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régente s'appuyait pour sortir des Tuileries où ses pre miers pas avaient fait assister le diplomate débutant à l'aurore de l'éblouissante, puis tragique fortune de doña Eugenia de Guzman, comtesse de Téba: la princesse Pauline a revendiqué pour son mari l'honneur de cette escorte (1), que prétendait usurper l'italien Nigra, suspect de bien mauvaise mémoire, à en juger par ses étranges récits du drame de Mayerling. Elle n'a pas caché davan tage quelle fidélité leur amitié garda à la souveraine déchue, ni quels sentiments inspiraient à l'ambassadeur le nouveau «< chef du pouvoir exécutif », le républicain M. Thiers (2). Rappelé sur sa demande en décembre 1871, il remit avec un soupir de soulagement ses lettres de rappel que l'historien du Consulat et de l'Empire fit suivre du parchemin suivant, épilogue, dirons-nous, « en marge des Souvenirs de l'ambassadrice (3):

La président de la République française, à Sa Majesté l'empe reur d'Autriche, roi de Bohême et roi apostolique de Hongrie.

Très cher et grand ami, Nous avons reçu la lettre que Votre Majesté Impériale et Royale Apostolique Nous a écrite pour Nous annoncer qu'Elle a mis fin à la haute mission que remplissait auprès du gouvernement français en qualité d'ambassadeur

(1) Souvenirs, p. 220, démentant sur ce point les allégations d'une lettre du chevalier Nigra à M. DE LA GORCE, Histoire du second Empir t. VII.

(2) Lettres de créances du 3 mars 1871. Excellentissimo Domino Adolpho Thiers, Præsidi, Capiti potestatis exequentis reipublicæ Gallica envoyées à Richard, à Bordeaux. Il s'absentait, bientôt revenait à Ver sailles le 31 mai pour repartir en congé au Johannisberg le 24 juillet, rentrer le 2 août, mais repartir le 2 septembre et ne rentrer que le 16 dé cembre en attendant ses lettres de rappel, signées le 20 et qu'il remitle 35 Son remplacement par le comte Apponyi avait été agréé dès le ir par François-Joseph (Staatsarchiv. A. R. F. 6).

(3) Ibid. Mis en disponibilité et, comme de règle, deux ans après, à la retraite (avec une pension de 4 830 florins), Richard de Metternich fut envoyé en ambassade extraordinaire pour représenter François Joseph au couronnement du roi et de la reine de Suède et de Norvège à Stockholm en 1873, au mariage du roi d'Espagne en 1878. Il est mort, à l'âge de soixante-dix ans, le 1er mars 1895.

extraordinaire M. let le prince Richard de Metternich-Winneburg, duc de Portella, comte de Koenigswart, grand d'Espagne de première classe, son conseiller intime et son chambellan, grandcroix x des ordres de la couronne de fer, de Léopold, de SaintÉtienne et de la Légion d'honneur. Nous devons rendre cette Justice à cet ambassadeur de Votre Majesté qu'il s'est dignement acquitté de la tâche qu'Elle lui a confiée; sa conduite a constamment obtenu notre entière approbation, comme son caractère et son esprit de conciliation ont mérité notre confiance. Nous 'avons pas manqué de le lui témoigner dans la dernière audience que Nous lui avons donnée, et Nous avons en même temps profité de cette occasion pour le charger particulièrement de renouveler Votre Majesté Impériale et Royale les assurances de notre respectueuse estime et de notre constante amitié. Écrit à Versailles, le 1er février 1872.

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C'est la musique qui avait uni les doigts et les cœurs le Richard et de Pauline de Metternich. C'est elle qui enchanta les longs loisirs, que l'orientation fatale de revers 'Autriche-Hongrie vers l'Allemagne et l'Italie unifiées. nalgré elle et contre elle, et les accords contre nature de a triplice bismarckienne, imposèrent à l'ancien ambassaleur à Paris, sinon à son active compagne, absorbée dès ors de plus en plus par une action de charité et de bienaisance sans cesse plus vaste. Il était naturel que le second tome de Souvenirs réunis ici sous le vocable un peu étroit d'Enfance et de Jeunesse, consacrât aux grands nusiciens de la seconde partie du dix-neuvième siècle ses principaux autres chapitres. Richard, aimable composieur mondain qui avait tenu avec autorité le bâton de chef d'orchestre aux représentations privées de Comiègne, et Pauline, inimitable dans la chansonnette, urent parmi les premiers et les plus fervents wagnériens. La princesse était cependant trop parisienne pour ne pas rouver bien longs « le sermon de Fricka ou la scène du Vénusberg», ce qui la fit tenir « pour extrêmement bête >> ar le « Titan ». La grande scène de Tannhäuser à l'Opéra

