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1830

ULLE, entre toutes les aubes d'hiver, ne fut plus froide ni plus blême que celle du 1 janvier 1830. Cette année extraordinaire, le point culminant du siècle, qui devait affranchir à la fois la nation et l'art, commença par une température exceptionnelment basse. Les voitures ne roulaient plus dans les rues encombrées de neige. Prise dans toute la traversée de Paris, la glace offrait une épaisseur telle qu'on rêvait de construire, en aval du Pont Royal, un gigantesque palais, sur les plans de ceux qu'on édifie chaque année à Saint-Pétersbourg, au milieu même du courant de la Néva; mais le dégel, qui n'attendait que cette occasion pour se manifester, se produisit le 20 février, au moment même où le préfet de la Seine, M. Chabrol de Volvic, accordait aux constructeurs les autorisations demandées.

Cette première débâcle en faisait présager une autre, qui allait emporter bientôt, non point un fragile palais de glace, mais bien une monarchie de quatorze siècles. L'année 1830 se levait, en effet, dans une atmosphère singulièrement troublée, dans la menace d'un bouillonnement d'esprits. Déjà fortement impopulaire, le ministère de Polignac avait aggravé la colère publique en ajournant sans cesse la convocation des Chambres, impatiemment

attendue par l'opinion, mais proportionnellement redoutée du gouvernement, qui prévoyait quels orages allaient se déchaîner. Enfin, le 3 janvier, parut l'ordonnance qui convoquait le Parlement pour le 2 mars.

L'agitation littéraire était plus vive encore que l'agitation politique. C'était une magnifique efflorescence d'art. Charles Nodier publiait l'histoire du Roi de Bohême et de ses sept châteaux; Stendhal, le Rouge et le Noir; Balzac, la Peau de chagrin; Lamartine, les Harmonies poétiques et religieuses; Sainte-Beuve, les Consolations; Alfred de Musset, les Contes d'Espagne et d'Italie; Théophile Gautier et Marceline Desbordes-Valmore se révélaient avec leurs premières poésies. Victor Hugo, qui venait de lancer dans la Préface de Cromwell, le verbe de l'art nouveau régénéré, faisait répéter Hernani au Théâtre-Français et se préparait à écrire Notre-Dame de Paris.

Les premiers jours de 1830 marquent une sorte de recueillement, en présence des grands événements que chacun sentait à la veille de s'accomplir. Seul, le roi, volontairement aveugle, continuait de se montrer dans les endroits publics. Le 24 janvier, il assistait, avec la famille royale, à la représentation donnée à l'Opéra au bénéfice des pauvres, qui produisait 53,000 francs de bénéfice. Un bal, égale

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au théâtre en chaussons, pour ne pas se casser les jambes en traversant les ponts et dirigeait le travail une chaufferette sous les pieds, pendant que ses interprètes grelottaient à l'avantscène. Ce fut une ruée frénétique vers les billets. Dès le 12 février, Benjamin Constant, impuissant à trouver une place au bureau de location, sollicitait de Victor Hugo deux places dans une loge. M. Thiers, plus exigeant, voulait une loge de six places et des moins élev'es. Tous les amis de l'auteur étaient venus offrir leur concours et s'étaient constitués en tribus qui comprenaient toute la jeune élite intellectuelle. Théophile Gautier, dont le gilet

(Musée Carnavalet.)

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style: Si tu ne retires pas ta sale pièce dans les vingt-quatre heures, nous te ferons passer le goût du pain! Un jeune homme. nommé Batlom, avait un duel pour Hernani et y était tué; un brigadier de dragons mourait, laissant ce testament: Je désire qu'on mette sur ma tombe: Ci-gît qui crut à Victor Hugo! A la fin de mars le propriétaire de la maison de la rue Notre-Dame-des-Champs signifia congé à son locataire. Ce même jour (23 mars), le Vaudeville donnait la première représentation d'une parodie - fort spirituelle, d'ailleurs de Duvert et Lausanne, sous ce titre Arnali. ou la contrainte par

