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La position toute exceptionnelle de ces hommes doit, sans aucun doute, être prise en considération par la Conférence de Zurich. Le traité de paix entre l'Autriche et la France se bornera cependant à la sauvegarder en principe et laissera aux plénipotentiaires d'Autriche et de Sardaigne le soin de régler ultérieurement l'application, dans le traité séparé qu'ils vont conclure.

Il nous tarde de revenir aux questions politiques.

XIV

La question la plus importante que la Conférence de Zurich eût à examiner est assurément le réta

blissement des anciennes dynasties dans les États de l'Italie centrale. Si l'on veut arriver à une solution précise et concluante d'un problème aussicompliqué, il faut, à notre avis, trancher préalablement la question de l'annexion de ces États au Piémont.

Que l'on nous permette ici une courte réflexion. Pourquoi voit-on si souvent les négociations et conférences diplomatiques produire des résultats diamétralement opposés aux avis et aux prévisions de la presse périodique? C'est qu'en général les journaux ne se rendent pas un compte suffisant des éléments qui déterminent les décisions des négociateurs.

Comme toute autre science, l'art du négociateur a ses principes, ses règles, ses lois, qui découlent de deux sources principales: le droit et la politique. C'est le droit qui décide du tien et du mien entre les nations; il pose les questions sur ce qu'on appelle communément le terrain de la légalité, la première chose dont on se préoccupe dans toute négociation sérieuse. Le droit une fois admis et reconnu, la politique sert à déterminer les moyens d'application conformément aux exigences de l'équilibre général et de la sécurité européenne.

Pour apprécier sainement et pour élucider les questions soumises à la Conférence de Zurich, il faut donc se renfermer strictement dans le domaine de la diplomatie, et ne pas se laisser entraîner par l'esprit de parti sur le sable mouvant des passions.

Examinons avec calme et impartialité si, et jusqu'à quel point, le projet d'annexer l'Italie centrale au Piémont répond aux principes du droit des gens pratique, et aux saines maximes de la politique européenne.

Le 28 septembre 1859, le général Dabormida, ministre des affaires étrangères de Sardaigne, a adressé aux cours de Paris, Londres, Berlin et Pétersbourg un mémorandum qui est un véritable plaidoyer en faveur de l'annexion. La pensée fondamentale de ce document, c'est que l'incorporation de l'Italie centrale au royaume de Sardaigne

est indispensable au repos de l'Europe, parce qu'en faisant disparaitre de la Péninsule toute domination etrangère, elle en assurera la pacification.

Il faudrait cependant, une fois pour toutes, bien définir ce qu'on entend par domination étrangère Est-ce l'origine des dynasties, est-ce l'origine des peuples qui constitue l'extranéité des gouvernements?

Prendre la première alternative, c'est enlever du même coup à la maison de Savoie le principal titre sur lequel elle se fonde pour aspirer à la suprématie en Italie.

L'histoire nous apprend que ce qui constitue aujourd'hui la Savoie n'était, à l'origine, qu'une province du Saint-Empire.

Au onzième siècle, elle était gouvernée par des lieutenants de l'Empereur, tels que les margraves de Suse, les comtes de Maurienne, de Chablais et de Turin, tous indistinctement vassaux de l'Empire allemand. La ligne des margraves de Suze s'étant éteinte en 1036, les comtes de Maurienne arrivèrent à établir leur prépondérance dans le pays. Le premier comte de Maurienne, et par conséquent le fondateur de la dynastie de Savoie, était Beroald, un descendant du comte SaintMaurice dans le Valais, d'origine saxonne (1).

(1) Histoire généalogique de la maison royale de Savoie, par Guichenon. 2 vol.; Lyon, 1660.- Notizie sopra la storia dei principi di Savoja, par Cibrario. Turin, 1825. — Histoire de la

Amédée Ier, qui mourut en 1072, réunit par suite de son mariage les comtés de Suze, Aoste et Turin à ses propres domaines. Amédée III, mort en 1 253, fut élevé par l'empereur Frédéric II à la dignité de duc de Chablais et d'Aoste. A la mort de Thomas II, ses deux fils s'étant partagé l'héritage paternel, fondèrent, en 1279, les deux branches de Piémont et de Savoie. La première, après avoir obtenu de l'Empereur le rang et le titre princier, s'éteignit en 1418, et ses domaines furent recueillis par la ligne de Savoie, dont le chef, Amédée IV, nommé prince du Saint-Empire et vicaire de l'Empereur en Italie, avait, en 1307, proclamé le droit de primogéniture.

Tout le monde sait à l'aide de quel jeu habile, lors de la guerre de la succession d'Espagne, Victor-Amédée II, pour prix de son alliance avec l'Empereur, cimentée par le traité de Turin (25 octobre 1703), réussit à se ménager une partie considérable du duché de Milan, et plus tard, à la conclusion de la paix d'Utrecht (1713), obtint la Sicile avec la dignité royale.

Voici comment, dans l'Histoire générale des Traités, écrite par le comte de Garden, est retracée la conduite de Victor-Emmanuel (1).

maison de Savoie, par Trézet. 3 vol.; Turin, 1826-28. - Compendio della storia della casa di Savoja, par Bartolotti. Turin, 1830.

(1) Garden. Histoire générale des Traités de paix. 14 volumes in-8. Paris, Amyot. Tome II, p. 248.

« Le duc de Savoie, ce prince versatile, mécontent de ce que la France et l'Espagne ne lui avaient pas confié le commandement de leurs troupes, et de ce que les subsides qu'on lui avait promis n'étaient pas régulièrement payés, feignant d'ailleurs de craindre une invasion de ses États de la part des Autrichiens, mais espérant en réalité, de la grande alliance, des parties de l'Italie voisines de ses côtes, et peut-être le Milanais tout entier, abandonna aussi Louis XIV, et tourna ses forces contre son gendre ».

Mais, ce qu'il importe de bien noter, dans le traité de 1703, en vertu duquel Victor-Amédée obtenait des mains de l'Empereur les provinces d'Alexandrie et de Valence, avec le territoire situé entre le Pô et le Tanaro, de même que Lomellino, Valsessia avec leurs dépendances, et la partie du duché de Montferrat, dont avaient joui précédemment les ducs de Mantoue, il était expressément déclaré que les territoires ci-dessus indiqués étaient cédés au duc de Savoie pour les tenir de l'Empereur et de l'Empire, et sauf le domaine direct de l'Empire (art. 5). Victor-Amédée se reconnaissait donc de ce chef, à la face de l'Europe, le vassal du Saint-Empire.

Il faut donc étrangement dénaturer l'histoire pour revendiquer en faveur du Piémont le monopole de la nationalité et de l'indépendance politique. La maison de Lorraine n'a pas, il est vrai,

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