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DES ACCUSES DES 12 ET 13 MAI.

Faits préliminaires.

Le premier acte judiciaire du procès est l'ordonnance du roi qui constitue la Chambre des pairs en cour de justice. Il a été apporté à la Chambre le 14 mai par M. Teste, garde-des-sceaux.

Voici cette ordonnance :

« Louis-Philippe Ier, roi des Français,

A tous présents et à venir, salut.

« Sur le rapport de notre garde-des-sceaux, ministre secrétaire-d'élat au ministère de la justice et des cultes;

« Vu l'article 28 de la Charte constitutionnelle, qui attribue à la chambre des pairs la connaissance des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'état;

« Vu les articles 87, 88, 91, 92, 96, 97, 98 et 99 du Code pénal;

<< Attendu que la ville de Paris, dans les journées des 12 et 13 mai, a été le théâtre d'attentats contre la sûreté de l'état dont il appartient à la cour des pairs de rechercher et de punir les auteurs, soit qu'ils aient agi isolément ou à l'aide d'associations;

« Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit:

« Art 1. La chambre des pairs, constituée en cour de justice, procédera sans délai au jugement des individus qui ont été ou qui seront arrêtés comme auteurs, fauteurs ou complices des attentats ci-dessus énoncés.

« Art. 2. Elle se conformera, pour l'instruction, aux formes qui ont été suivies par elle jusqu'à ce jour.

«Art. 3. Le sieur Franck-Carré, notre procureur-général près notre cour royale de Paris, remplira les fonctions de notre procureur-général près la cour des pairs,

« Il sera assisté des sieurs Boucly et Nouguier, substituts du procureurgénéral de Paris, qui seront chargés de le remplacer en cas d'absence ou d'empêchement.

Art. 4. Le garde des archives de la chambre des pairs et son adjoint rempliront les fonctions de greffiers près notre cour des pairs.

« Art. 5. Notre garde-des-sceaux, ministre secrétaire-d'état au département de la justice et des cultes, est chargé de l'exécution de la présente ordonnance.

« Fait à Paris, le 14 mai 1839.

<< Par le roi :

LOUIS-PHILIPPE.

« Le garde-des-sceaux, ministre secrétaire-d'état
au département de la justice et des cultes,
<< TESTE. >>

Le 15, la Cour des pairs s'est réunie pour entendre les réquisitions du ministère public.

M. Franck-Carré, procureur-général, a été introduit, accompagné de MM. Boucly et Nouguier, ses substituts, et il a prononcé un réquisitoire par lequel, après quelques considérations générales sur le caractère des attentats commis dans les journées des 12 et 13 mai, il a requis qu'il plût à la Cour d'ordonner l'apport à son greffe de toutes les pièces du procès, et désigner tels de MM. les pairs qu'il lui plairait pour procéder à l'information.

La Cour a rendu un arrêt conforme à ses réquisitions.

Ont été désignés comme instructeurs M. le chancelier Pasquier, et MM. Decazes, de Bastard, Portalis, Daunant, Barthe et Mérilhou.

L'instruction a été suivie aussi par MM. les juges d'instruction Perrot, Jourdain, Zangiacomi, Legonidec, Voizot, Berthelin, Boulloche, Salmon et Geoffroy-Château.

A la suite de l'information prescrite par l'arrêt du 15 mai, M. Mérilhou a fait, le 11 juin, un rapport au nom de la commission d'instruction.

Rapport de la commission d'instruction (1).

