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chal Ney, quoique non réfléchie, pourrait recevoir les qualifications les plus odieuses, et être présentée comme une des causes de nos malheurs.

» Mais la vérité, l'éternelle vérité, dont les droits sont imprescriptibles, et qui tôt où tard se fait jour à travers les nuages dont on voudrait l'obscurcir, la vérité commande impérieusement d'en revenir aux réalités notoires, aux symptômes effrayans et sinistres qui déjà, bien avant le 14 mars, avaient si extraordinairement changé notre scène politique. Pourrait-on, sans frémir, et lorsqu'il s'agit de la recherche et de la punition d'un crime de haute trahison, d'un attentat à la sûreté de l'état, pourrait-on s'étourdir une minute sur ce qu'en peuvent déposer tant de milliers de contemporains et de témoins oculaires; sur ce qu'en ont pensé en France, avec tous les ordres de l'état, les dépositaires mêmes de l'autorité légitime?

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»Sans qu'il soit besoin de recourir encore à aucune tradition demandons-nous seulement comment il s'était fait que Bonaparte, en moins de dix jours, eût traversé depuis Cannes jusqu'à Lyon, un espace de 80 lieues, sans éprouver la moindre résistance; que dis-je? en 'grossissant incessamment son parti, en obtenant sur son passage, de la multitude égarée sans doute, mais enfin de

la multitude, des démonstrations vraiment frénétiques du plus aveugle enthousiasme ?

>> Comment cela s'était fait? évidemment parce

que la minorité du peuple, si l'on veut, mais une minorité agissante, s'était soulevée en sa faveur; évidemment parce que la majorité inerte, stupéfaite, avait tout laissé faire.

» Au 14 mars, il y avait quatre jours que Bonaparte était entré dans Lyon, la deuxième ville du royaume par sa population; qu'il en avait parcouru les rues, les promenades, les places publiques, librement, sans escorte, pour ainsi dire, sans que personne eût songé, même par des plaintes, ni par la moindre menace, à le faire repentir de sa témérité. ·

» Il y avait donc constamment,' d'un côté engouement et délire; de l'autre, stupeur et silence.

>> Et ces impressions, pendant quatre jours, avaient eu tout le temps de se propager au loin, d'atteindre et de dépasser la ligne de Lons-le-Saulnier, puisque, comme vous le verrez, Messieurs, elles avaient été reçues à Dijon, et dans toutes les classes.

>> J'en appelle maintenant, Messieurs, et trèssurabondamment, aux témoignages les plus irrécusables de cette époque, à ce qu'ont dit, ou fait

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entrevoir des mauvaises dispositions des pays parcourus par Bonaparte avec tant de rapidité, tous les fonctionnaires locaux, tous les chefs civils ou militaires. J'en appelle à cette rapidité même de sa marche, et au succès même de son audacieuse entreprise.

» Ouvrez, avec moi, la plupart des journaux, qui, les 11, 12 et 13 mars, rendaient compte de ce qui s'était passé sur la route de Bonaparte. Les journaux officiels, ou demi-officiels, le Moniteur, par exemple, quoiqu'ils aient pris soin de ne pas trop sonner l'alarme. Qu'y lirez vous? Que les émissaires de Bonaparte se répandaient partout; qu'ils pénétraient dans les villes, dans les campagnes, au milieu des corps armés; que partout ils avaient, dès les 7 et 8 mars, répandu des proclamations qui excitaient le peuple à la révolte, et les soldats à la désertion.

Mais, si tels avaient déjà été les succès prodigieux de ces missionnaires de discorde, il y avait donc dans bien des esprits une trop fatale tendance à l'agitation. Il y avait donc mouvement po→ pulaire; autrement un seul de ces prôneurs d'insurrection en fût-il venu à ses fins? Tous n'eussent-ils pas péri victimes de leurs propositions incendiaires, ou du moins n'eussent-ils pas été livrés aux tribunaux, ou autres autorités chargées de la vengeance des lois ?

>> N'est-ce pas cette funeste direction donnée à l'esprit public, et rendue plus saillante par toutes les angoisses éprouvées dès les premiers jours de mars, que le 10 mars, la chambre des députés, dans son adresse au Roi, appelait une crise profitable!

» N'est-ce pas cet état de choses, voisin d'une subversion totale, qui, dans un compte rendu à vous-mêmes, Messieurs, le 11 mars, de la situation réelle de la France, faisait dire, par son auteur si justement révéré :

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Bonaparte, arrivé avec onze cents hommes, fait » de rapides progrès; les défections ne sont pas » douteuses...... Il est à craindre que beaucoup » d'hommes égarés ne cèdent à ses perfides insi» nuations...... On ne peut guère arrêter l'effet » des mauvaises dispositions qui nous alar» ment, qu'en s'aidant beaucoup de cette bonne » et fidèle garde nationale, etc. etc.

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» Au Moniteur du 16 mars, je lis, comme relation de faits qui datent des 12 et 15 mars, ces particularités frappantes « Bonaparte vient de » chercher un appui dans le système d'anarchie » de désorganisation et de terreur........ Ses cou>> reurs, ou plutôt ses émissaires, sont parvenus » à soulever à Mâcon, à Tournus, à Châlons, la lie » de la populace........ A Châlons, les mêmes » moyens, les mêmes provocations incendiaires

» avaient déjà excité les mêmes scènes........ La popu » lace s'est jetée avec fureur sur des pièces d'ar» tillerie, et les a précipitées dans la Saône. Il n'y » a rien eu à opposer à cette multitude égarée.... » Les mêmes événemens se sont passés à Dijon, » au même moment et toujours par les mêmes. >> moyens insurrectionnels. M. Terray, préfet, hors » d'état de résister à la sédition, s'est rendu à » Châtillon-sur-Seine, etc: >>

« Je ne crois pas, Messieurs, pouvoir terminer mieux cet-affligeant, mais véridique tableau, que par un mot énergique sorti de la bouche d'un témoin, qui certes ne l'a point lâché pour excuser le maréchal Ney. Il est du préfet du Doubs (M. le baron de Capelle), qui l'était alors du département de l'Ain. Accouru de Bourg à Lons-le-Saulnier, dans la soirée du 13 mars, tout consterné, fuyant de son chef-lieu, cet administrateur, pour rendre cet esprit de vertige ou plutôt de délire qui, en deux ou trois jours, venait de tourner toutes les têtes, s'écria que c'était une rechute de la révolution; mot terrible, qui, joint à un concours inouï d'autres circonstances que je résumerai tout à l'heure, n'a pas peu contribué à entraîner le maréchal dans le précipice.

>> On ne peut donc, Messieurs, à moins de vouloir nier l'évidence, ne pas nous accorder que,

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