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Tout le monde est encore frappé de la situation intolérable
dans laquelle l'hostilité systématique de l'Assemblée, et les
conspirations flagrantes des anciens partis avaient jeté la
France.

On ne pouvait ni travailler, ni gouverner. C'était une ago-
nie générale de toutes choses, de l'agriculture, de l'industrie,
du commerce, des lois, du pouvoir, de la société.

Les chemins de fer?-L'Assemblée en arrêtait l'exécution,
par d'incessantes lenteurs et par d'impraticables systèmes.
L'action unique et vigoureuse du pouvoir, nécessaire à la
compression du socialisme?-L'Assemblée la tenait en échec,
en refusant une loi qui permît de révoquer les mauvais maires.
La gratitude et la considération dues aux anciens services de
l'armée? — L'Assemblée les refusait, en écartant la demande,
pourtant si modeste, faite en vue de secourir la glorieuse in-
fortune des vieux soldats.

La révision d'une constitution insensée, qui livrait la
France, pieds et poings liés, au communisme et à la déma-

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gogie? L'Assemblée la repoussait, quoiqu'elle fût demandée par plus de deux millions de pétitionnaires, par l'immense majorité des conseils d'arrondissement, et par quatre-vingts conseils généraux des départements, sur quatre-vingt-six.

II.

La situation était donc intolérable; il fallait en sortir, et en finir.

Tous les partis le sentaient.

En partant pour leurs départements, au moment de la prorogation, un grand nombre de représentants conservateurs, allant prendre congé du Président de la République, le conjuraient de dissoudre l'Assemblée avant son retour.

A la même époque, le parti qu'on nomme de la fusion fit faire des ouvertures au Président, soit pour l'aider à sauver la société, soit pour se réunir à lui, afin de maintenir l'ordre, s'il devenait indispensable de faire un coup d'État.

Peu de jours avant la rentrée de l'Assemblée, des représentants appartenant au parti rouge et socialiste firent proposer au Président de s'appuyer sur eux, et de prendre un ministère dans leurs rangs.

Enfin, le 1er décembre, dans la soirée, une proposition de concours fut apportée à Louis-Napoléon, au nom de chefs légitimistes.

On le voit, tous les partis, sans exception, jugeaient que la position n'était plus tenable; tous proposaient au Président de l'aider à en sortir;-seulement, chacun de ces partis voulait que le Président s'appuyât exclusivement sur lui; Louis-Napoléon n'a voulu s'appuyer que sur la France.

III.

et

Le Président de la République, investi par deux conspirations, et obligé par sa responsabilité comme chef de l'Etat, n'avait plus la liberté de sa conduite; il ne lui restait que le choix du genre de dévouement, pour préserver la France et l'Europe.

C'était d'abord une vaste organisation de brigands, dirigée par les sociétés secrètes, et abritée derrière le drapeau de ce qu'on nommait les Montagnards, dont la plupart assurément ne savaient pas la nature et l'étendue des abominations qu'ils

patronaient. Le gouvernement connaissait toutes les mailles de ce réseau, et tenait dans ses mains tous les fils de cette trame communiste. Les rapports précis et détaillés des préfectures et des parquets ne laissaient aucun doute possible sur les plans d'incendie, de pillage et de massacre, dont l'affaiblissement des pouvoirs publics aurait amené l'explosion certaine au mois de mai prochain, et qui pouvaient d'ailleurs éclater à la faveur de la première crise.

C'était ensuite une conspiration, ourdie par les anciens partis, coalisés contre le Président de la République, avec le dessein de le renverser, et de lui substituer la dictature de l'Assemblée. Les projets, les plans, le personnel de cette conspiration étaient parfaitement connus de Louis-Napoléon. Lorsque nous la dénonçâmes hautement, dans le Constitutionnel du 24 novembre, les conspirateurs, quoique désignés par leurs noms, n'osèrent pas nous traduire à la barre de l'Assemblée, parce qu'ils supposaient, non sans quelque raison, que nous nous serions présenté avec des dates, des faits et des écrits, et que nous aurions accusé, au lieu de nous défendre. Cette conspiration des anciens partis était même si avancée dans son œuvre, qu'on a trouvé, dans les papiers de M. Baze, les décrets organiques du gouvernement nouveau, la distribution des principaux emplois, et la préparation d'une prise d'armes, fondée sur le concours présumé de la 10. légion de la garde nationale de Paris.

IV.

On le voit, cette Constitution, que les parlementaires ont entourée, le 2 décembre, de tant de vénération hypocrite, était menacée par eux d'une ruine prochaine; et le Président, chargé d'une responsabilité immense, ne pouvait plus hésiter.

Qui l'aurait retenu? Les partis étaient notoirement impuissants à sauver la France, et leur coalition n'eût pas survécu à leur triomphe. La légalité aggravait chaque jour les périls de la société, en affaiblissant le pouvoir, en fortifiant le communisme, en détendant le ressort de l'administration et des lois. Le Président était encore maître de ses mouvements; dans quelques mois, il eût été trop tard, pour lui et pour tout le monde.

