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Interrogatoire de Bonnet,

M. le président passe à l'interrogatoire de Bonnet.

M. LE PRESIDENT.- Vous avez été arrêté le lundi 13 mai. — R. Oui, M. le président.

D. Vous demeurez rue Bourg-l'Abbé, no 16?-R. Oui, M. le président.

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D. Y demeurez-vous seul? Non; j'y demeurais avec Meillard et Doy.

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D. Connaissez-vous les opinions politiques de Meillard ? — R. Non, pas précisément.

D. Ne vous a-t-il pas proposé de vous faire entrer dans une société secrète?-R. Non; il connaissait assez mes opinions pour ne pas me faire une telle proposition. Je ne m'accordais pas avec lui sur la politique. Jamais je n'ai fait parade d'opinion républicaine.

D. Dimanche matin Meillard n'a-t-il pas apporté une malle dans votre logement commun? - R. Cette malle a été apportée par des personnes que je ne connais point.

D. Expliquez ce que vous avez fait dans la journée du 12 mai. -R. Le dimanche 12 mai deux hommes apportèrent une malle de la part de Meillard. A la peine qu'ils avaient à la soulever, l'idée me vint que cette malle contenait autre chose que des effets, et lorsque je la pesai je n'eus plus de doute à cet égard. Nous nous sommes dit alors que cette malle, dont nous ne savions pas le contenu, pouvait nous compromettre. Nous allâmes donc Doy et moi à la recherche de Meillard, et le trouvâmes au café de la rue des Deux-Portes. Je lui dis de suite: « Meillard, dis-moi ce qu'il y a dans la malle que tu m'as envoyée; je crains qu'elle ne me compromette. » Il me répondit : << Sois tranquille, ce n'est rien; dans deux ou trois heures elle sera enlevée. »

Toujours préoccupé de ce que contenait cette malle, je dis de nouveau à Meillard de la faire prendre ou au moins de me dire ce qu'elle contenait. « Sois tranquille, me dit-il, avant une heure elle sera enlevée. »>

Je sortis pour faire un tour, et en revenant je rencontrai Meillard au coin de la rue aux Ours; après avoir pris ensemble un canon, il me dit : « Allons vite à la maison, je vais prendre la

malle; » il était environ trois heures. En arrivant dans la rue Bourg-l'Abbé, je remarquai bien des individus se donnant le bras, allant et venant d'un air très-affairé; je ne pouvais me rendre raison de cela. Je monte à la maison pour prendre la malle ; j'en-, ́tendis à ce moment crier: Aux armes! Aussitôt Meillard me pressa de monter pour l'aider à descendre la malle, toujours sans vouloir me dire ce qu'elle contenait. Nous la prîmes chacun d'une main, Meillard et moi, et nous la descendîmes.

En arrivant dans l'allée, je vis une quarantaine d'individus qui attendaient la malle, et avec une impatience marquée. La malle s'ouvrit; ce fut l'un de ces hommes qui tira quelque chose de sa poche et qui ouvrit la malle. Je fus alors bien étonné de voir qu'elle était pleine de cartouches. Voyant cela, je dis aux hommes: « Il faut que je m'en aille; enlevez-moi votre malle, sortezmoi cela de chez moi. » Ils la mirent alors au milieu de la rue, et cela fait je sortis de chez moi et je m'en fus le plus vite possible. La première personne que je rencontrai en m'en allant, c'était Doy, au coin du passage Saucède ; je lui dis : « Mon pauvre Doy, nous sommes perdus. Je ne savais pas ce qu'il y avait dans la inalle; je l'ai vu ouvrir tout-à-l'heure, c'est telle chose qui était dedans. Où faut-il aller ? que faut-il faire? Il faut nous méfier, car je ne voudrais pas qu'on puisse dire que nous savions ce qu'il y avait dans la malle. »

Je ne savais pas où était Meillard ; j'aurais bien voulu le trouver en ce moment-là. J'allai à la maison; il n'y était pas; je sortis avec deux amis, et j'allai au café de la rue des Deux-Portes; de là nous allâmes rue Saint-Martin; nous'y allâmes tous les trois. Il n'y avait rien d'extraordinaire; nous rencontrâmes près de la rue Bourgl'Abbé une compagnie de gardes municipaux ayant en tête un commissaire de police; ils montaient la rue Saint-Martin, nous la descendions.

