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des Français près la cour de Vienne, sous le ministère de M. Drouyn de Lhuys, M. de Bourqueney a toujours partagé les vues de cet éminent homme d'État, d'après lequel, malgré les conflits accidentels et les collisions passagères qui peuvent surgir entre l'Autriche et la France, il subsiste entre les deux pays une communauté d'intérêts réelle et permanente. Les derniers événements ont mis en relief la justesse de cette vue profonde, et l'avenir ne fera qu'en mieux démontrer la vẻrité. Constatons, dès aujourd'hui, comme un fait acquis à la situation, le rapprochement des deux Empereurs dans l'entrevue de Villafranca, qui, pour nous servir des paroles sorties d'une bouche auguste, « a laissé chez l'un et l'autre souverains une impression ineffaçable. »

Le second plénipotentiaire français, le marquis de Banneville, s'était, en qualité de premier secrétaire d'ambassade, trop complétement associé depuis trois ans aux efforts du baron de Bourqueney, pour ne pas partager avec son digne chef l'honneur d'apposer son nom au bas du traité de paix définitif. A plusieurs reprises, et dans les circon— stances les plus critiques, M. de Banneville s'est acquitté, avec beaucoup de tact et de distinction, des fonctions de chargé d'affaires à Vienne; et, jeune encore, il a su se concilier dans la capitale autrichienne l'estime et la confiance générales à un degré qui n'appartient d'ordinaire qu'aux di

plomates éprouvés et vieillis dans la carrière.

Le choix fait de Zurich pour lieu de résidence de la Conférence est à lui seul la preuve du profond revirement qui s'est opéré dans le jugement que le cabinet de Vienne portait, il y a peu d'années encore, sur la situation politique de la Suisse. Sous ce rapport, l'Autriche a complétement rompu avec les vieux préjugés de la Sainte-Alliance à l'égard de la république helvétique; et elle est entrée dans les vues que la France impériale n'a cessé de professer. Ceci mérite explication.

Lors du rétablissement de l'empire en France, la cour de Russie, après avoir apporté dans la reconnaissance officielle de Napoléon III les réserves que tout le monde connaît, insistait pour que l'empereur des Français payât son entrée dans la famille des souverains par l'occupation militaire d'une partie de la Suisse, que le czar Nicolas qualifiait de foyer incendiaire dont la destruction importait au repos du monde et à la con-servation de l'ordre social. A cette époque, l'influence moscovite pesait encore d'un tel poids sur le cabinet de Vienne, que celui-ci, s'associant à la demande du Czar, pressa le nouvel empereur des Français d'occuper, conjointement avec les armées d'Autriche et de Prusse, le territoire helvétique, jusqu'à ce que la Sainte-Alliance en eût extirpé à tout jamais les dernières traces de l'esprit révolutionnaire.

C'est à ce moment que le baron de Bourqueney arriva à Vienne pour y représenter, en qualité d'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire, la France impériale. Dans une audience que ce diplomate eut de l'empereur François-Joseph peu de temps après la remise de ses lettres de créance, Sa Majesté Apostolique entretint l'envoyé français de l'urgence de combiner cette occupation commune de la Suisse, dont la Russie poursuivait ardemment la réalisation.

M. de Bourqueney répondit:

« Sire, quand même mon gouvernement m'autoriserait à signer un pareil engagement, je préférerais me laisser couper la main droite plutôt que de livrer aux puissances étrangères la ligne de défense dont la nature a couvert la France du côté de la Suisse. »

L'empereur d'Autriche sut apprécier, comme elle le méritait, la noble et digne attitude du représentant français. Il combla depuis lors le baron de Bourqueney des marques d'une confiance illimitée; et par là s'explique le rare crédit dont ce diplomate n'a cessé de jouir à la cour de Vienne.

Les autorités fédérales de la Suisse, sachant combien leur pays avait été, il y a sept ans, exposé au danger d'une invasion étrangère, sont on ne peut plus glorieuses de voir aujourd'hui l'Autriche et la France venir placer sur le sol helvétique le centre de leurs négociations de paix.

Le canton de Zurich a prescrit que le dimanche 18 septembre dernier fùt célébré comme un jour de pénitence, de prière et de remerciment publics. Dans une proclamation du premier bourgmestre, empreinte d'un profond sentiment religieux, le peuple suisse était exhorté à témoigner sa trèsvive gratitude au Tout-Puissant, tant pour les récoltes abondantes de l'année, que pour les béné– dictions dont a été comblé également le travail industriel.

Retraçant le tableau heureux de la vie intérieure de la Confédération, la proclamation fait ressortir comment, à l'abri de ses libres institutions, le pays a continué à jouir du repos le plus complet, pendant qu'une partie de l'Europe retentissait du bruit des combats, et qu'une autre se débat encore dans des convulsions intestines. Elle termine par une comparaison bien favorable à la constitution organique de la Suisse, qui consacre uniquement les ressources publiques au développement de la prospérité et de la richesse nationales, pendant que presque tous les États d'Europe s'épuisent dans des armements stériles.

Les hommes les plus attachés aux principes monarchiques ne peuvent s'empêcher de reconnaître ce qu'il y a malheureusement de trop vrai dans la critique sévère que fait le bourgmestre de Zurich du système militaire qui pèse aujourd'hui sur notre continent. Espérons que la paix qui va

sortir des Conférences de Zurich sera enfin le signal d'un désarmement général sur une vaste échelle, ainsi que le réclament impérieusement les intérêts de la civilisation et du véritable progrès.

II.

Avant de soulever le voile qui cache aux yeux du public la marche des travaux de la Conférence, il importe de dissiper quelques erreurs et de faire apprécier exactement la situation et les dispositions réelles des puissances négociatrices. Ceci rend indispensable de dire quelques mots de la véritable cause qui, en précipitant une crise que toute l'Europe s'attachait à conjurer, a fait si malheureusement éclater la guerre entre l'Autriche et la France au moment même où la diplomatie croyait la paix assurée.

Nulle part plus qu'à Paris ne s'est accréditée l'opinion que l'envoi de l'ultimatum autrichien avait été principalement l'œuvre personnelle du jeune empereur d'Autriche, qui, se voyant à la tête d'une armée aussi nombreuse qu'aguerrie, n'aurait pu résister au désir de montrer sur les champs de bataille la puissance de la maison de Habsbourg. C'était, assurait-on, à son corps défendant que M. de Buol avait obtempéré à l'ordre

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