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il prenait part, sa conduite antérieure, les leçons qu'il a reçues de sa famille, les exemples qu'il a puisés ne sauraient faire penser ́qu'il ait cédé, dans les faits qui lui sont imputés et qu'il avoue, à l'influence d'aucune mauvaise passion.

Pierné est à peine arrivé à la vie intellectuelle. Deux années seulement le séparent du terme où la loi a fixé le discernement qui donné aux faits imputés à un accusé ordinaire le caractère de culpabilité qu'elle punit. Mais il ne s'agit pas ici d'un fait ordinaire, et l'intelligence des actes que l'accusation lui reproche n'est pas encore arrivée pour lui. C'est un enfant dans toute la force du terme, brave enfant s'il en fut, laborieux, honnête, respectueux pour ses parents, élevé par eux dans l'amour du travail qui moralise, et forme à l'exemple des vertus domestiques.

Mais c'est un enfant qui n'a vu dans les dernières agitations de l'insurrection du 13 qu'un objet de curiosité, qui y a participé par imitation, en cédant, sans s'en rendre compte, à ce malin plaisir que l'enfance trouve au désordre, et au bruit même qu'il entraîne avec lui.

Il a été trouvé armé d'une baïonnette cachée sous sa blouse; mais quels dangers présentait une telle arme en de telles mains? Le plus léger des châtiments que la loi réserve aux coupables de rébellion, aux tapageurs des rues, serait peut-être pour le jeune Pierné une trop grande sévérité. C'est en dire assez sur les sévérités de l'accusation Pierné a droit à toute l'indulgence de la Cour.

Après avoir discuté tour à tour les diverses charges de l'accusa ́tion, Me Madier de Montjau termine en ces termes :

Jusqu'ici, Messieurs, je me suis adressé à votre raison bien plus qu'à votre cœur. Je n'ai pas insisté sur la position de famille de l'accusé que je défends; sur cette famille, dont, malgré son âge, 'il en est le chef, qui lui devait le pain de chaque jour, et qui man'quera de pain et d'asile le jour où il lui manquera. Je ne vous ai pas parlé longuement non plus de son père, qui, mort sans retraite après vingt-six ans de bons services, avait gagné, bataille par bataille, ses décorations et ses grades. J'aime mieux devoir à votre justice qu'à votre libéralité cet acquittement, que je sollicite de toutes mes forces.

Je n'ai pas cherché secours non plus dans un autre ordre d'idées. J'aurais pu vous demander pourtant, Messieurs, comme hier un orateur dont j'envie la puissance et le talent, si, alors même que la curiosité scule n'aurait pas conduit cet enfant au

milieu de l'émeute, il ne serait pas excusé à vos yeux par le caractère de notre époque. Et vous, juges éclairés, qui du haut de votre expérience et de votre position, avez tout vu et tout pesé, vous auriez compris, que lorsque au milieu de révolutions sans nombre tout est resté incertain, que nul principe d'ordre n'a repris vie et racine, et que tant et de si nouvelles théories ont été développées avec l'attrait et la force du talent, vous auriez compris l'ardeur même coupable d'un enfant, et vous l'auriez pardonné. Mais, je le répète, je n'ai point cherché à excuser à vos yeux une culpabilité à laquelle je ne croyais pas.

Il ne me reste plus qu'un mot à dire.

Pairs du royaume ! les graves débats qui ont si longtemps préoccupé vos esprits touchent à leur terme. Entre beaucoup d'arrêts, tous graves, tous impatiemment attendus, vous allez en prononcer un qui doit ou sauver ou perdre une famille entière; vous allez reconnaître la faute ou l'innocence d'un tout jeune homme, décider s'il doit être libre ou prisonnier, vivre heureux ou flétri. Questions religieuses et saintes! « car, disait un homme qui parla souvent à cette place comme ministre du roi, et qui fut toujours un des plus fermes défenseurs de l'ordre et des libertés publiques, car, disait M. Guizot, l'homme qui déclare l'homme coupable et le condamne à ce titre, résout un problème et exerce un droit où Dieu seul est accusé de ne point faillir. »

M. LE PRÉSIDENT. Le défenseur de l'accusé Grégoire a la parole.

Plaidoirie de Ma Lafargue pour Grégoire.

