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devait rester étranger : la dénonciation a été lancée par un parent, par celui qui se disait l'ami de la famille, le protecteur du jeune ouvrier. Une telle accusation contre un homme qui a été victime d'une violence brutale ne peut pas prévaloir devant vous, Messieurs les pairs. Elle est entachée d'une souillure indélébile; et vos eœurs, familiarisés avec tout ce qu'il y a de grand, de noble, de généreux, vous en feront détourner les regards avec dégoût.

Plaidoirie de Me Barre pour Lebarzic.

M. BARRE.-Messieurs les pairs, aux talents éprouvés, la justification des doctrines politiques ouvre une large issue aux phrases brillantes, aux mouvements oratoires, cortége du discours qui - peut plaire, mais qui, par malheur, rarement persuade.

Heureusement pour ma neuve expérience je n'ai point à parcourir ce terrain difficile. Lebarzic est en dehors de toute association; Lebarzic est étranger à l'attentat du 12 mai. Et, Messieurs les pairs, ce n'est pas moi qui parle ainsi, c'est M. l'avocat-géné ral qui le proclame dans son réquisitoire du 5 juillet.

Ici le défenseur donne lecture à la Cour des paroles prononcées par le ministère public.

L'accusation, reprend Me Barre, est donc abandonnée à l'égard de Lebarzic. Aussi, je ne prends point la parole pour discuter une à une, pas à pas, les charges émises contre cet accusé, soit dans lé rapport, soit dans l'acte d'accusation du 17 juin. Désormais l'intérêt de Lebarzic me commande seulement de vous soumettre quelques courtes considérations qui, je l'espère, ne laisseront dans vos esprits aucun doute sur sa complète innocence.

Le dimanche 12 mai, sur les cinq heures du matin, un ouvriér, marié à une femme de dix-neuf ans, père d'un enfant de huit mois et demi, s'achemine, portant un morceau de pain sous le bras, vers une filature située rue Parmentier, dont il est le chauffeur. Cet ouvrier, c'est Lebarzic.

Cependant l'heure marche ; deux heures et demie ont sonné, et, dans le quartier Saint-Martin, la révolte prend son mot d'ordre, et va surgir! Où est Lebarzic, le chauffeur? Paisiblement, il travaille dans sa filature, nettoie ses fourneaux, arrange sa pompe;' puis, sur les trois heures, étant libre, d'après l'attestation même de son maître, il gagne son domicile, situé rue Lenoir; et là, il est vu par son propriétaire et par son portier, en costume de travail. L'on peut encore, Messieurs les pairs, comme Buffon, s'habiller

pour écrire, mais on ne fait guère toilette pour aller s'insurger. Eh bien! au moment où l'insurrection éclate dans Paris, tranquillement, chez lui, Lebarzic met ses vêtements les plus neufs ! Aussi quand il vous affirme que, selon sa coutume, il s'est rendu à Saint-Mandé, afin de voir sa mère malade, que sur le cours de Vincennes, il a rencontré sa femme, vous devez le croire. Lebarzic, sur les six heures et demie environ, retourne avec sa femme à son domicile; dans le faubourg Saint-Antoine, il rencontre Philippet, son contre-maître. Naturellement ils causent ensemble des événements du jour. Philippet propose à Lebarzic de l'accompagner, afin de voir ce qui se passe ; celui-ci accepte. Chemin faisant, un paquet lui est remis. Aussitôt que Lebarzic apprend ( ce qu'il soupçonnait du reste ) que ce paquet renferme un ́drapeau, il saisit la première occasion de s'en défaire; puis il rentre chez lui pour n'en plus ressortir.

Pourquoi, Messieurs les pairs, suspecteriez-vous la fidélité de ce récit, quand il est avéré que le lendemain matin, à quatre heures et demie, Lebarzic sortait de sa demeure en même temps qu'un ouvrier fondeur, quand il est établi qu'à cinq heures son maître lui remettait, comme à l'ordinaire, les clés de la filature, sans remarquer dans ses traits l'émotion la plus légère, la moindre préoccupation?

