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Le commissaire lui dit « Reconnaissez-vous que j'ai ap porté dans ma mission tous les procédés convenables envers vous?»« Oui, monsieur, » répondit le général. Alors le commissaire le saisit. Le général fit la plus vive résistance. On le porta dans la voiture. Il criait « A la trahison! aux armes! Je suis le vice-président de l'Assemblée, et on m'ar rête!» Tout fut inutile; la voiture partit, et les sergents de ville la suivirent.

Arrivé à Mazas, il apostropha un peloton de gardes répu blicains, qui restèrent sourds à ses paroles.

Au greffe, le général Bedeau rencontra les généraux Léflô, Changarnier et Cavaignac. Il embrassa ce dernier.

XII.

M. le colonel Charras, logé rue du Faubourg-Saint-Honoré, 14, refusa d'abord d'ouvrir; mais, voyant voler sa porte en éclats, il dit : « Arrêtez, je vais ouvrir. » Il ouvrit en effet.

Le commissaire Courteille lui notifie son mandat. Le colonel dit : « Je l'avais bien prévu, je m'y attendais; j'aurais pu me sauver, mais je n'ai pas voulu quitter mon poste. Je croyais que cela se serait fait deux jours plus tôt, et, dans cette prévision, j'avais chargé mon pistolet, mais je l'ai déchargé; » et il montrait un pistolet à deux coups, sur une commode. Le commissaire s'en empara. « Si vous étiez venu ce jour-là, dit le colonel, je vous aurais brûlé la cervelle. »

Il monta en voiture sans résistance. Dans le trajet, il demanda où on le conduisait. Comme le commissaire hésitait à répondre, il lui dit : « Me menez-vous fusiller? » Le commissaire lui dit alors qu'on le conduisait à Mazas.

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Arrivé à la prison, M. Charras s'anima, refusa de faire connaître son état civil, exigeant qu'on mît Représentant du peuple sur son ordre de consigne.

XIII.

Le commissaire Boudrot pénétra dans la chambre du célèbre M. Charles Lagrange, logé rue Casimir Périer, 27, au moment où il se levait, pour s'informer du motif des cris de terreur poussés par sa domestique, qui était venue ouvrir lá porte.

M. Lagrange protesta; il dit qu'on violait la Constitution ;

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qu'il lui suffirait de tirer un coup de pistolet par la fenêtre, pour appeler le peuple aux armes; que s'il voulait se défendre, il pouvait les tuer, et qu'on serait obligé d'employer la force pour l'arracher de chez lui.

On saisit de nombreux papiers politiques, 2 pistolets, un fusil de munition, 2 moules à balles, des cartouches, trois poignards, et un sabre de cavalerie, numéroté 478, reconnu par le maréchal-des-logis de la garde républicaine, Kerkan, comme lui ayant appartenu, et ayant été volé, le 24 février, dans la caserne où il était domicilié.

Dans le trajet de son domicile à Mazas, M. Charles Lagrange dit plusieurs fois : Le coup est hardi, mais c'est bien joué.

A Mazas, M. Charles Lagrange s'adressa à M. de Lamoricière, et lui dit : « Eh bien, général, nous voulions le f... dedans, mais c'est lui qui nous y met! >>

XIV.

M. Greppo, l'ardent socialiste, logé rue de Ponthieu, 15, avait tout un arsenal sous son chevet une énorme hache d'armes fraîchement aiguisée, deux poignards, un pistolet chargé, et un superbe bonnet rouge tout neuf.

L'arrivée du commissaire Gronfier et des agents plongea M. Greppo dans une prostration complète. Interrogé sur les objets trouvés sous son chevet, il répondit qu'il les avait achetés parce qu'il avait du goût pour la marine.

Madame Greppo, qui est une femme pleiné d'énergie adressa les paroles les plus vives à son mari : <<< Est-il possible, s'écria-t-elle, d'avoir si peu de résolution, et de se laisser arrêter ainsi sans résistance?»>

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Mais, hélas! ni ces paroles, ni la vue de la hache d'armes ne purent ranimer M. Greppo. « Comment aurait-il résisté ? écrit un témoin oculaire, M. Greppo fut saisi d'un dérangement, auquel il dut satisfaire.

XV.

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Peut-être voudra-t-on savoir comment se fit l'arrestation de M. Baze? Elle se fit sans obstacle sérieux, quoique avec une lutte. M. Baze a résisté unguibus et rostro, comme un de ces, procureurs que Pétrone appelle vultures togati.

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XVI.

Lorsque le commissaire de police Hubaut aîné pénétra dans la chambre à coucher de M. Thiers, place Saint-Georges, n° 1, M. Thiers dormait profondément. Le commissaire écartá les rideaux en damas cramoisi, doublés de mousseline blanché, réveilla M. Thiers, et lui notifia sa qualité et son mandat. M. Thiers se mit vivement sur son séant, porta les mains à ses yeux, sur lesquels s'abaissait un bonnet de coton blanc, et dit «< De quoi s'agit-il? — Je viens faire une perquisition chez vous; mais, soyez tranquille, on ne vous fera pas de mal; on n'en veut pas à vos jours. » Cette dernière assurance semblait nécessaire, car M. Thiers était atterré.

