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mandé auprès du ministre de la guerre, et reçut de lui, en même temps, l'explication des mesures à prendre, et les ordres nécessaires pour les exécuter. M. le général Magnan avait déjà reçu la confidence de cette éventualité; la nécessité de la mesure lui était démontrée, et il avait demandé à n'être prévenu qu'au moment de monter à cheval. Il y a un tel bon sens et une telle discipline dans l'armée de Paris, que chaque régiment était à son poste à la minute indiquée.

M. le colonel Espinasse, commandant le 42° de ligne, de la brigade Ripert, fut chargé d'investir et d'occuper le palais de l'Assemblée législative. L'Assemblée était gardée ce jour-là par unbataillon du 42, sous les ordres supérieurs du lieutenant-colonel Niel, du 44 de ligne, qui exerçait son commandement au nom de l'Assemblée. Le colonel Espinasse, officier d'une rare intelligence et d'une mâle résolution, est une des plus brillantes réputations de l'armée, et s'est distingué d'une manière particulière au siége de Rome, et tout récemment dans la Kabylie, dans plusieurs combats opiniâtres où il commandait l'arrière-garde.

XIX.

A 6 heures et un quart, le colonel Espinasse arrivait à la grille de l'Assemblée, donnant sur la place de Bourgogne, se la faisait ouvrir, et envoyait chercher le chef de bataillon, pendant que ses troupes envahissaient les cours. Le chef de bataillon fut régulièrement relevé par son chef hiérarchique, et le bataillon de garde ramené à la caserne. En même temps que le 42° de ligne, entraient dans l'enceinte législative trois commissaires de police, accompagnés de dix agents chacun, et chargés d'arrêter les questeurs.

L'Assemblée fut environnée et occupée, sans la moindre difficulté à 6 heures et demie. M. de Persigny, confident de toutes ces mesures et dont l'abnégation égale le dévouement, avait assisté à cette délicate et importante opération, et alla en rendre compte à l'Elysée.

Pour terminer ici ce qui concerne le palais de l'Assemblée, nous devons dire qu'une consigne, mal donnée ou mal comprise, permit à environ soixante représentants d'y pénétrer individuellement, par une petite porte située dans la rue de Bourgogne, en face de la rue de Lille. Ces députés se réunirent dans la salle des conférences, et y devinrent un peu bruyants. Sur l'avis de leur présence, parvenu au ministère de l'intérieur, l'ordre fut donné de les faire sortir immédiatement. Le commandant Saucerotte, de la garde municipale, chargé de

l'exécution de cet ordre, la fit précéder d'un petit discours plein d'esprit. M. le président Dupin, appelé par ses collègues, leur fit aussi son discours, en ces termes: « Messieurs, la Constitution est violée; nous avons pour nous le droit, mais nous ne sommes pas les plus forts. Je vous engage à vous retirer; j'ai bien l'honneur de vous saluer. >>

Comme ces paroles ne paraissaient pas décisives sur la réunion, le commandant déclara qu'il allait faire entrer ses soldats; et aussitôt les représentants se retirèrent.

XX.

Toutes ces mesures avaient été exécutées avec une telle promptitude, avec un tel ensemble, avec une telle précision et un tel calme, que Paris, stupéfait, se réveilla, le 2 décembre, sous le poids immense et irrésistible d'un fait accompli par la sagesse et par le courage de quelques-uns, dans l'inté rêt et pour le salut de tous.

Il n'y avait qu'un cri : C'est bien joué !

La première et universelle impression fut favorable, parce que le Président se montrait à la fois très-habile, très-résolu et très-fort.

Personne ne songeait plus à la Constitution, qu'on s'était habitué à mépriser; personne ne s'informait et ne s'occupait des représentants, qu'on s'était habitué à dédaigner; l'acte énergique du Président était généralement accepté, avec cette seule réserve: - Réussira-t-il ?

XXI.

Après la première surprise, la population courut aux nouvelles, et se porta aux affiches, que de nombreux agents appliquaient encore sur les murs.

On lut d'abord le décret suivant, qui annonçait et qui résu→ mait le grand acte du 2 décembre:

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

DÉCRÈTE :

Art. 1. L'Assemblée nationale est dissoute.

Art. 2. Le suffrage universel est rétabli. La loi du 31 mai est abrogée.

Art. 3. Le peuple français est convoqué dans ses comices, à partir du 14 décembre jusqu'au 21 décembre suivant.

Art. 4. L'état de siége est décrété dans l'étendue de la 1re division militaire..

Art. 5. Le conseil d'État est dissous.

Art. 6. Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution dù présent décret.

Fait au palais de l'Élysée, le 2 décembre 1851.

LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

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Nous l'avons déjà dit, personne ne regrettait l'Assemblée; on s'occupait encore moins du Conseil d'Etat, devenu une succursale des intrigues parlementaires. Le pays tout entier était appelé à prononcer librement sur ses destinées; on sentait qu'on ne serait plus escamoté par des comités d'intrigants, et que la France allait se soustraire à la domination égoïste des partis.

On lut ensuite cette admirable proclamation à l'armée, devenue la garantie des lois et la sauvegarde de la société :

SOLDATS!

