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Interrogatoire de Barbès.

M. LE PRÉSIDENT.-Accusé Barbès, levez-vous. (Mouvement d'attention).

BARBES.-Je ne me lève pas pour répondre à votre interrogatoire; je ne suis disposé à répondre à aucune de vos questions. Si d'autres que moi n'étaient pas intéressés dans l'affaire; je ne prendrais pas la parole, ou mes lèvres ne s'ouvriraient que pour protester en quelques mots contre vos prétentions judiciaires. J'en appellerais à vos consciences, et vous reconnaîtriez que vous n'êtes pas ici des juges venant juger des accusés, mais des hommes politiques venant disposer du sort d'ennemis politiques. Mais comme la journée du 12 mai vous a donné un grand nombre de prisonniers, comme plusieurs d'entre eux sont à mes côtés, que la majeure partie d'entre eux est réservée pour d'autres fournées, j'ai un devoir à remplir.

Je déclare donc que tous ces citoyens le 12 mai à trois heures ignoraient notre projet d'attaquer votre gouvernement. Ils avaient été convoqués par le comité sans être avertis du motif de la convocation; ils croyaient n'assister qu'à une revue ; c'est lorsqu'ils sont arivés sur le terrain, où nous avions eu le soin de faire arriver des munitions, où nous savions trouver des armes, que j'ai donné le signal, que je leur ai mis les armes à la main, et que je leur ai donné l'ordre de marcher. Ces citoyens ont donc été entraînés', forcés par une violence morale, de suivre cet ordre. Selon moi, ils sont innocents.

Je pense que cette déclaration doit avoir quelque valeur auprès de vous; car pour mon compte, je ne prétends pas en bénéficier. Je déclare que j'étais l'un des chefs de l'association, je déclare que c'est moi qui ai préparé le combat, qui ai préparé tous les moyens d'exécution; je déclare que j'y ai pris part; que je me suis battu contre vos troupes ; mais si j'assume sur moj la responsabilité pleine et entière de tous les faits généraux, je dois aussi décliner la responsabilité de certains actes que je n'ai ni conseillés, ni ordonnés, ni approuvés. Je veux parler d'actes de cruauté que la morale réprouve, Parmi ces actes, je cite la mort donnée au lieutenant Drouineau, que l'acte d'accusation signale comme ayant été commis par moi, avec préméditation et guet-apens.

Ce n'est pas pour vous que je dis cela ; vous n'êtes pas dispo

sés à me croire, car vous êtes mes ennemis. Je le dis pour que mon pays, pour que la France l'entende. C'est là un acte dont je ne suis ni coupable ni capable. Si j'avais tué ce militaire, je l'aurais fait dans un combat à armes égales, avec les chances égales autant que cela se peut dans le combat de la rue, avec un partage égal de champ et de soleil. Je n'ai point assassiné, c'est une calomnie dont on veut flétrir un soldat de la cause du peuple. Voilà tout ce que j'ai à vous dire. Je n'ai pas tué le lieutenant Drouineau.

J'ai encore une autre déclaration à faire, c'est qu'on a attribué à tort à l'association la publication du Moniteur républicain. L'association est complètement étrangère à cette publication, et votre bon sens comprendra que je dis la vérité. Dans le Moniteur républicain, on parlait de former des associations pour marcher contre le gouvernement. C'était prévenir le gouvernement, c'était l'avertir. Nous avions l'intention de livrer au gouvernement un combat imprévu; nous ne pouvions donc emboucher la trompette et sonner l'alarme.

J'ai encore une observation à faire. Bonnet n'a pas fait partie de l'association. J'avais donné des ordres pour faire des propositions à Bonnet, Bonnet avait refusé formellement.

Nouguès ne faisait pas partie de l'association. Je parle de cela très-pertinemment, parce que Nouguès avait été inculpé, dans le temps, d'avoir voulu favoriser l'évasion de Blanqui. Ce fait m'avait frappé. Je demandai des nouvelles de Nouguès à mon retour à Paris, et j'appris qu'il ne faisait pas partie de notre association.