Messieurs, lorsque la cour des pairs s'est occupée du procès d'a. vril 1834, elle a dû rechercher quelle était l'organisation du vaste complot qui avait éclaté à la fois sur plusieurs points du royaume. L'instruction longue et approfondie, à laquelle vous vous êtes livrés à cette époque, vous a appris que l'influence des sociétés secrètes

(1) Quelques parties de ce rapport et du réquisitoire du procureur-général devant se reproduire lors des débats, nous avons cru pouvoir les abréger. (Note de l'éditeur.)

avait été l'un des grands moyens de destruction employés par les conspirateurs d'alors contre le gouvernement de juillet. Le rapport de votre commission, qui restera comme un monument précieux pour l'histoire de nos jours, vous montrera la dynastie et la révolution de 1830 attaquées tour-à-tour, et quelquefois simultanément, par les factieux de toutes les couleurs, par ceux qui travaillent au retour de la dynastie déchue, et par ceux qui veulent imposer à notre pays les formes républicaines. Vous avez vu, dans cette période de quatre années, depuis 1830 jusqu'en 1834, les factions anarchiques emprunter toutes les formes, adopter tous les langages, employer tous les genres de séduction, pour recruter des partisans et pour préparer des moyens d'attaque contre l'ordre que les pouvoirs publics avaient si laborieusement établi. Vous les avez vues délibérant d'abord presque publiquement sous le titre d'Amis du peuple, puis se fondre en sociétés secrètes, variées par leurs noms, leurs principes, leur composition; souvent agitées par l'ambition de ceux qui prétendaient les conduire ; préludant à l'anarchie générale par leurs dissensions intestines, mais à la fin à-peu-près réunies sous une direction unique, absorbées ou entraînées par la grande société des Droits de l'Homme, et produisant la trop fameuse insurrection d'avril 1834, qui ensanglanta à-la-fois Paris, Lyon, Saint-Etienne, et agita violemment plusieurs autres cités considérables. Cette vaste et impuissante tentative prouva tout-à-la-fois l'audace désespérée de ses auteurs, et leur isolement et leur faiblesse.

Cinq années se sont passées, et la ville de Paris vient d'être le théâtre d'une nouvelle attaque à main armée; attaque vigoureusement étouffée presque aussitôt que connue; attaque qui ne présente comme assaillants qu'un petit nombre d'individus, mais qui, par la violence et l'ensemble de son exécution, par la nature des moyens, par les principes au nom desquels elle a été faite, est de nature à exciter au plus haut degré la sollicitude et l'indignation de tous les bons citoyens.

Il est impossible, en effet, de voir dans la révolte dont nous venons d'être les témoins, et qui a laissé tant de victimes, une réunion fortuite et momentanée de quelques centaines de malfaiteurs se livrant au meurtre et au pillage, seulement pour assouvir des besoins individuels de vengeance et de cupidité. Tout repousse une pareille explication; les accusés eux-mêmes s'en défendent, et, d'accord en ce point avec l'instruction, ils rattachent les journées des 12 et 13 mai 1839 aux journées plus funèbres encore d'avril 1834, dont ils se prétendent les continuateurs.

Tous les documents de l'histoire judiciaire des cinq années qui séparent avril 1834 et mai 1839 se réunissent pour établir cette affligeante vérité, que les passions anarchiques vaincues en 1834 n'ont pas cessé un seul instant, depuis cette époque, leurs criminelles hostilités contre la constitution et le repos du pays. Ce n'est pas que nous voulions établir une injuste solidarité entre des actes d'une criminalité inégale; mais lorsqu'un parti s'est déclaré ennemi du gouvernement établi, lorsque des hommes s'accordent dans leurs vœux de destruction, il est permis au pays qui se défend d'expliquer par le même but tous les actes qui doivent conduire au même résultat, et de regarder avec la même méfiance ceux qui ont conseillé le crime et ceux qui l'ont justifié.

Expliquer les motifs secrets de chacun des individus qui composent un parti, déterminer avec précision le degré de violence et de perversité des passions de chacun d'eux, c'est une tâche impossible; mais lorsque ce parti s'est voué à la destruction de l'ordre établi, tous les moyens de destruction, employés successivement ou simultanément par les hommes de ce parti, s'ils ne sont pas l'œuvre de tous, sont au moins le produit des mêmes passions.

