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est vengé en retirant à M. Binda l'exequatur en qualité de consul des États-Unis d'Amérique, poste que depuis tant d'années il occupait avec une rare distinction à Livourne.

Il faut savoir que M. Binda est né à Lucques, et qu'il est, par conséquent, sujet toscan. C'est là ce qui a rendu plus facile la vengeance mesquine du conseil qui siége en ce moment au Vieux-Palais de Florence.

Une grande puissance comme la France, qui a arrosé de son sang le plus pur les plaines de la Lombardie pour sauvegarder la cause italienne, aurait doublemant manqué à sa propre dignité si, dans la solution d'une question d'ordre européen, elle s'était laissée arrêter par l'esprit de parti étroit et aveugle qui domine le gouvernement provisoire de Florence.

L'éventualité d'une intervention armée a été écartée à Villafranca. L'empereur FrançoisJoseph a dit qu'il ne s'agissait pas de combiner l'action de forces étrangères pour réaliser la rentrée des archiducs, mais de sauvegarder leurs droits et de poser un principe.

Il serait impolitique de ramener le grand-duc Ferdinand IV dans ses États par des baïonnettes autrichiennes. Le mérite des rares qualités qui se réunissent dans la personne du jeune monarque, et qui lui rendront bientôt l'affection du peuple entier, s'effacerait devant l'accusation lancée con

tre lui par les partisans du Piémont, d'être imposé à la Toscane et de ne point fonder un gouvernement national.

L'Autriche elle-même doit avoir peu de goût pour une entreprise qui déchaînerait de nouveau contre elle toutes les haines de l'Italie, et indisposerait une partie de l'Europe.

Ferdinand IV sera rétabli sur le trône de ses aieux par l'acclamation spontanée de la grande majorité de son peuple le jour où cessera la pression illégitime que le Piémont s'est arrogé le droit d'exercer en Toscane. Pour cela, il faut que l'aréopage européen signifie à la Cour de Turin la ferme volonté de ne pas permettre l'annexion. L'Autriche et la France viennent d'en prendre l'initiative en autorisant leurs plénipotentiaires, à Zurich, à insérer dans l'instrument de la paix, signée le 17 octobre courant, la stipulation formelle que « les droits du grand-duc de Toscane et du duc de Modène demeurent expressément réservés par les hautes parties contractantes. »

Confirmer les droits des archiducs par un traité solennel, ce n'est pas seulement déclarer à la face de l'Europe que les hautes parties contractantes ne favoriseront pas l'annexion, mais aussi qu'elles se dépouillent de la faculté de lui jamais reconnaitre la force du fait accompli.

XVI

Par suite des événements accomplis en Toscane le 27 avril, le ministre anglais, à Florence, avait demandé à son gouvernement qu'un vaisseau de guerre fût envoyé à Livourne pour couvrir d'une protection efficace les sujets de Sa Majesté Britannique. En conséquence, la frégate Conqueror était arrivée dans ce port, mais sans saluer, suivant les usages maritimes, le pavillon tricolore. Le cabinet de Turin y vit une offense faite au roi de Sardaigne, dont la dictature venait d'être proclamée par le gouvernement provisoire toscan. Le marquis d'Azeglio adressa, en date du 9 mai, un office au comte de Malmesbury, pour lui demander sur ce point des explications. Le chef du Foreign-Office répondit le lendemain au représentant de la Sardaigne, qu'il ne comprenait pas à quel titre officiel il pouvait poser une pareille question au gouvernement de Sa Majesté Britannique. C'est pourquoi il se bornait à lui faire savoir dans la voie purement privée et pour sa gouverne ultérieure, que le commandant du Conqueror n'avait agi que d'après des instructions positives.

C'était assez nettement signifier que le cabinet de Saint-James n'entendait pas favoriser le pro

jet d'annexion, dont certains journaux de Londres, qui passent pour recevoir l'inspiration de lord Palmerston, se montrent maintenant les avocats si ardents.

Pourtant, si nous avons bonne mémoire, lord Palmerston, ministre des affaires étrangères, dans une dépêche adressée au mois d'août 1847 au vicomte Ponsomby, ambassadeur de la Grande-Bretagne à Vienne, avait tracé comme ligne invariable de la politique anglaise, les maximes sui

vantes:

pre

«En réponse à la question énoncée dans la mière dépêche, je charge Votre Excellence d'assurer le prince de Metternich que le gouvernement de la Reine est d'avis, que les stipulations et les obligations du traité de Vienne doivent être observées en Italie comme dans toutes les autres parties de l'Europe auxquelles elles s'appliquent, et qu'aucun changement ne peut être convenablement apporté aux arrangements territoriaux établis par ce traité sans l'agrément et le concours de toutes les puissances qui y ont participé (1). »

Nous avons entendu le même langage dans la bouche de la Reine à l'ouverture du parlement, le 4 février dernier, sous le ministère tory.

Comment se fait-il que le gouvernement bri

(1) Nouveau Recueil, par Ch. Murhard, tome XII, p. 421

tannique se soit épris d'un engouement aussi soudain pour le projet d'annexion?

La politique fondamentale de la Grande-Bretagne a ses traditions, auxquelles tories et whigs demeurent également fidèles; c'est ce qui fait la force de sa politique.

Un homme d'État anglais, qui a joué un rôle fort important au congrès de Vienne et dans les affaires de son pays, va nous aider à expliquer la politique traditionnelle que la Grande-Bretagne poursuit dans la presqu'île des Apennins.

Lord Castlereagh, plénipotentiaire britannique au congrès de Vienne et membre du cabinet, revint à Londres pour assister aux débats parlementaires, lorsque, le 20 mai 1815, il fut interpellé par M.Whitebread, chef de l'opposition à la chambre des communes, sur sa conduite au congrès. M. Whitebread lui reprocha surtout de n'avoir pas suffisamment soutenu et défendu l'indépendance nationale des États qui avaient été emportés par la tourmente de la révolution française. Voici en quels termes lord Castlereagh entreprit la justification de sa politique (1):

« Les puissances confédérées de l'Europe s'étaient proposé comme but d'établir un système, sous lequel tous les peuples pourraient vivre en paix entre eux. S'il fallait sous-entendre que tous

(1) Klüber. Actes du Congrès de Vienne, tome VII, p. 170.

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