Arrivés près du Marché-Saint-Jean, nous vîmes une espèce de barricade formée d'une grosse voiture à pierres. Elle était en haut de la rue de la Verrerie. Il y avait là tout au plus huit ou dix insurgés. Je fus témoin d'un fait qui me fit bien du inal (Ici l'accusé raconte qu'un sergent de la ligne fut blessé et qu'il s'empressa de le secourir); il ajoute : Ca me faisait peine de voir cet homme-là dans cette position. Je dis à ceux qui s'empressaient autour de lui: Il faut secourir cet homme ; menez-le dans la rue voisine qui aboutit à une maison de bains, on lui donnera là des secours.

Au bout de quelques pas le sergent ne put plus se soutenir; il tomba et mourut. Doy et Cavé étaient affectés, cela leur faisait mal comme à moi.

Nous entrâmes alors tous les trois dans le café du sieur Bolé. On se battait dans la rue Saint-Denis: nous entendîmes une décharge; la porte était restée ouverte. Plusieurs bourgeois, refoulés par la rue des Deux-Portes, arrivèrent, entrèrent dans le café. Ce fut alors que Nouguès, qui dit m'avoir reconnu, est entré avec les autres dans le café. Ces personnes ont demandé à boire; et je me rappelle en effet avoir donné de l'absinthe et de l'eau à Nouguès.

Un instant après, des amis in'ont conduit au café de la rue du Renard-Saint-Laurent, où je trouvai un de mes amis qui était bles sé. On demandait un médecin ; je suis allé chercher M. Strelling en cabriolet; il vint et pansa le blessé. Quand je quittai Doy, à dix heures du soir, il me dit qu'il ne fallait pas rentrer chez nous, et qu'il irait coucher ailleurs, il me proposa de venir avec lui, je pré férai retourner à la maison. Le lendemain matin, je reçus la visite d'un commissaire de police qui vint voir si la inalle de Meillard y était encore. Alors je fus arrêté.

M. LE PRESIDENT. - Cet homme que vous ayez vu dans le café était-il blessé grièvement?

BONNET,Il était blessé au-dessus de la cheville du pied.

D. Vous avez vú ouvrir la malle où étaient les cartouches, et vous les avez vu distribuer? R. Je n'ai su que c'étaient des cartouches que quand on a ouvert la malle; je ne les ai pas vu distribuer.

D. Comment pouviez-vous ignorer qu'une malle aussi importante était placée dans votre chambre ?- R. Franchement je dis la vérité. Je suis innocent; j'ai expliqué toutes mes démarches. Jugez s'il y a lieu à condamnation pour cela.

Interpelé par M. le président, l'accusé nie avec énergie avoir pris part aux actes de l'insurrection. Il ne s'est occupé que de soigner les blessés. Il ajoute: Je conviens qu'il y a des apparences contre moi; mais je ne m'occupe pas de politique, en ma qualité d'étranger. Je travaille régulièrement douze heures par jour à mon état de graveur; tous les soirs je vais au café des Deux-Portes y passer une heure ou deux à lire les journaux, et je rentre ensuite chez moi. Je ne crois pas qu'un homme qui se conduit ainsi puisse être accusé de se mêler de politique et de complot.

M. LE PRÉSIDENT.-Nous allons passer à l'audition des témoins relatifs à Bonnet.

THUILLARD (Nicolas-Arsène), cordonnier, rue Bourg-l'Abbé.Au moment où on a pillé les magasins d'armes de M, Lepage, j'étais sur le pas de ma porte avec Bonnet; je lui manifestai l'émotion que me causait tout ce bouleversement.

D. Au moment du pillage, la malle était-elle descendue?— R. La malle a été descendue après le pillage.

D. Bonnet était-il présent à la distribution? R-Je suis remonté chez moi, et quand je suis redescendu j'ai vu ouvrir la malle et distribuer les cartouches. Bonnet n'y était pas.

Le témoin Thuilliard déclare ne connaître aucun des autres ac

cusés.

RENAUD, quincailler rue Bourg-l'Abbé, no 10, dépose que le 12 mai, vers trois heures de l'après-midi, il vit sortir de la maison où il demeure, une malle portée par deux individus. Cette malle ayant été ouverte, on prit les cartouches qu'elle contenait et on les distribua aux insurgés.

M. LE PRESIDENT.-Avez-vous vu distribuer des cartouches?R. Oui, M. le Président.

D. Reconnaissez-vous Bonnet comme l'un des individus qui ont descendu la malle!-R. Non, je ne le reconnais pas.

JUNOD (Jean-Salomon), âgé de 24 ans, bijoutier, ne sait rien par lui-même des faits qui se sont passés le 12 mai; il était à l'hospice. Il a eu des détails par ses amis Doy, Rossio et Cayet, qui sont venus le visiter. Le témoin connaît Meillard et sait qu'il a pris part à l'attentat et qu'il a été blessé à la jambe.