Ainsi, dans l'intervalle des complots d'avril 1834 à la révolte de mai 1830, nous voyons l'infernal attentat de Fieschi, qui a épouvanté le monde au moment même où vous vous occupiez du juge inent des accusés d'avril; la tentative d'Alibaud l'année suivante, en 1836, celle de Meunier en 1837, et les événements de Strasbourg en 1838. On dirait qu'il entrait dans les desseins de la Providence d'avertir chaque année le gouvernement, par un fait nouveau, que les ennemis de l'ordre constitutionnel ne s'endorment pas, et que la vigilance qui conserve doit être égale à l'activité qui attaque.

Au milieu de ces faits douloureux, dont le renouvellement presque annuel est digne d'une attention sérieuse, est arrivé le grand acte de l'amnistie, acte glorieux, qui a pu faire quelques ingrats, mais dont le pouvoir ne doit conserver aucun regret, puisqu'il a prouvé que le gouvernement de juillet pouvait unir, à la force qui sait vaincre, la magnanimité qui pardonne.

Le parti anarchique, qu'on devait croire découragé par sa défaite d'avril 1834, n'a pas cessé un instant depuis cette époque de travailler à son œuvre de destruction. La nouvelle loi sur les associations (10 avril 1834), au lieu d'éteindre les sociétés secrètes, a fait sentir aux factieux la nécessité de diminuer le nombre des adeptes composant chaque aggrégation; mais le nombre des aggré

gations elles-mêmes a été augmenté; les relations hiérarchiques qui les unissent les unes aux autres se sont compliquées : le voile qui cache aux agents inférieurs le nom des directeurs suprêmes est devenu plus difficile à soulever. L'œil vigilant de la loi a rencontré plus d'obstacles; les doctrines qu'on professe dans ces réunions ténébreuses ont redoublé de perversité, et les passions qui les agitent ont acquis plus de violence, en raison même du mystère dont on a cru qu'on resterait enveloppé.

Les greffes des tribunaux n'offrent que trop de preuves de cette triste vérité. Sans rappeler tous les procès qui, depuis 1834, sont venus attester l'existence des sociétés secrètes, et leur influence sur notre tranquillité intérieure, nous nous bornerons à citer trois faits judiciaires dont la liaison intime avec le procès actuel vous paraîtra d'autant plus frappante que deux de ces faits, les deux procès des poudres, portent sur la création même des moyens d'exécution de la révolte qu'on projetait, et l'autre, la publication du Moniteur républicain et de l'Homme libre, avait pour objet de disposer les esprits à la prise d'armes qui se préparait. Si vous voyez reparaître dans le procès de la révolte de mai plusieurs des personnages qui figurent dans les faits antérieurs, vous conclurez facilement que ceux qui ont dirigé et exécuté l'insurrection aient d'avance préparé les moyens de l'exécuter.

Avant d'entrer dans l'exposé des faits que notre devoir nous commande de vous faire connaître, qu'il nous soit permis de signaler à votre attention les caractères qui distinguent la dernière insurrection de toutes les précédentes tentatives des partisans de l'anarchie.

Vous avez encore présents à la pensée les souvenirs d'avril 1834. Le but des mouvements de cette époque n'était clairement défini que sous un rapport, l'établissement d'un gouvernement républicain; mais on voit par les pièces annexées au procès d'avril que les conspirateurs étaient loin d'être d'accord entre eux sur la nature même du gouvernement auquel tous voulaient appliquer la dénomination de république. On voit parmi eux les esprits profondément divisés à cet égard. Le système fédératif, la constitution directoriale, la forme consulaire, et d'autres gouvernements plus ou moins nettement formulés, partageaient les opinions des meneurs. Mais l'idée de la constitution de 1793, que quelquesuns avaient jetée en avant avec timidité, et qui avait prévalu dans le comité directeur de la société des Droits de l'Homme, aurait été aussitôt repoussée par les masses comme un rêve impossible, dont l'expression seuic suffisait pour discréditer un parti.

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