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un juillet; trois mois forment une saison, qui est commandée par un chef qu'on appelle un printemps; une saison comprend quatre-vingt-huit hommes; enfin, quatre saisons réunies forment une année, commandée par un chef qui s'appelle agent révolu

tionnaire.

Nouguès a déclaré également que, d'après le nombre des chefs qu'il a vus, il n'y avait pas plus de trois années que Barbès, Blanqui, Martin Bernard, étaient chefs au même titre ; il a ajouté que la Société des Saisons a succédé à celle des Familles.

Il paraît que la Société des Saisons ne se concentrait pas à Paris. Elle devait, comme celles qui l'avaient précédée, chercher à étendre sur toute la France son fatal réseau. Malgré le mystère dont son organisation même lui permettait de s'environner, l'autorité a pu suivre ses trames secrètes, mais il ne saurait entrer dans notre mission de reproduire ici ses développements divers. Un seul fait, se rattachant intimement par l'un des accusés aux événements de mai, doit ici nous suffire; c'est à l'un des membres du comité exécutif, c'est à Barbès qu'il appartient encore. Avant de venir à Paris, Barbès habitait le département de l'Aude. Une partie de sa famille y réside, et il y possède quelques propriétés. Dans ses divers voyages à Carcassonne, Barbès n'a pas perdu de vue les intérêts criminels dont il était là le représentant, et il a cherché à y créer une société secrète.

C'est pour cela qu'il avait remis à un sieur Alberny un document relatif à la réception des nouveaux affiliés. Ce document n'est, en quelque sorte, que la répétition de celui que l'autorité administrative avait transmis, en 1836, à l'autorité judiciaire, ct dont nous avons déjà eu l'honneur de vous parler.

A côté de cet écrit, dont la lecture nous dispense de tout commentaire, fut saisie à la même époque une pièce tout entière de la main du sieur Alberny, et qui prouve quels étaient déjà les effets de ce prosélytisme coupable. C'est encore un formulaire, par questions, à l'usage des récipiendaires; il participe tout-à-la-fois de celui qui avait été administrativement obtenu, et de l'œuvre de Barbès.

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Il atteste par-là toute la puissance d'action de cette propagande anarchiste, à la tête de laquelle ce dernier s'était placé. A ce titre, il est, à nos yeux, comme le complément de cet ordre de faits.

Du reste, à Carcassonne comme à Paris, les théories à l'aide desquelles on voulait tenter les instincts populaires et entraîner

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les masses ne s'arrêtaient pas à une révolution politique. nivellement des propriétés était aussi, comme nous l'avons déjà dit, la tendance avouée et le résultat promis. C'est ainsi qu'en 1837, sous le prétexte d'un appel à la bienfaisance publique, Barbès, Alberny et quatre autres personnes publièrent à Carcassonne un écrit intitulé: Quelques Mots à ceux qui possèdent, en faveur des prolétaires sans travail.

Le rapporteur cite cette pièce, qui est signée Armand Barbès; Alberny aîné; Fages, avocat; Doux jeune, négociant; Trinchant; Paliopy.

Telles ont été, Messieurs, dans ces derniers temps, et jusqu'au jour de l'insurrection, les dispositions mystérieuses à l'aide desquelles l'esprit de révolte s'alimentait lui-même, en s'excitant incessamment au bouleversement et à la guerre civile.

1839 fut choisi comme l'année pendant le cours de laquelle devait être tenté le nouveau coup de main du parti. Aux circonstances appartenait le choix du moment; mais afin qu'elles ne fussent pas plus fortes que les conspirateurs, il importait, pour les armes, pour le plan, pour le nombre, d'être prêts à chaque signal. Aussi, le premier soin que devaient prendre les chefs auxquels il fallait obéir, suivant toute la rigueur de la discipline militaire, était de rappeler à Paris tous ceux qui s'en étaient éloignés.

Barbès était de ce nombre; il était allé prendre sa part, à Carcassonne et à Montpellier, de la dernière agitation électorale.