Me LAF RGUE.— Messieurs, vous auricz pu remarquer que c'est avec raison que Grégoire occupe le dernier rang dans l'ordre de l'accusation: c'est qu'en effet les circonstances invoquées à sa charge étaient destinées à s'éclaircir par les débats et à disparaître en présence d'un examen attentif et contradictoire.

Ces circonstances se réduisent à trois faits : un témoin déclare l'avoir vu porteur d'un fusil; un autre, qu'au moment où il venait d'être frappé d'un coup de feu et terrassé sur le trottoir de la ruc des Quatre-Fils, il tentait de glisser ce fusil sous une porte cochere; plusieurs autres témoins déclarent qu'ils ont cru voir sa bouche et ses mains noircies de poudre.

Mc Lafargue examine et discute sommairement chacune de ces circonstances. Quant à la circonstance des lèvres et des mains noi

res, il prouve, par deux témoins qui ont examiné l'accusé après sa chute, le docteur Deschamps et le propriétaire de la maison rùc des Quatre-Fils, no 10, que sa bouche n'était noire que d'un seul côté, le côté gauche ; ce qui exclut toute idée que l'accusé ait déchiré des cartouches; que cette circonstance s'explique donc par la version de l'accusé, la mastication du tabac; que, quant à ses mains, elles étaient celles d'un ouvrier qui travaille.

Examinant la question de la possession du fusil par Grégoire, Me Lafargue démontre qu'un seul témoin déclare avoir vu cet accusé porteur d'une arme, Il y a ici une erreur d'autant plus manifeste que ce témoin, officier de la garde nationale, poursuivant les fuyards, déclare qu'il a vu quatre individus se sauvant à toutes jambes, et qu'il n'a reconnu Grégoire qu'après coup, et sans l'avoir signalé par aucune circonstance spéciale. Le défenseur démontre l'impossibilité de la circonstance du fusil glissé sous la porte cochère. Grégoire était renversé sur le trottoir, blessé à l'épaule gauche d'une manière si grave, qu'une opération chirurgicale a été jugée nécessaire : il était évanoui par suite de cette blessure. Et c'est dans cette position qu'on voudrait, dit Me Lafargue, que l'accusé ait songé à cacher ce fusil? Et d'ailleurs ce fusil était à ses pieds, de telle sorte qu'il ne pouvait y atteindre.

Me Lafargue établit que le fusil en question était celui dont M. Denizot, boulanger, avait été dépouillé, et il prouve qu'il résulte de l'instruction qu'on sait que ce fusil est passé en d'autres mains que celles de Grégoire. Il cite la déclaration faite par l'accusé Martin, que le fusil du boulanger avait été pris par un jeune homme de dix-huit ans environ, vêtu aussi d'une blouse bleue, et coiffé d'une casquette brune: renseignements qui n'ont aucun rapport avec Grégoire.

Il est donc possible, dit l'avocat, il est donc vraisemblable, et c'est ce que Grégoire a déclaré, que ce fusil soit tombé près de Grégoire et ait été jeté par l'un des fuyards signalés par le témoin; ce qui coïncide avec l'interrogatoire de l'accusé lui-même, et les déclarations par lui faites à un témoin qui en a déposé, le sieur Sandemoy.

Me Lafargue rappelle, pour établir l'invraisemblance de toute participation de Grégoire à l'attentat, que cet accusé venait de recevoir du roi un secours de 30 francs, et que lui et sa famille en manifestaient hautement leur reconnaissance; il dépeint la position de Grégoire, père de quatre enfants.

Messieurs, dit-il en finissant, j'ai terminé la discussion relative

à l'accusé Grégoire. S'il faut reconnaître que les indices qui s'élevaient contre lui ont pu motiver sa mise en accusation, peut-être penserez-vous que ces indices n'ont point acquis ce degré de certitude propre à vous donner la conviction intime dont le juge à besoin pour déclarer la culpabilité d'un accusé. Et d'ailleurs, à l'instant de prononcer une condamnation contre Grégoire, vous vous demanderez, Messieurs, si cette condamnation est bien nécessaire, si ce malheureux, supposé coupable, n'a point en réalité subi la peine de son crime, si l'expiation de sa faute n'est pas complète, puisque la blessure cruelle dont la justice divine a voulu qu'il fût atteint durera autant que sa misérable vie, désormais partagée entre de continuelles souffrances et de continuels remords.

