Page images
PDF
EPUB

ses tempes, il sent par moments descendre une caresse qui est plus lénifiante qu'un baume d'Orient.

Va-t-il encore se réveiller dans un château de fées? Il n'a pas l'impression qu'il y retrouvera quelque concile farouche au sortir duquel l'amour lui apparaîtra comme un délire effrayant, mais plutôt qu'il n'entendra soutenir que de tendres débats sur les choses du cœur. Il sourit sans avoir encore ouvert les yeux. Un souffle ému et parfumé passe sur son visage. Il soulève ses paupières; quelqu'un a bougé. Il ne voit personne. Quelle est cette lumière irisée qui éclaire la salle au milieu de laquelle son lit doit être dressé? La salle? La lumière? Il voit qu'il est dans une cabane et que, par une baie, le clair de lune épand son onde aux reflets bleus. Il voudrait se dresser, mais sa tête est pesante, et, cherchant à s'appuyer sur ses mains, il découvre qu'il repose sur une jonchée de bruyères. La caresse, qu'il ne voit pas, glisse dans ses cheveux. Il murmure :

[ocr errors]
[ocr errors]

Qui m'oint ainsi?

Gautier, me verras-tu sans déplaisir?

Est-ce toi, Jordane, ou plutôt, est-ce le souvenir que j'ai de toi?

Elle se montre, les cheveux diamantés par le clair de lune, et s'agenouille près de Gautier. Lui, d'un mouvement lent et pénible encore, étend ses mains vers le visage de Jordane et l'entoure doucement. Pour la première fois, il lit, sur ces traits auxquels il n'a jamais vu exprimer que de l'orgueil ou de la passion, une tendre inquiétude.

Instant radieux où leurs âmes se contemplent, hors de l'espace et du temps!

Mais la mémoire revient au jeune homme. Un pli barre son front. Il détourne la tête et balbutie :

Alfaro !

Ses mains retombent inertes le long de son corps. Elle les prend, elle les réunit, elle les porte à ses lèvres. Puis elle dit:

[ocr errors]

Que t'importe Alfaro! Il s'en est allé et je suis

restée près de toi. Il t'a cru mort. Ta troupe a été mise en fuite. J'ai voulu demeurer, séule, avec mes deux servi

[graphic]

teurs, pour ensevelir ta dépouille. Et quand tes ennemis se sont éloignés, j'ai aidé à te transporter ici. Je me suis penchée sur ta poitrine et, de toute l'ardeur de mon être, j'ai sollicité les battements de ton cœur qu'on n'entendait plus. Si tu savais toute la ferveur que j'ai mise à le rappeler, ce retour de ta vie! Incomparable joie ! Séparée de toi violemment, destinée, sans doute, à ne plus te revoir, angoissée par ton irruption soudaine et par ta chute, il m'est, tout à coup, donné d'être celle qui te berce et qui te ranime et qui recueille le premier regard et le premier sourire de ta résurrection.

Touché, mais encore incertain, il redit:

Alfaro !

Puis, rapide, l'image du meurtre qui se préparait, qui s'exécute, peut-être, passe au fond de son esprit embrumé, sur un écran lointain. Comme il n'est plus au pouvoir du chevalier de rien empêcher, cette pensée ne se fixe pas, et c'est l'autre, celle qui l'avait envahi tout entier, au moment du choc, qui l'obsède encore.

Il balbutie:

Alfaro, lui? moi? Peut-être ne sommes-nous tous deux que des instruments de tes vengeances? As-tu jamais donné ton cœur?

Gautier, mon bien-aimé, ne laisse pas empoisonner, par des soupçons absurdes, cette unique nuit, peut-être, de notre vie, où l'amour nous écarte de tout ce qui broie nos destinées et nous isole comme deux amants enchantés dans la sérénité de ce clair de lune !

Oui! Ta voix me persuade peut-être plus que tes paroles. Mais ne m'as-tu pas toujours ensorcelé, lorsque mes oreilles pouvaient t'entendre et mes yeux te contempler?

- Mon bien-aimé, ce n'est pas ainsi qu'il faut m'écouter. Je te jure qu'en ce moment je ne veux point te gagner à ma cause et que la messagère de Montségur je ne la connais point. Non, je ne veux être que moimême pour toi. Cet instant, je ne l'ai point cherché, mais, puisque l'amour me l'offre, je l'accepte, je le cueille comme une fleur unique qui ne se fanera jamais dans mon

cœur amer.