Aux premiers jours d'avril, il se trouvait encore dans le département de l'Aude. Le 9 avril, il fit viser à Carcassonne son passeport pour Toulouse. Au moment de son départ, il disait à ses voisins de campagne, à ses amis de la ville et à ses serviteurs, qu'il allait passer une quinzaine de jours à Marseille ou à Toulon, et le 23 il arrivait à Paris.

Quel est le motif de ce brusque départ? de ce mystère qui l'entoure? de ce soin avec lequel Barbès donne le change à ceux auxquels il est contraint d'avouer son projet? de cette fausse direction qu'il imprime, dans ses confidences forcées, à son voyage?

Le passé de Barbès avait répondu d'avance; mais l'attentat des 12 et 13 mai est venu donner à cette réponse une terrible confirmation. Ce qu'il importe d'établir ici, c'est que, si Barbès est parti pour se trouver à Paris aux jours de la révolte, il n'a pas, en cela, spontanément obéi à sa propre impulsion.

(Ici le rapport cherche à établir que ce fait signale le comité de Paris comme ralliant autour de lui les hommes d'action dont la présence importait aux projets de l'association. Il cite à l'appui de cette allégation l'enveloppe d'une lettre trouvée chez Barbès, et une lettre de Moulins trouvée sur Maréchal.)

Nous n'avons rien à ajouter à la lecture de ce dénouement. Par lui, vous le voyez, Messieurs, lorsque nous vous annoncions tout à l'heure qu'au moment où l'attentat avait été résolu, un appel avait été adresse à tous les fanatismes, nous n'avons été que les historiens fidèles d'un fait acquis aujourd'hui comme une terrible vérité.

Get appel fut entendu. Barbès, Maréchal, et tous ceux dont les noms appartiennent encore aux recherches judiciaires revinrent à Paris.

Là tout fut organisé pour la lutte. Le comité exécutif s'assemble souvent, et toujours dans des lieux différents, cherchant ainsi à cacher à l'autorité qui veillait ses criminelles menées. Son prenier soin fut de dresser ses plans d'attaque, de distribuer les grades, d'instituer un gouvernement provisoire, de rédiger, pour le combat, un ordre du jour. Par cet ordre du jour, Auguste Blanqui était investi du commandement en chef; Barbès, Martin-Bernard, Meillard, Nétré, étaient nommés commandants des divisions des armées républicaines.

Comme pour le Moniteur républicain et l'Homme libre, une presse clandestine servit à l'impression de cette proclamation, que le pays aurait ignorée sans le hasard qui a permis à la justice d'en saisir un exemplaire et de le soumettre à votre attention. Vous allez juger par sa lecture de tout ce qu'il y a de persévérance et d'intensité dans les rêves incendiaires des coupables.

« Aux armes, citoyens !

« L'heure fatale a sonné pour les oppresseurs.

«Le lâche tyran des Tuileries se rit de la faim qui déchire les entrailles du peuple; mais la mesure de ses crimes est comblée : ils vont enfin recevoir leur châtiment.

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La France trahie, le sang de nos frères égorgés crie vers vous et demande vengeance; qu'elle soit terrible, car elle a trop tardé. Périsse enfin l'exploitation, et que l'égalité s'asseye triomphante sur les débris confondus de la royauté et de l'aristocratie.

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« Le gouvernement provisoire a nommé des chefs militaires. pour diriger le combat ; ces chefs sortent de vos rangs; suivez-les, ils vous mèneront à la victoire.

« Sont nommés :

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Auguste Blanqui, commandant en chef;

Barbès, Martin-Bernard, Quignot, Meillard, Nétré, commandants des divisions de l'armée républicaine.

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Peuple, lève-toi! et tes ennemis disparaîtront comme la poussière devant l'ouragan. Frappe, extermine sans pitié les vils satellites complices volontaires de la tyrannie; mais tends la main à ces soldats, sortis de ton sein, et qui ne tourneront point contre toi des mains parricides.

« En avant! vive la république!

«Les Membres du gouvernement provisoire,

« BARBES, VOYER-D'ARGENSON, AUG. BLANQUI, LAMENNAIS, MARTIN - Bernard, Dubosc, LAPONNERAYE.