<< Mais que prétendez-vous faire? Savez-vous que je suis représentant? Oui, mais je ne puis discuter avec vous sur ce point; je dois exécuter les ordres que j'ai. Mais ce que vous faites là peut vous faire porter votre tête sur l'échafaud! -Rien ne m'arrêtera dans l'accomplissement de mes devoirs. - Mais c'est un coup d'État que vous faites là? Je ne puis répondre à vos interpellations; veuillez vous lever, je vous prie. Savez-vous si je suis seul dans le même cas? En estil de même pour mes collègues? - Monsieur, je l'ignore.

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M. Thiers se leva et s'habilla lentement, refusant les services des agents. Tout à coup il dit au commissaire : « Mais, monsieur, si je vous brûlais la cervelle? Je vous crois incapable d'un pareil acte, monsieur Thiers; mais, en tout cas, j'ai pris mes mesures, et je saurai bien vous en empêcher. Mais, connaissez-vous la loi? Savez-vous que vous violez la Constitution? Je n'ai pas mission de discuter avec vous, et d'ailleurs vous possédez des connaissances trop supérieures aux miennes. Je ne puis qu'exécuter les ordres qui me sont donnés, comme j'eusse exécuté les vôtres, quand vous étiez ministre de l'intérieur.

Une perquisition faite dans le cabinet de M. Thiers n'amena la découverte d'aucune correspondance politique. Sur l'étonnement qu'en témoignait le commissaire, M. Thiers répondit qu'il adressait depuis longtemps sa correspondance politique en Angleterre, et qu'on ne trouverait rien chez lui.

Prié de descendre et de partir, M. Thiers se troubla, parut craintif et plein d'hésitation dans ses mouvements. On lui laissa croire qu'il était conduit auprès du préfet de police. La

direction que prit la voiture augmenta ses appréhensions, et il s'efforça, en route, par toute sorte de raisonnements captieux et comminatoires, de détourner les agents de l'accomplissement de leurs devoirs.

Arrivé à la prison Mazas, M. Thiers demanda s'il pourrait avoir son café au lait, comme à son habitude. On le combla d'attentions. Son courage, il faut bien le dire, l'abandonna tout à fait en prison, et il ne s'éleva pas au-dessus de la fermeté de M. Greppo.

Dispensé, par une haute volonté, du transfèrement à Ham, M. Thiers fut provisoirement ramené chez lui. Par une décision nouvelle, M. Thiers dut être conduit sur la rive droite du Rhin, au pont de Kell.

L'officier de paix Veindenbach alla prendre M. Thiers, chez lui, le 8 décembre, à six heures du soir. M. Mignet, et un autre ami, accompagnèrent M.. Thiers jusqu'à l'embarcadère du chemin de fer de Strasbourg, et M. Grangier de la Marinière l'accompagna jusqu'à Kell.

Au moment de partir, et pendant les premiers instants de la route, M. Thiers versa d'abondantes larmes. Larmes justes, nobles et fécondes, si elles coulaient comme l'expiation de tant de doctrines révolutionnaires et de tant d'actes anarchiques; larmes amères, si elles n'étaient que le dépit d'une ambition jalouse et insatiable, tombée d'une hauteur inespérée, sans dignité et sans éclat.

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Arrivé à Kell, M. Grangier de la Marinière apporta à l'officier de paix Vindenbach une lettre de protestation, et une lettre de remercîment pour les égards dont M. Thiers avait été l'objet. M. Thiers annonçait qu'il se rendait à Francfort, ét de là à Dresde, où il devait rencontrer un ancien ami, avec lequel il se distrairait en faisant de la peinture.

XVII.

En même temps que les représentants, étaient arrêtés dans leurs lits et sans la moindre difficulté les chefs les plus dangereux des sociétés secrètes et des barricades. Ce genre d'arrestations se poursuit sans relâche, et a déjà donné de grands résultats. Le public ne connaît guère les noms de ces audacieux et infatigables ennemis de la société; et nous ne citerons ici que ceux qui passent pour les plus célèbres, dans le monde de l'émeute.

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Quoique essentiellement délicate de sa nature, la mission confiée à l'armée ne pouvait laisser aucun doute, ni au Présisident de la république, ni au ministre de la guerre.

En effet, que lui demandait Louis-Napoléon Bonaparte ? Un trône? Nullement. Le triomphe de tel ou de tel parti politique?- Nullement.

Louis-Napoléon Bonaparte demandait à l'armée de protéger la liberté de la France entière contre les entreprises des factions, et de maintenir l'ordre dans les rues, jusqu'à ce que dix millions d'électeurs, solennellement consultés, eussent fait connaître leur volonté par un vote.

Une mission si simple, si noble, si loyale, confiée à une armée admirable de discipline et de patriotisme, ne pouvait être qu'ardemment acceptée et ponctuellement remplie.

C'est à trois heures et demie du matin seulement, trois heures avant le moment fixé pour l'exécution, que M. le général Magnan, commandant en chef de l'armée de Paris, fut

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