Il résulte de ce fait la preuve que parmi les individus arrêtés il en est beaucoup qui ne font pas partie de l'association. Voilà ce que j'avais à vous dire.

LE PRESIDENT.

-Cette déclaration ne peut vous dispenser de répondre à mes questions.

BARBES.-Je ne répondrai à aucune question. Je vous ai dit tout ce que j'avais à dire, ma tête répond pour moi. Il est donc inutile de m'interroger. Lorsqu'un homme se déclare chef d'une insurrection, lorsqu'il déclare qu'il a préparé et combiné les moyens d'attaque, qu'il a combattu à main armée le gouvernement, qu'il s'est battu contre ses troupes, il semble que cela doit suffire.

M. LE PRESIDENT.-Vous dites que vous déclinez une partie de l'accusation, celle qui est relative à l'assassinat du lieutenant Drouineau. Je dois vous faire sentir à vous-même que vous devez, dans votre intérêt, subir l'interrogatoire au moins sur ces faits-là.

BARBES. Pour répondre sur ce fait-là, je serais obligé d'entrer dans un exposé de faits particuliers. J'ai protesté contre le meurtre du lieutenant Drouineau, parce que c'était un fait qui entachait mon caractère; je ne l'ai pas fait pour me défendre devant des juges, car je ne vous reconnais pas pour juges; vous êtes mes ennemis, et je vous livre ma tête.

M. LE PRESIDENT.

Il m'est impossible de ne pas vous adresser des questions; vous répondrez ou vous ne répondrez pas.

BARBES.-Je ne répondrai à aucune question. Je vous fais cette observation dès l'abord afin que vous ne vous fatiguiez pas vousmême par d'inutiles questions.

M. LE PRESIDENT. Je passerai les questions relatives aux faits sur lesquels vous avez fait une déclaration formelle, puisque vous avez reconnu avoir assisté à la bataille, y avoir pris une part considérable, avoir fait partie et être un des chefs de la Société des Saisons; mais il est des faits sur lesquels il est impossible que je ne vous interroge pas.

Vous avez déjà été arrêté plusieurs fois. Lors de l'une de ces arrestations, en 1838, on a saisi chez vous un écrit commençant par ces mots : «< Citoyens, le tyran n'est plus; » et finissant par ceuxci: Il faut payer sa dette à son pays. » Cette proclamation semblait se rapporter à l'attentat de Fieschi. Cet écrit est-il de vous? BARBES.-Je ne réponds pas.

M. LE PRESIDENT adresse à Barbès une série de questions sur sa participation à la formation de sociétés illicites, ses rapports avec la dame Roux, chez laquelle une malle pleine de cartouches avait été déposée, et à l'insurrection des 12 et 13 mai.

BARBES ne répond à aucune de ces questions.

M. LE PRESIDENT.

L'accusation vous reproche d'avoir, sur le refus fait par l'officier de rendre ses armes, tiré sur lui à bout portant un coup de fusil qui l'a blessé mortellement ?

BARBES.-Je me suis expliqué sur ce point.

D.-Vous ne donnez pas d'autres explications?

R. Puisque je déclare que je ne vous reconnais pas pour mes juges..... C'est inutile.

D.- Il ne dépend pas de vous de reconnaître ou de ne pas reconnaître la Cour comme vos juges. Même d'après l'intérêt que vous avez dit que vous preniez à vos co-accusés, vous êtes obligé de répondre.

R. Je n'ai donné cette explication que par rapport à mes amis; je répète que je ne reconnais pas le pouvoir de la Cour.

M. LE PRESIDENT continue d'interroger Barbès sur le rôle que celui-ci aurait joué pendant l'insurrection.

D.➡ L'instruction a encore constaté une circonstance qui prouve votre participation dans les actes qui ont précédé l'insurrection. On a trouvé sur un nommé Maréchal, tué dans l'action, un billet que je vous représente; le reconnaissez-vous pour être de votre main?

BARBĖS, après avoir jeté les yeux sur le billet. Je vois le billet, mais je ne réponds pas.

Plusieurs autres questions relatives aux actes de l'insurrection sont encore adressées à Barbès; il n'y répond pas.

