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a recruté 500 Cophtes, dont plusieurs ont été faits sous-officiers et ont obtenu la légion-d'honneur; il en existe sans doute encore en France.

Mais quelle était la puissance qui pouvait attaquer l'Égypte? La Porte ottomane? elle avait perdu ses deux armées de Syrie et de Rhodes; les batailles des Pyramides, du Mont-Tabor et d'Aboukir avaient décélé toute la faiblesse des armées ottomanes. Le grand-visir avec un ramassis de canaille asiatique, n'était pas un épouvantail, même pour les habitants. La Russie? c'était un fantôme dont on menaçait l'armée. Le czar desirait que l'armée française se consolidât en Égypte; elle jouait son jeu, et lui ouvrait les portes de Constantinople. Restait donc l'Angleterre? mais il fallait une armée d'aumoins 36,000 hommes pour réussir dans une pareille opération, et l'Angleterre n'avait pas cette armée disponible. I Il était évident, puisque l'Angleterre était parvenue à former une seconde coalition, qu'elle conquerrait l'Égypte en Italie, en Suisse ou en

France.

Mais d'ailleurs l'armée d'Orient pouvait recevoir des secours de France pendant l'hiver, rien ne pouvait l'empêcher.

La destruction de l'escadre d'Aboukir fut un grand malheur sans doute; mais la perte de onze bâtiments, dont trois étaient très-vieux, n'était

pas irréparable. Dès le mois d'août 1799, l'amiral Brueys dominait dans la Méditerranée avec 40 vaisseaux de guerre ; s'il eût voulu jeter 15,000 hommes en Egypte, il en était le maître; il ne le fit pas, parce que la guerre allumée sur le continent rendait nécessaires toutes les troupes françaises en Italie, en Suisse, ou sur le Rhin. Dans le mois de janvier 1800, immédiatement après le 18 brumaire, on eût pu faire passer autant d'hommes que l'on eût voulu, en les embarquant sur l'escadre de Brest, sur celle de Rochefort; mais les hommes étaient nécessaires en France pour dissoudre la deuxième coalition; ce ne fut qu'après Marengo où l'état de la république changea, qu'on songea à envoyer des renforts considérables à cette armée.

Gantheaume partit avec sept vaisseaux de guerre de Brest, portant 5,000 hommes. Quarante vaisseaux devaient appareiller au moment où les premiers coups de canon seraient tirés dans la Baltique; ce qui obligerait l'Angleterre d'y envoyer trente vaisseaux de guerre de renfort. Ces quarante vaisseaux de Brest auraient donc dominé dans la Méditerranée, pendant une partie de l'été; ils auraient embarqué à Tarente les troupes nécessaires pour l'Égypte.

Dans le mois d'octobre 1800, des avisos, des frégates, des bâtiments de commerce, arrivé

rent fréquemment en Égypte, le vin et les marchandises d'Europe y furent en grande abondance, et l'armée reçut des nouvelles de France tous les mois. Il n'y avait aucun moyen d'empêcher des frégates et des corvettes partant de Toulon, d'Ancône, de Tarente, de Brindisi, d'arriver à Damiette ou Alexandrie, dans les mois de novembre, décembre, janvier, février, et mars: l'Égyptienne et la Justice parties de Toulon, arrivèrent dans le mois de janvier en dix jours; la Régénérée de Rochefort y arriva en dix-sept jours. Concluons: 1° l'armée d'Orient n'avait pas besoin de secours; 2° elle pouvait rester plusieurs années sans faire de nouvelles recrues; 3o elle pouvait faire des recrues tant qu'elle voulait, en choisissant des chrétiens, même des jeunes musulmans, et enfin en achetant des Noirs de Darfour et de Sennaar. L'Égypte n'est pas une forteresse, ce n'est pas une île stérile, c'est un immense royaume qui a une côte de cent-vingt lieues. Appliquer à un pays aussi riche, aussi étendu, les principes qui conviennent à une citadelle, c'est étrangement se tromper et se fourvoyer. Les croisés furent maîtres plus de cent ans de la Syrie. C'était une guerre de religion.

Les instructions détaillées que le général en chef fit remettre au général Kléber, et la lettre

datée d'Aboukir du 5 fructidor, qui est imprimée, et qu'il lui écrivait au moment de son départ, font assez connaître ses projets sur l'Égypte, ses espérances de retour pour compléter son expédition, et la sécurité parfaite où il était, que Kléber consoliderait sa colonie. Tant que la France aurait la guerre, et que la deuxième coalition ne serait pas dissoute, on ne pouvait que rester stationnaire en Égypte, et seulement conserver le pays, et pour ce but Kléber ou Desaix étaient plus que suffisants. Napoléon obéit au cri de la France, qui le rappelait en Europe en partant; il avait reçu du directoire carte blanche pour toutes ses opérations, soit pour les affaires de Malte, soit pour celles de la Sicile, soit pour l'Égypte, soit pour Candie. Il avait des pouvoirs en règle pour faire des traités avec la Russie, la Porte, les régences et les princes de l'Inde, il pouvait ramener, nommer son successeur, revenir quand cela lui conviendrait.

Quand il reçut la nouvelle de l'assassinat de Kléber, et que le général Menou, comme le plus ancien général, avait pris le commandement, il pensa à rappeler Menou et Reynier, et à donner le commandement au général Lanusse. Le général Menou paraissait avoir toutes les qualités nécessaires pour le commandement : très-instruit : bon administrateur, intègre. Il s'était fait mu

sulman, ce qui était assez ridicule, mais fort agréable au pays: on était en doute sur ses talents militaires; on savait qu'il était extrêmement brave, il s'était bien comporté dans la Vendée, et à l'assaut d'Alexandrie. Le général Reynier avait plus d'habitude de la guerre; mais il manquait de la première qualité d'un chef: bon pour occuper le deuxième rang, il paraissait impropre au premier. Il était d'un caractère silencieux, aimant la solitude: ne sachant pas électriser, dominer, conduire les hommes. Le général Lanusse avait le feu sacré; il s'était distingué par des actions d'éclat aux Pyrénées, en Italie; il avait l'art de communiquer ses sentiments aux deux premiers; mais ce qui décida le premier consul à laisser les choses comme elles étaient, c'est la crainte que le décret de nomination ne fût intercepté par les croisières ennemies, et qu'ils ne s'en servissent comme d'un moyen, pour mettre de la division, du trouble dans l'armée, qui paraissait déja disposée à se diviser. Il était impossible alors de prévoir à quel point Menou avait d'incapacité pour la direction des affaires de guerre, puisqu'il avait été militaire toute sa vie, qu'il avait beaucoup lu, qu'il avait fait plusieurs campagnes, qu'il connaissait parfaitement le théâtre où il se trouvait.

Napoléon n'avait en Égypte aucun parti, il

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