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Des proclamations au peuple et à l'armée, et un décret du gouvernement provisoire sont sous presse. »>

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Les noms qui se trouvent sur cette proclamation ont dû vous frapper, messieurs.-C'est Auguste Blanqui, dont les antécédents vous sont si bien connus, et dont nous aurons plus tard à vous entretenir.-C'est Barbès, qui appartient aussi à votre juridiction, et par son passé et par le lien des faits actuels. Ce sont après Blanqui et avec Barbès, Martin-Bernard, Quignot, Meillard, Nétré, Laponneraye, qui doivent à un grand nombre de poursuites politiques une influence de clubs et une illustration de parti. C'est Dubosc, qui a joué dans l'affaire des poudres un rôle important et qui y a été condamné à plusieurs mois de prison. D'autres noms, étrangers sans aucun doute aux crimes que le complot préparait et que l'attentat devait réaliser, figurent à côté de ces noms. Mais il est bien facile de comprendre la spéculation d'une telle manœuvre. N'oubliez pas que l'insurrection espérait un double résultat; que par l'inauguration d'un gouverement républicain et par le nivellement des fortunes elle promettait une révolution politique et sociale à-la-fois.-Faut-il s'étonner, après cela, que, pour donner à son œuvre de destruction une signification complète, elle ait eu la pensée de s'adjoindre, par le mensonge, l'influence de ces situations connues dont la présence est un drapeau et dont la personnalité est un symbole.

Quoi qu'il en soit, et en dehors de la recherche de la part de

responsabilité qui doit s'attacher à chacune des signatures, l'ordre du jour n'en reste pas moins comme preuve de ce complot permanent, sous la menace duquel, depuis 1834, nous étions incessamment placés. C'est une réminiscence des temps de Fieschi: c'est un acte semblable à cette proclamation manuscrite de Barbès, qu'il a voulu faire admettre à une autre époque comme le jeu d'une imagination en délire. - Aux jours de cette explication, il n'était pas de raison humaine qui pût croire à sa vraisemblance.- Mais aujourd'hui, lorsqu'après cinq années le même fait se reproduit sous la même forme, dans le même style, et avec la même violence, alors surtout qu'une sanglante réalisation a suivi la menace, le doute n'est plus possible, et l'identité d'origine est démontrée.

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JOURNÉES DES 12 ET 13 MAI.

Nous touchons au moment de la lutte : les partis vont descendre dans la rue. N'allez pas croire que le jour ait été choisi sans discernement, et que l'heure où ils doivent se réunir et attaquer soit livrée au hasard !

Vous savez quelles étaient les circonstances politiques au milieu desquelles nous nous trouvions alors. L'anarchie avait espéré qu'il lui serait facile de les exploiter à son profit, et, depuis le moment pour l'ouverture des Chambres, elle était en permanence, prête à marcher au premier signal.

fixé

Au jour de la première réunion parlementaire, elle n'attesta sa présence au milieu de nous que par un attroupement tumultueux, formé aux environs du Palais-Bourbon, attroupement qui se laissa facilement dissiper par un simple déploiement militaire et par l'intervention pacifique de la force municipale.

Depuis, elle ne manifesta ses intentions que par ces rassemblements qui, pendant quelques soirées, occupèrent la porte SaintDenis et la porte Saint-Martin; rassemblements inoffensifs, que grossit presque toujours une téméraire curiosité, et que les partis n'aventurent sur la voie publique qu'à titre d'essai.

Mais pendant que ces divers essais fatiguaient la population en l'inquiétant, le jour de l'attaque était délibéré et choisi. Depuis longtemps, les sections avaient désigné un dimanche ou un jour de fête. Ces jours-là, et après le moment où se ferment les magasins, une grande partie de la population active de la capitale quitte Paris pour quelques heures. Le dimanche 12 mai, par l'attrait des courses du Champ-de-Mars, cette émigration d'un instant devait être plus considérable. Il y avait là, dans l'absence présumée des

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