.D. Vous a-t-on dit que Bonnet avait aidé Meillard à descendre la malle.-R. Oui, Monsieur.

Me BLANG, défenseur de Bonnet.-M. le président, veuillez demander au témoin s'il est à sa connaissance que Bonnet s'occupât de politique

LE TEMOIN.-Jamais je ne me suis aperçu qu'il s'occupât de politique.

M. LE PRESIDENT, à Bonnet.-Il est impossible que vous ayez pu croire que le pillage des magasins de l'armurier fût pour tout autre chose que pour provoquer à l'émeute. L'acte de descendre la malle est donc intimement lié au pillage, et indique que vous saviez apporter des munitions pour mettre en usage les armes qu'on pillait.

Me BLANC.-Pour admettre cette coïncidence, il faudrait d'abord supposer que Bonnet connaissait le contenu de la malle. Or, Bonnet ne se place pas dans cette situation; il part de ce point qu'il ignorait complétement ce que contenait la malle. Or, de cette explication première se déduit aisément cette autre, qu'il ignorait que la malle se liat en aucune façon au pillage de l'armurier.

LAMIRAULT, âgé de trente-cinq ans, couverturier, tambour de la garde nationale, 12a légion.—Le 12 mai j'étais de garde au poste de l'Hôtel-de-Ville. Des insurgés, armés de fusils de chasse, de munition et de pistolets, ont attaqués le poste; ils ont tiré des coups de fusil et se sont emparés des armes des gardes nationaux, ils m'ont pris ma caisse et ont voulu me forcer de marcher avec

eux.

M. LE PRESIDENT.-En ce moment-là, avez-vous reconnu quelques-uns des insurgés? (On fait lever les accusés.) Voyez si vous reconnaissez quelqu'un parmi les accusés.

LAMIRAULT, montrant Bonnet.-Je crois reconnaître celui-là. Me BLANC.-Le témoin dit : « Je crois. »

M. LE PRESIDENT (au témoin). A quel signe avez-vous reconnu l'accusé Bonnet?

LAMIRAULT-Je l'ai reconnu aux cheveux, à ce que je crois.

M. LE PRESIDENT, à l'accusé.-Le sentiment qui vous a porté à suivre les insurgés dans la plupart des lieux qu'ils ont parcourus, ne vous aurait-il pas porté à les suivre à l'Hôtel-de-Ville?

BONNET.-Non, Monsieur, je n'y ai pas été; je vous ai dit la vérité, l'exacte vérité. Je n'y ai pas été.

M. le procureur-général donne lecture de la déposition écrite de Lamirault, lequel, interpelé dans l'instruction sur le point de savoir s'il reconnaissait Bonnet, a dit qu'il croyait reconnaître la taille et surtout les cheveux de cet accusé, ajoutant que la figure ne lui était point inconnue.

M. Selling, docteur médecin, déclare qu'il a connu l'accusé Bonnet au collége, et qu'il l'a perdu de vue depuis. Le 12 mai dernier, celui-ci vint le chercher à l'hôpital Saint-Louis pour soigner un de ses amis qui avait reçu une balle dans la jambe. Il était alors six heures et demie du soir. A huit heures, le témoin se rendit avec Bonnet dans le lieu où le blessé avait été conduit. La blessuré était légère, elle n'intéressait que les parties molles de la jambe.

Me BLANC. La Cour a, dans cette déposition, une explication positive de l'emploi du temps de Bonnet depuis six heures au moins, car il lui a fallu du temps pour aller de la rue Saint-Sauveur, où était le blessé, jusqu'à l'hôpital Saint-Louis. Ce temps de parcours a dû être d'autant plus considérable, qu'il aura été forcé de faire de nombreux détours. Quant au temps qui a précédé, si tous les témoins étaient entendus, l'emploi du temps de Bonnet, minute par minute, serait justifié du matin au soir de la journée du 12 mai; mais beaucoup de ceux qui pourraient édifier la Cour sur ce point sont arrêtés; car, par une circonstance fatale, tous 'ceux que Bonnet a nommés dans son désir de prouver son alibi, ont été arrêtés sur l'ordre du ministère public.

M. LE PROCUREUr-general.-Vous devez savoir, Me Blanc, vous ́avez assez d'expérience en matière d'instruction criminelle, pour savoir que le ministère public ne fait arrêter personne; ce sont les juges qui décernent les mandats à mesure que la lumière arrive par l'instruction.

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Me BLANC. Je vous demande pardon, l'expression m'était échappée, mais ce fait existe, tous ces individus ont été arrêtés. La Cour entend encore deux témoins sans importance.

L'audience est levée à cinq heures un quart et continuée à de

main.

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