(A six heures, l'audience est levée, et continuée à demain pour la suite des plaidoiries.)

15 AUDIENCE.

8 JUILLET.

Suite des PLAIDOIRIES: Me Hemerdinger pour Walch.

pour Lebarzic..

·Me Adrien Benoit pour Dugast.

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position du témoin Bernier.-RÉPLIQUE du procureur-général. — RÉQUISITOIRE. -Réplique de Me Dupont pour Barbès et Martin

Bernard. Déclaration de Barbès. — Clôture des débats.

A midi, les accusés sont amenés.

La Cour entre en séance à midi un quart.

M. le greffier de la Cour procède à l'appel nominal.

Plaidoirie de Ma Hemerdinger pour Walch.

Mc HEMERDINGER, défenseur de Walch. Il n'est malheureusement que trop vrai que Walch s'est trouvé mêlé aux déplorables événements du 12 mai; mais sa justification se trouve dans l'accusation elle-même. L'organe du ministère public n'a pas, en effet, hésité à rendre hommage à la bonne conduite de Walch, qui appartient à une famille pauvre, mais une des plus honnêtes de l'Alsace. C'est au boulevart que Walch se promenait le 12, lorsqu'il fut rencontré par des hommes qui me sont, qui doivent me rester inconnus. Au nom de plusieurs autres accusés, on vous a parlé de la séduction que peuvent exercer sur des imaginations

jeunes et ardentes les mots de liberté, de patriotisme, de grandeur nationale. Il y a eu toute autre chose dans la position de Walch; il a été entraîné par un laisser-aller exclusivement machinal; il a eu beau se débattre contre les mains qui l'étreignent, il lui a fallu suivre l'impulsion violente qu'on lui avait donnée.

Mais heureusement pour lui ses mains n'ont pas trempé dans le sang de ses concitoyens. Si dans l'instruction il a été question de coups de fusil tirés par lui en place de Grève, les protestations de Walch contre ce fait sont encore présentes à vos esprits. Il vous a dit, avec cet accent de franchise et de loyauté qui n'a cessé de l'animer dans le cours de ce tertible drame judiciaire, que, s'il a parlé à son cousin de coups de fusil tirés par lui, ce n'a été qu'en plaisantant. Vous pouvez l'en croire, Messieurs les pairs, car aucun des nombreux témoins entendus ne l'a déinenti sur ce point; mais ce qui prouve tout ce qu'il y a de vrai dans cette explication, ce sont les documents généraux du procès. Il est en effet établi qu'au moment où ces coups de fusil ont dû être tirés, la plus parfaite tranquillité régnait en place de Grève. Non, Walch n'a pas pris une part volontaire, intelligente aux tristes événements qui ont pesé sur la cité; je n'en veux pour preuve que sa conduite dans les journées suivantes. Des précautions pour échapper aux mains de la justice, il n'en a pris aucune; il a tout fait, au contraire, pour fournir des armes contre lui-même. Sa sécurité et la pureté de sa conscience étaient telles, qu'il n'a caché à personne tout ce qui lui était arrivé la veille; il a même montré les cartouches qu'on lui avait données. Cette conduite n'est pas celle d'un homme qui a pris une part active à la guerre civile.

Mais si Walch s'était borné à faire ses confidences à des personnes étrangères à sa famille, la justice n'aurait pas songé à s'occuper de lui. Venu à Paris du fond de son village, il y a quinze mois, Walch, qui venait de perdre son père, avait été recommandé à un parent qui devait couvrir de sa protection ce jeune ouvrier sans expérience. Romazetti avait accepté cette tutelle, et la famille voyait en lui l'ami, le guide, le confident fidèle du pauvre orphelin. Walch, qui avait fait à qui voulait l'entendre le récit de ce qui lui était arrivé le 12, ne manqua pas d'en entretenir aussi celui pour qui il n'avait rien de caché. Quelques jours après, Walch était entre les mains de lá justice: Romazetti l'avait dénoncé. Comme si ce jeune homme avait cessé d'être paisible et inoffensif!

Voilà comment Walch a été impliqué dans un procès auquel il

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