Non, Messieurs les pairs, un ouvrier tellement assidu à son travail que, durant deux ans et demi, ni son maître, ni son contremaître Philippet ne lui adressa pas un reproche; un ouvrier dans le domicile duquel on ne saisit ni journal, ni brochure, ni arme; auquel jamais on n'a entendu tenir un propos politique, un ouvrier semblable ne se métamorphose point tout-à-coup en factieux ! Et lorsque Lebarzic, homme d'honneur, qu'aucun témoin n'accuse, vous dit : Je n'ai pas pris part à l'assassinat du 12, votre` haute sagesse hésitera-t-elle à le déclarer innocent ? Je ne le pense pas.

-

Je n'ajouterai, Messieurs les pairs, qu'un dernier mot. — En matière politique, on ferait surtout bien de se préserver d'un ennemi qui peut nuire. Eh bien! Lebarzic, pour son bonheur, n'a pas la tête sillonnée par des espérances folles, et, ainsi qu'il le déclare, pourvu qu'il travaille, il est content.

Soyez donc persuadés que les entrepreneurs de sédition ne le raccoleront pas. Non, Lebarzic n'est point assez niais, assez simple, pour ignorer que les ouvriers que l'on jette dans une insurrection ne sont que les instruments, et qu'en révolution, les in

struments ce sont les dupes. Aussi, Messieurs les pairs, en acquittant Lebarzic, vous ne ferez point rentrer dans la société un homme dangereux, mais vous rendrez un probe et laborieux ouvrier à sa mère, bien inquiète, à sa jeune femme et à son pauvre petit enfant de huit mois et demi!

Plaidoirie de Me Grevy, pour Philippet.

Philippet, Messieurs, n'est inculpé que par les déclarations trèséquivoques de Lebarzic et de cette jeune ouvrière de dix-huit ans, de Rosalie Delille, qu'il aurait voulu aussi embaucher en lui promettant de la coiffer d'un bonnet rouge et de lui faire obtenir la croix d'Honneur, si elle consentait de marcher avec les bandes insurgées pour donner des secours aux blessés.

On a senti le vide de ces inculpations, et l'on est allé chercher dans les archives de la police des notes où, contre la vérité des faits, contre la teneur de certificats authentiques, Philippet est présenté comme s'étant mal conduit dans la garde municipale.

Je reproche à l'acte d'accusation d'avoir trop facilement accueilli une note de police où, en dépit du certificat honorable donné à Philippet par les chefs de son corps, on suppose qu'il aurait été chassé de la garde municipale pour indélicatesse.

M. Le Procureur-GENERAL. Nous avons précisément au dossier l'état des services de Philippet dans la garde municipale. Il y est dit qu'il a été puni pour avoir donné une fausse adresse, après avoir fait une dépense dans une auberge, et s'être en allé sans payer. Voilà ce que nous avons qualifié d'indélicatesse.

PHILIPPET. Ceux qui m'ont puni étaient plus indélicats que

moi.

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Me GREVY. Il n'y a rien d'inexact dans ce que j'ai dit. C'est dans une note de police que j'ai lue moi-même au dossier qu'ont été pris les renseignements dont je parlais.

Le défenseur discute l'une après l'autre toutes les charges élevées contre Philippet', et n'y trouve aucune de ces preuves matérielles ou morales qui sont la base nécessaire des condamnations en matière criminelle.

Non, Messieurs, vous ne rendrez pas une décision qui bouleverserait tous les fondements de la certitude humaine. Ce n'est pas le nombre plus que la rigueur des condamnations qui donnera à votre jugement une force morale. Frapper toutes ces têtes, cela ressemblerait à une proscription. Si vous voulez que votre arrêt

exerce sur les esprits une influence salutaire, il faut assurément qu'il soit humain; il faut surtout qu'il soit établi sur des preuves positives.

Me Grevy achève ainsi sa plaidoirie:

Je ne sais, Messieurs les pairs, si la mission que je remplis, si le désir dont je me sens tourmenté de porter dans vos esprits la conviction qui m'anime, exerce sur ma raison une influence qui la trouble; mais il me semble que l'innocence de Philippet éclate à tous les yeux, et que sa condamnation est impossible.

Non! en présence de cette accusation si témérairement échafaudée sur les contradictions sans nombre d'une déclaration isolée, et qui vient se briser contre tous les témoignages et tous les documents du procès; contre un alibi inattaquable et inattaqué; contre des impossibilités matérielles, il n'est pas en France un jury qui osât prononcer une condamnation!