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cor, pièce française traduite du goth. Cependant la situation politique allait sans cesse s'aggravant. Les Chambres, réunies le 3 mars, avaient entendu le discours du Trône, plein de menaces à peine enveloppées dans la phraséologie filandreuse de l'époque. La Chambre des pairs ne s'en émut pas outre mesure, mais, à la Chambre des députés, les hostilités s'engagèrent dès la formation du bureau. Seul, le président Royer-Collard. n'était pas son adversaire déclaré. Mais les vice-présidents, Dupin, Bourdeau, de Cambon et de Martignac, ainsi que les quatre secrétaires et la commission chargée de rédiger l'adresse étaient nettement hostiles au gouvernement. Le texte de l'adresse fut voté le 16, et cette adresse, dite des 221, creusait un abime infranchissable entre la royauté et la représentation nationale. Le 1 avril, dans les salons des Vendanges de Bourgogne, un banquet était offert aux députés de Paris. Des discours violents y étaient tenus contre le ministère de Polignac, qui ripostait brutalement, le surlendemain 3 avril. par la condamnation du gérant du National, à trois mois d'emprisonnement et 1,000 francs d'amende, et de Dubois gérant du Globe, à quatre mois d'emprisonnement et 2,000 francs d'amende pour articles s'attaquant à la personne du Roi.

Le gouvernement comptait opérer une diversion à l'aide des fêtes données en l'honneur du Roi et de la Reine de Naples, qui étaient arrivés à Saint-Cloud le 12 mai. Mais, le 17, le Moniteur publiait l'ordonnance par laquelle la Chambre des députés était définitivement dissoute et fixant en outre: au 25 juin, la réunion des collèges d'arrondissement; au 3 juin, la réunion des collèges de département et enfin, au 3 juillet, la convocation des Chambres. Le 31 mai, il y a grande fête chez le duc d'Orléans, au PalaisRoyal, pour recevoir le Roi et la Reine de Naples. Charles X s'y rend vers dix heures

du soir, reçu respectueusement. à l'entrée des salons, par celui qui, deux mois plus tard, devait ceindre sa couronne. Il a entendu, sur son chemin d'étranges rumeurs. On sent bouillonner les colères de ce peuple qui contemple, muet et sombre, les fenêtres illuminées du Palais-Royal: et près de lui. dans un groupe. M. de Salvandy profère le mot célèbre: Nous dormons sur un volcan! > Tout à coup, une flamme immense jaillit, dans les jardins, près de la statue d'Apollon, en même temps qu'une bande de jeunes gens. se tenant par la main. entonnent le Ça ira révolutionnaire. C'est la foule qui brûle les chaises et que le 3 régiment de la garde expulse violemment, pendant qu'au balcon le roi Charles X songe à sa flotte d'Alger et compte sur le prestige de la victoire pour raffermir son trône chancelant. Dès lors, les événements se précipitent. Aux élections des 23 et 24 juin, l'opposition réunit les deux tiers des voix, et l'effervescence est telle que la nouvelle de la prise d'Alger, parvenue à Paris dans la soirée du 9 juillet, n'éveille aucun enthousiasme. Les préoccupations sont ailleurs. On s'inquiète tout aussi peu de la réception à l'Académie française, de MM. de Ségur et de Pongerville. On attend la provocation du gouvernement.

Elle se produit le 25 juillet, avec l'ordonnance portant dissolution de la Chambre des députés, changement du mode d'élection et abolition de la liberté de la presse. On a eu soin de choisir un dimanche, pour l'apparition de cette ordonnance au Moniteur. Mais l'effet n'en est pas amoindri. Le lundi 26 voit la protestation des journalistes de l'opposition, rédigée dans les bureaux du National par Thiers. Chatelain et Cauchois-Lemaire. En même temps, l'insurrection se dessine. Le mardi 27, elle éclate de toutes parts. Les boutiques des armuriers sont pillées. Les combats s'engagent sur tous les points de Paris. La Révolution commence. Georges LEFEVRE.

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La bataille d'Hernani.

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És avant la première représentation, Hernani occupait les cent voix de la Renommée. On l'exaltait et on le bafouait d'avance. On en citait des vers grotesques dont la célébrité était une excellente réclame pour l'ouvrage, selon le procédé indiqué dans un chapitre très spirituel de Jerome Paturot. Il y avait de ces vers qui étaient imaginés par les plaisants; mais tel autre, non moins bouffon, était parfaitement authentique; ceJui-ci notamment :

J'écraserai dans l'oeuf ton aigle impé[riale.

Deux ou trois ouvrages classiques, le Clovis de Lemercier, le Gustace-Adolphe de Lucien Arnault, qui passaient avant Hernani, moururent bientôt dans l'indifférence et la solitude; Arnault fils fut, comme son père, un des sacrifiés. Le terrain étant ainsi déblayé, le grand jour d'Hernani arriva enfin. Ce jour-là, 25 février 1830, non seulement dans la sphère des lettres mais encore parmi les gens du monde, il n'y eut

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