M. LE PRESIdent. Vous voyez qu'il n'était pas même nécessaire de vos déclarations et de vos aveux pour arriver à une démonstration positive des faits de l'attentat et du rôle que vous y ́avez joué. Je vous engage à faire vos réflexions, et à penser s'il ne vaudrait pas mieux, pour votre défense, entrer dans quelques détails...

BARBES. Mes réflexions sont toutes faites: j'ai déjà dit que, de- ́ vant mes ennemis politiques, je ne croyais pas devoir me défendre, et je ne me défends pas.

M. LE PRESIDENT.-Asseyez-vous.

les

Barbès qui, pendant cet interrogatoire, est resté debout, bras croisés, la tête haute, les yeux fixés sur M. le président, s'assied tranquillement. (Longue agitation)

M. LE PRESIDENT, à Martin Bernard. - Martin Bernard, levez

vous.

D.-Vous êtes signalé par l'accusation pour l'un des chefs de la Société dite des Saisons?

R. Je déclare au président de la Cour des Pairs que je suis dans l'intention de ne répondre à aucune de ses questions.

L'accusé ne fait aucune réponse aux nombreuses questions qui lui sont adressées sur la part qu'il aurait prise à l'insurrection. Sur l'ordre de M. le président, M. Léon de la Chauvinière donne lecture des deux pièces manuscrites saisies sur Martin Bernard. Voici la première pièce :

« Le récipiendaire est introduit un bandeau sur les yeux.

་་

« Au nom du peuple, la séance est ouverte.

» Citoyen, quel est ton nom?-Ton âge? Le lieu de ta nais

sance? Ta profession?

Où demeures-tu? - Quel est le nom

du citoyen qui t'a conduit ici?

Avant de passer à d'autres questions, nous devons te demander le serment suivant :

« Tu jures de ne jamais révéler ce que tu vas entendre? → Je

le jure!

«Dans quel but viens-tu près de nous?-R. Pour me faire recevoir dans une association dont le but est de renverser par les armes la royauté, et d'y substituer la république.

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D. Dis-nous ce que tu penses de la royauté, et ce que tu entends par la république?- R. (Comme le récipiendaire ne fait pas toujours une réponse complète à ces deux questions, le citoyen chargé de le recevoir répond à ceux-ci dans les termes suivants :) Nous allons en peu de mots, sur ces deux questions, compléter ta pensée et te développer la nôtre.

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La royauté est une forme de gouvernement anti-sociale et infâme, qui consacre en principe l'inégalité de droits et de devoirs parmi les hommes. Aux uns toutes les jouissances, aux autres toutes les tortures et toutes les douleurs ; à ceux-ci la misère, le travail, le mépris et une mort lente de tous les instants'; à ceux-là la richesse, l'oisiveté, la considération et toute l'influence sociale. C'est le riche qui est tout dans cette société : c'est lui qui fait les lois, qui règle, sans contrôle et sans discussion, les conditions du travail, qui fixe le salaire de l'ouvrier. Et si ce dernier, de guerre lasse, sort parfois de son apathie pour réclamer son droit, pour faire entendre la voix de la justice, on l'emprisonne comme un vil scélérat, on l'appelle populace, canaille, séditieux. Voilà le tableau fidèle et abrégé de la situation des maux de la France à l'intérieur. A l'extérieur, le tableau n'est pas moins sombre: la France trahie et déshonorée aux yeux de l'Europe; les peuples, nos frères, lâchement abandonnés ; la Pologne égorgée; partout la trahison, la lâcheté, la honte et l'oppression : et tout cela pour assurer le règne d'un exécrable scélérat.

« Sur les débris fumants de la royauté et de l'aristocratie, nous voulons établir la république et le règne de l'égalité. Nous voulons renverser tous les priviléges attachés au hasard de la naissance. Nous voulons que tous les hommes aient le droit de manger, c'est-à-dire le droit de travailler, que leur existence, enfin, ne soit pas livrée aux caprices et aux agiotages de quelques monopoleurs industriels qui font à leur gré la hausse et la baisse. Nous voulons substituer l'esprit d'association à l'esprit d'indivi

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