Si tu savais, mon chevalier, lorsque, pendant ces deux années, ta renommée parvenait jusqu'à Montségur qui la maudissait, combien, en secret, malgré moi, j'étais fière de ta bravoure et quels efforts il me fallait, pour bannir de ma pensée l'obsession de ton souvenir. Souvent, je me disais : Il me déteste, il me maudit. Il croit certainement, que je l'ai joué. Cela vaut mieux ainsi. Mais de tout autres pensées s'insinuaient contre ces vues trop dures et m'apportaient, en même temps, des regrets et des délices! Non, songeais-je, il doit sentir, puisqu'il m'aime, la sincérité au fond de l'intrigue et avoir, non point haine, mais pitié pour le douloureux amour qui se sacrifie. Si je te parle ainsi, c'est malgré moi, et non pour te convaincre. Demain, je reprendrai mon courage et me souviendrai, sans doute, de ce que je suis et nous nous séparerons car je ne chercherai ni à t'entraîner, ni à te suivre. Aujourd'hui, je ne suis qu'une femme j'aurai encore beaucoup à lutter et à souffrir. J'ai besoin d'un moment de tendresse !

C'était elle qui faiblissait, maintenant, et Gautier qui, revenant à lui, la soutenait.

Comme je voudrais te garder ainsi, toujours appuyée contre mon épaule ! dit-il.

Elle lui adressa un regard de doux reproche.

[ocr errors]

Bannis, je t'en supplie, comme moi, en cet instant qui nous met hors du monde, tout souci de lendemain !

Eh bien, soit que demain nous reprenne et nous ferons face à demain. Écoutons, maintenant, la chanson triste et tendre qui donne et prend aux cœurs qui s'aiment ses accents immortels. Elle vient sur les ailes de cette nuit de mai aux ondes lentes et profondes. Les profanes ne l'entendent pas. Ils ne savent pas la découvrir au fond du silence,, du silence qui n'est que le secret d'intimes harmonies! Tu les entends, n'est-ce pas, ces accords que la nuit fait glisser sur les rayons de lune comme sur des cordes de cithare? Les amants, les malades, les mourants, les poètes les connaissent: tous ceux que touchent les forces invisibles. Tout à l'heure, quand je suis tombé, je sentais, comme à présent, bourdonner à mes tempes la prodigieuse animation du mystère. Le silence n'est

que la frontière d'un royaume magnifique, au bord duquel l'amour et la pensée conduisent quelquefois les humains Jordane de ma vie, pendant ces deux années, notre amour déchiré s'est recueilli, à notre insu, sans l'aide de l'espoir qui nous avait abandonnés. Il s'est joué de la vie et de la mort, et lui, qui n'avait frémi que dans l'inquiétude et l'orage, il a voulu son instant de sérénité, son instant d'infini!

- Le voici, mon bien-aimé, l'accent suprême du rythme mystérieux des choses! C'est le battement de nos êtres ! N'écoutons plus que lui!

Et, pour eux, cette cabane, au milieu du monde endormi, était isolée comme une étoile dans le recueillement des espaces.

LEVIS MIREPOIX.

(A suivre.)

SOUS LES LAMPES

DES VIERGES FOLLES

Rien n'est triste comme l'Orient sous la pluie. Tout semble déteint comme au soir d'une fête populaire, les lampions et les fleurs en papier des arcs de triomphe lorsque l'orage les a trempés et crevés. Il pleut ce lundi de Pâques. Le porche du Saint Sépulcre est ouvert. Sur le divan de l'entrée les gardiens musulmans sont vautrés et fument. L'un d'eux se chauffe à un brasero comme les valets de Caïphe au temps du reniement de saint Pierre. Devant mes yeux, le grand mur dressé par les Grecs entre les piliers du mur des Croisés qui leur appartient, maintenant détruit toute la perspective de la basilique et plonge l'abside et les déambulatoires dans des ténèbres de cave; il est comme l'expression visible de ce « mur magique élevé par l'orgueil de Byzance dont parle Maistre; ni air, ni clarté; de vagues icones luisent dans l'obscurité comme des idoles toutes-puissantes et sans miséricorde. Lorsque je pénètre dans le chœur, cette impression de malaise s'accentue encore. Les chaires dorées, boursouflées, guillochées comme des pagodes, étincellent de tous côtés, laissant voir derrière elles l'ombre impénétrable du monastère, et l'iconostase, entre les quatre énormes chandeliers de marbre sculptés de feuilles et d'ailes, montre les figures sévères et les mains rigides du Sauveur, de la Vierge et des apôtres, figées dans leurs gaines lourdes d'or et d'argent comme des momies de sarcophages. Un voile noir cache l'autel. Il flotte dans le

« PreviousContinue »