bessières.

Le maréchal. Je savais, par plusieurs rapports, que M. de la Genetière avait quitté Dôle, qu'il avait entraîné quelques officiers; que, pour éviter la fureur des soldats, il avait pris la fuite. Je ne dis pas qu'il n'a pas écrit la lettre; mais je ne la connais pas.

M. Bellart. Je n'ai demandé ces éclaircissemens que pour établir la moralité de la déposition de M. de la Genetière.

Me. Dupin a fait observer que le paragraphe de la lettre qui venait d'être lu ne parlait pas de la lettre du maréchal.

M. Bellart a insisté.

Plusieurs pairs. Ce fait est indifférent au procès.

M. le comte de Gouvion, pair de France. Tout cela ne prouve rien..

Mr. Berryer se lève, et prononce le plaidoyer

suivant :

« Quelque brillante facilité qu'ait mise hier l'éToquent organe du ministère public à préciser les points de vue sous lesquels il pense que l'accusation doit être simplement discutée, il m'est malheureusement impossible de me circonscrire dans le cercle qu'il a paru me tracer. Une accusation du crime de haute trahison et d'attentat à la sûreté de l'état, peut s'articuler en effet en bien peu de

paroles, souvent en un mot; mais la justification du général accusé, de ses opérations, de sa conduite entière, exige de longs développemens; parce qu'elle ne peut résulter que d'une foule de circonstances à rassembler.

>> Ce n'est pas que déjà la remarquable franchise du maréchal n'ait lancé plusieurs traits de lumière qui vous ont fait voir, au fond de son cœur, qu'il n'avait pas cessé d'être bon Français. Mais une défense ne peut que se compléter de quelques traits, quand elle se compose aussi de plusieurs moyens de droit dont il n'est pas permis de faire le sacri fice. L'esprit de chicane ne percera dans aucun, Je me suis mis d'ailleurs à l'abri des difficultés, en écrivant ce dont je dois parler avec circonspection.

>> En commençant la défense justificative du maréchal Ney, je dois rendre de respectueuses et éclatantes actions de grâces à Sa Majesté de ce qu'elle a voulu que cette défense fût libre, publique, protégée même par une grande solennité. Sa Majesté pouvait-elle signaler plus dignement cet amour constant pour la justice qu'elle entend faire régner, cette sagesse, cette grandeur d'âme, supérieures à toutes les passions qu'il est dans son cœur de réprimer et d'éteindre?

ע

Après avoir payé à ce prince auguste notre

TOME II.

14

[ocr errors]

juste tribut de reconnaissance et d'admiration comment acquitterons-nous celui que nous vous devons, Messieurs, pour la généreuse concession que vous avez daigné nous faire d'un délai devenu nécessaire, à l'effet de faire arriver les témoins qui ont déposé à la décharge du maréchal Ney, et de rassembler toutes les preuves de sa justifi

cation ?

» Déjà, Messieurs, vous en avez la conviction ; ce délai n'est pas perdu pour la justice, dont vous êtes les impassibles oracles, puisqu'il a permis à la vérité, ce guide éternel des magistrats, de se manifester sous plus d'un rapport, et d'alléger considérablement le fardeau des terribles préventions qui pesaient sur la tête du maréchal Ney.

>> Nous devons à vos équitables temporisations, Messieurs, de voir cette accusation capitale du crime de haute trahison et d'attentat à la súreté de l'état dégagée désormais, et bien solennellement, par les accusateurs eux-mêmes, de cette masse accablante de soupçons, de reproches même, qui avaient si malheureusement chargé le maréchal Ney, à l'entrée de cette douloureuse carrière. Plus de préméditation dans sa conduite antérieure au 14 mars dernier : ce précurseur ordinaire du crime, celui sans lequel il est rare qu'il puisse exister, a disparu entièrement.

» Non, le maréchal Ney ne s'est rendu coupable d'aucune de ces pensées réfléchies, qui conduisent une âme basse et fausse à trahir ses devoirs. Non, le maréchal Ney, en partant pour aller combattre l'ennemi de son Roi, n'a souillé ni ses mains par l'acceptation d'un salaire honteux, ni ses lèvres par la plus sacrilége des démonstrations. Non, le maréchal Ney n'a combiné aucune de ces manoeuvres impies dont le but aurait été de favoriser l'entreprise de Bonaparte. Plus d'intentions perfides, plus de sourdes menées, plus de préparations fallacieuses. Le maréchal Ney en est enfin sans retour et pleinement disculpé.

>>> Mais, Messieurs, un deuxième bienfait, non moins incalculable, dû à votre libéral ajournement de l'ouverture des débats, est cette précieuse révélation des sentimens dont tous les cabinets alliés de l'Europe se sont montrés, le 20 du mois dernier, unanimement imbus. C'est l'arrivée au grand jour de cette profession de foi européenne, qui se repose avec le plus juste abandon sur ces dispositions aussi sages que généreuses, annoncées à toutes les époques par Sa Majesté, de faire cesser les haines, les divisions, les alarmes, les mécontentemens inséparables de tant de chocs, de tant de calamités, et de ne conserver, des

« PreviousContinue »