En face d'un tel péril, pénétré de la confiance des six millions d'hommes qui lui avaient confié leurs destinées, et des devoirs que cette confiance lui imposait, il sè résolut à sauver

4.

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le pays, sachant bien qu'il donnait, comme gages de sa loyauté, sa tête aux passions du présent, sa mémoire au jugement de l'avenir.

C'est immédiatement après l'acte d'hostilité des questeurs que le Président prit son parti et ses mesures, pour une éventualité évidemment très-prochaine. Trois hommes furent les confidents de sa pensée: M. de Saint-Arnaud, ministre de la guerre; M. de Morny, représentant du peuple, et M. de Maupas, préfet de police. Louis-Napoléon leur fit connaître les dangers immenses qui menaçaient la société, et que chaque jour aggravait; il leur exposa les desseins qu'il avait formés pour les conjurer, et leur demanda leur concours : tous trois le promirent; M. de Morny, pour toute la responsabilité politique à encourir, comme ministre de l'intérieur; M. de SaintArnaud, pour les opérations militaires; M. de Maupas, pour l'action de la police.

Pendant plus de quinze jours, ces trois hommes arrêtèrent, avec le Président, tous les détails de cet acte immense, dont le dix-huit brumaire n'égale ni la difficulté, ni l'habileté, ni la grandeur; et les moindres choses y furent prévues, concertées, détaillées, préparées, avec un si merveilleux secret, que les amis les plus sûrs et les agents les plus nécessaires n'en eurent pas même un soupçon, avant la minute suprême qui précéda la mise en scène.

ས.

La simultanéité de toutes les mesures à prendre était évidemment la première condition du succès; et les mesures principales étaient au nombre de quatre arrestation des personnes coupables ou dangereuses, publication des actes officiels, investissement et occupation du palais de l'Assemblée, et distribution des troupes sur les points jugés nécessaires. L'heure de six heures un quart fut fixée pour l'exécution simultanée de toutes ces mesures.

Il ne fallait pas que le plan se décélât par quelqu'une de ses parties, mais qu'il se révélât et qu'il s'imposât par son ensemble. A six heures un quart, les arrestations s'opéraient; à six heures et demie, les troupes arrivaient à leurs postes; à sept heures, le décret de dissolution et les proclamations partaient de la Préfecture de police, pour aller couvrir les murs de Paris.

A six heures et demie précises, M. de Morny prenait possession du ministère de l'intérieur, accompagné de deux cent

cinquante chasseurs de Vincennes, et remettait à M. de Thorigny une lettre dans laquelle le Président le remerciait de ses bons services, et lui faisait part de l'acte décisif auquel il s'était résolu.

Ce qui concernait l'impression et la publication du décret de dissolution de l'Assemblée, de la proclamation à l'armée et de l'appel au peuple avait été confié à M. de Béville, lieutenant colonel d'état-major, officier d'ordonnance du Président. Les ouvriers nécessaires furent consignés à l'imprimerie nationale, pour un travail urgent; le directeur fut mandé à son poste, à onze heures précises, sous un prétexte décent; à minuit sonnant, une compagnie de gendarmerie mobile, demandée pour protéger l'imprimerie contre un danger supposé, entra dans la cour; des sentinelles furent immédiatement placées à toutes les portes et à toutes les fenêtres; et, seulement après ces précautions prises, M. de Béville produisit les pièces qui lui étaient confiées, et dont il surveilla personnellement jusqu'au bout l'impression et l'arrivée à la préfecture de police.

VI.

Les p personnes dont la police devait opérer l'enlèvement étaient de deux sortes les représentants plus ou moins engagés dans une conspiration flagrante, les chefs de sociétés secrètes et les commandants de barricades, toujours prêts à exécuter les ordres des factions. Les unes et les autres étaient surveillées et comme gardées à vue, depuis quinze jours, par des agents invisibles, et pas un de ces agents ne soupçonnait le but de sa mission réelle, ayant tous reçu des missions diverses et imaginaires.

Le nombre total des personnes à enlever s'élevait à soixantedix-huit, dont dix-huit représentants, et soixante chefs de sociétés secrètes et de barricades.

Les huit cents sergents de ville et les brigades de sûreté avaient été consignés à la préfecture de police, le 1er décembre, à 11 du soir, sous le prétexte de la présence à Paris des réfugiés de Londres. A 3 heures et demie du matin, le 2, les officiers de paix et les quarante commissaires de police étaient convoqués à domicile. A quatre heures et demie, tout le monde était arrivé, et placé, par petits groupes, dans des pièces séparées, afin d'éviter les questions.

A 5 heures, tous les commissaires descendirent, un à un, dans le cabinet du préfet, et reçurent de sa bouche la con

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