Soyez fiers de votre mission, vous sauverez la patrie, car je compte sur vous, non pour violer les lois, mais pour faire respecter la première loi du pays, la souveraineté nationale, dont je suis le légitime représentant.

Depuis longtemps vous souffriez comme moi des obstacles qui s'opposaient et au bien que je voulais vous faire, et aux démonstrations de votre sympathie en ma faveur. Ces obstacles sont brisés. L'Assemblée a essayé d'attenter à l'autorité que je tiens de la nation entière; elle a cessé d'exister.

Je fais un loyal appel au Peuple et à l'armée, et je leur dis ou donnez-moi les moyens d'assurer votre prospérité, ou choisissez un autre à ma place.

En 1830 comme en 1848, on vous a traités en vaincus. Après avoir flétri votre désintéressement héroïque, on a dédaigné de consulter vos sympathies et vos voeux, et cependant vous êtes l'élite de la nation. Aujourd'hui, en ce moment solennel, je veux que l'armée fasse entendre sa voix.

Votez donc librement comme citoyens; mais, comme soldats, n'oubliez pas que l'obéissance passive aux ordres du chef du gouvernement est le devoir rigoureux de l'armée, depuis le général jusqu'au soldat. C'est à moi, responsable de mes actions devant le Peuple et devant la posérité, de prendre les mesures qui me semblent indispensables pour le bien public.

Quant à vous, restez inébranlables dans le règles de la discipline et de l'honneur. Aidez, par votre attitude impo sante, le pays à manifester sa volonté dans le calme et la réflexion. Soyez prêts à réprimer toute tentative contre le libre exercice de la souveraineté du Peuple.

Soldats,

rappelle Je ne vous parle pas des souvens que mon nom

sont gravés dans vos cœurs. Nous sommes unis par des liens indissolubles. Votre histoire est la mienne. Il y a entre nous dans le passé communauté de gloire et de malheur. Il y aura dans l'avenir communauté de sentiments et de résolutions pour le repos et la grandeur de la France. Fait au palais de l'Élysée, le 2 décembre 1851.

Signé LOUIS-NAPOLEON BONAPARTE.

Un si noble langage devait infailliblement être entendu de l'armée, car le Président de la République se bornait à lui demander de faire respecter la libre expression de la volonté universelle.

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Enfin Louis-Napoléon s'adressait à la nation entière, et lai demandait, dans les termes suivants, de déclarer si elle voulait, oui ou non, être sauvée, par l'établissement d'un régime sérieux et pratique, de l'anarchie et du pillage.

FRANÇAIS!

La situation actuelle ne peut durer plus longtemps. Chaque jour qui s'écoule aggrave les dangers du pays. L'Assemblée, qui devait être le plus ferme appui de l'ordre, est devenue un foyer de complots. Le patriotisme de trois cents de ses membres n'a pu arrêter ses fatales tendances. Au lieu de faire des lois dans l'intérêt général, elle forge des armes pour la guerre civile; elle attente au pouvoir que je tiens directement du Peuple; elle encourage toutes les mauvaises passions; elle

compromet le repos de la France: je l'ai dissoute, et je rends le Peuple entier juge entre elle et moi.

La Constitution, vous le savez, avait été faite dans le but d'affaiblir d'avance le pouvoir que vous alliez me confier. Six millions de suffrages furent une éclatante protestation contre elle, et cependant je l'ai fidèlement observée. Les provocatans, les calomnies, les outrages m'ont trouvé impassible. Mais aujourdui que le pacte fondamental n'est plus respecté de ceux-là même qui l'invoquent sans cesse, et que les hommes qui ont déjà perdu deux monarchies veulent me lier les mains, afin de renverser la République, mon devoir est de déjouer leurs perfides projets, de maintenir la République et de sauver le pays, en invoquant le jugement solennel du seul souverain que je reconnnaisse en France: le Peuple!

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Je fais donc un appel loyal à la nation tout entière, et je vous dis : Si vous voulez continuer cet état de malaise qui nous dégrade et compromet notre avenir, choisissez un autre à ma place, car je ne veux plus d'un pouvoir qui est impuissant à faire le bien, me rend responsable d'actes que je ne puis empêcher, et m'enchaîne au gouvernail quand je vois le vaisseau courir vers l'abîme.

Si, au contraire, vous avez encore confiance en moi, donnez-moi les moyens d'accomplir la grandé mission que je tiens de vous.

Cette mission consiste à fermer l'ère des révolutions, en satisfaisant les besoins légitimes du Peuple et en le protégeant contre les passions subversives. Elle consiste surtout à créer des institutions qui survivent aux hommes, et qui soient enfin des fondations sur lesquelles on puisse asseoir quelque chose de durable.

Persuadé que l'instabilité du Pouvoir, que la prépondérance d'une seule Assemblée sont des causes permanentes de trouble et de discorde, je soumets à vos suffrages les bases fondamentales suivantes d'une Constitution que les Assemblées développeront plus tard :

4° Un chef responsable nommé pour dix ans ;

2o Des ministres dépendants du pouvoir exécutif seul; 3° Un conseil d'État formé des hommes les plus distingués, préparant les lois et en soutenant la discussion devant le corps législatif;

4° Un corps législatif discutant et votant les lois, nommé par le suffrage universel, sans scrutin de liste qui fausse l'éÎection;

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