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de Paris, j'entends, la « scène dans la salle », était déjà bien connue : Pauline y apporte la mise au point définitive des légendes. Liszt lui était «< personnellement plus sympathique que Wagner ». C'est elle qui le présenta à Napoléon III et au ministre des Beaux-Arts Walewski, comme à Gounod, et le fit décorer de la Légion d'honneur; elle qui lui fit accompagner Mme Viardot-Garcia et jouer avec Saint-Saëns, dont il déclarait qu'on pouvait être aussi musicien que lui, mais non davantage! Ainsi apparaît-elle, dans ces nouvelles notes, un peu minces d'étoffe peut-être, mais qui complètent heureusement ses Souvenirs déjà si goûtés en France, non plus seulement l'ambassadrice d'un souverain auprès d'un autre, mais l'animatrice du rapprochement de deux cultures et de deux mondes artistiques dont elle unissait en elle l'instinct délicat, le sentiment raffiné et la subtile intelligence.

MARCEL DUNAN,

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Il est difficile de parler d'Eugène Marsan et dangereux de le citer; non que ses textes soient pernicieux ou bien sa langue corrompue; mais il y a chez lui un цуа souci constant de la perfection, une pureté de la syntaxe, une aisance du tour, un heureux choix des pensées, des méthodes et des termes dont, par comparaison et opposition, le voisin, le critique en l'espèce, peut se voir singulièrement accablé.

Eugène Marsan est arrivé tard, mais c'est par jeu.

In mezzo del cammin della nostra vita... pourrait-il dire comme Dante. Et comme le Florentin attendit ce temps pour visiter l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis, le Parisien l'attendit pour interroger, porteur de trois livres, et les autres encore cachés dans le secret de sa cervelle ou de son cœur, qui? l'opinion, frivole maîtresse? ou bien la fleur de l'esprit français? ou simplement tel mouvement de joie au plus profond de lui-même?

Il y a, voyez-vous, deux sortes de gens, ceux qui se précipitent et ceux qui musent. Et les seuls poètes sont, je crois, parmi les seconds. La vie, comme les bons vins, demande à être dégustée. Boire à l'américaine ou réussir trop vite, c'est, sauf exception, manquer le plaisir durable et le définitif laurier.

Jadis, Marsan donna un petit recueil de contes philo

sophiques Au pays des Firmans, puis, beaucoup plus tard: Amazones. Déjà il se croyait permis d'être bref, non qu'il n'eût rien à dire, mais « tout est dit et l'on vient trop tard depuis sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent ». C'était l'opinion de La Bruyère à qui l'on a pu le comparer, sans que souffrit la justice, et celle de beaucoup de bons esprits de ces dix-septième et dix-hui tième siècles, où l'on mettait tous ses soins à à ne pas paraître trop original. C'est le contraire aujourd'hui.p Marsan considère ces honnêtes gens comme ses maîtres. Et, pour bien souligner son jeu, dans l'idée que Molière a dû s'exprimer sans doute essentiellement par la bouche des plus mesurés de ses personnages, Marsan fait sien le personnage de Philinte, cet antagoniste poli d'Alceste. Vue juste, dangereuse habileté, diront ses détracteurs. Nous, parlons d'audace.

Car il n'a pas que des amis. A tenir en main ses livres, en quelques mois se poussant l'un l'autre, qui donc (je dis de la plèbe littéraire), ayant livres à faire ou à placer, n'éprouverait point de l'humeur? Passantes d'abord, puis la Chronique de la Paix, puis dans une édition merveil leuse Les cannes de M. Paul Bourget et le Bon choix de Philinte. Et l'on sait qu'il en prépare.

Dès que sortit le premier, trois reproches aussitôt se levèrent, se détachèrent, nets, précis. Tout cela, dirent les uns, est d'un art bien mineur. Ciselure tout au plus. D'ailleurs, proclamèrent les autres, qu'attendre de bon d'un journaliste, d'un chroniqueur. Ces papiers frivoles, on les voit le soir trembler aux bras des vendeurs criards et s'échapper de leurs mains sèches comme les feuilles jaunies des arbres de nos boulevards. Nul doute que le lendemain, ils soient au feu ou confondus avec tout le débris des vies usées dans la poussière et

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