Et ce serait la première cour de justice du royaume, ce serait cette assemblée où mes yeux contemplent toutes les illustrations de mon pays, où tant de lumières inspirent à l'innocence tant de sécurité, qui, bouleversant tous les fondements de la certitude humaine, donnerait à la France le scandale d'une pareille condamnation! Oh! Messieurs, je ne le crains pas de votre justice!

Je ne le crains pas non plus d'un autre sentiment. Ce n'est pas plus le nombre que la rigueur des condamnations qui donnera à votre jugement l'autorité morale dont il a besoin. Frapper sur toutes ces têtes ressemblerait à de la proscription. Si vous voulez que votre arrêt exerce sur les esprits une salutaire influence, il faut assurément qu'il soit humain, mais il faut surtout qu'il soit juste (Sensation).

M. LE PRÉSIDENT. La parole est au défenseur de Dugast.

Plaidoirie de Ma Benoît pour Dugast.

Me ADRIEN BENOIT. Messieurs, cette cause est fort simple. Il ne s'agit que d'établir un fait matériel: c'est que Dugast n'a fait partie d'aucune des bandes insurrectionnelles pendant les journées des 12 et 13 mai. Sans autre préambule, j'entre en matière.

Le défenseur s'attache à repousser l'unique charge qui pèse contre son client. Dugast, selon Lebarzic, aurait été vu le dimanche sur les sept heures du soir au milieu des insurgés. Mais Lebarzic n'a point fait une déclaration affirmative, mais il croit seulement l'avoir reconnu dans cette bande où Lebarzic aurait été incorporé malgré lui, et qui parcourait le faubourg Saint-Antoine.

Lebarzic a pu facilement se méprendre le 12 mai, à une heure où l'obscurité ne permettait plus de bien distinguer les objets: et dans tous les cas, rien ne prouverait que Dugast eût été là pour participer sciemment à des actes coupables.

Peut-on croire qu'un homme animé de tels sentiments ait pris part à un attentat politique?

Vous parlerai-je des antécédents favorables de Dugast, qui a servi dans la garde municipale, qui a travaillé dans divers ateliers? Vous parlerai-je de sa famille, qui attend avec anxiété votre arrêt, qui attend la mise en liberté d'un homme dont le travail est nécessaire à sa subsistance?

Non, Messieurs, ce n'est pas dans une pareille cause que doivent être invoqués de semblables moyens. Il est un autre sentiment qui la domine tout entière; c'est le sentiment de la justice. Je ne crains pas d'être démenti quand je dirai qu'il ne reste pas une seule charge réelle contre Dugast.

M. LE PRÉSIDENT. —La liste des défenseurs est épuisée. M. le procureur-général demande-t-il la parole?

M. le procureur-général se lève.

(Sur la demande de plusieurs de MM. les pairs la séance est suspendue pendant une demi-heure.)

Incident relatif à l'accusé Mialon.

Me BLOT-LEQUESNE. J'ai eu l'honneur de lire à votre audience d'hier une lettre d'une personne qui, ayant rencontré par hasard dans la rue un individu vêtu de velours, a cru reconnaître en lui, plutôt que dans l'accusé Mialon, le meurtrier du maréchal-deslogis Jonas. J'apprends que ce témoin, le sieur Bernier, est pré

sent.

M. LE PRESIDENT. Qu'on le fasse entrer.

M. BERNIER. - Hier matin, passant dans la rue Hautefeuille, je vois deux personnes qui arrivaient à ma rencontre. Je les regarde; j'en aperçois une qui avait des vêtements tout semblables à ceux que portait l'homme qui a tiré sur le maréchal-des-logis de la garde municipale, vêtements semblables aussi au costume de l'accusé Mialon. La ressemblance est si grande que j'en ai été frappé. J'aurais fait arrêter cet homme, si je n'avais crains de me tromper. Je me suis borné à écrire à son défenseur, en le priant de donner avis de cette rencontre à M. le procureur-général. LE PRÉSIDENT. Connaissez-vous cet homme que vous avez rencontré?

M.

M. BERNIER.

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Non, Monsieur.

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