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de signifier l'ultimatum au Piémont, aussitôt après l'arrivée d'une dépêche télégraphique adressée de Berlin à l'empereur François-Joseph par l'archiduc Albert, chargé à ce moment d'une mission confidentielle auprès du prince-régent de Prusse.

Ces renseignements, émanés, disait-on, des sources les plus authentiques, ont été répétés dans presque tous les rapports diplomatiques. On prête même au comte Walewski les paroles suivantes, qu'il aurait prononcées dans son salon devant plusieurs représentants étrangers, le jour où le baron de Hubner demanda ses passeports à cause de la déclaration de guerre « Je ne comprends pas, aurait dit M. le ministre des affaires étrangères de France, que le comte Buol n'ait pas empêché l'envoi de l'ULTIMATUM à Turin au moment où j'étais presque sûr que la paix serait conservée; mais l'ULTIMATUM a subitement fait manquer le terrain sous mes pieds. »

Nous sommes à même de rétablir sur le but et. l'origine de l'ultimatum autrichien la plus exacte vérité.

La loyauté qui constitue le fond du caractère de l'empereur François-Joseph exclut déjà la possibilité qu'après avoir accepté la proposition de la Russie de soumettre la situation politique de l'Italie à l'examen d'un Congrès, l'empereur d'Autriche eût gardé l'arrière-pensée de provoquer et de rendre inévitable la guerre. Nous croyons savoir

que l'empereur Napoléon III a emporté de l'entrevue de Villafranca la conviction la plus complète du contraire.

L'archiduc Albert avait, il est vrai, pour instructions de préparer la cour de Berlin à l'éventualité d'un ultimatum destiné au Piémont; mais il croyait que l'on attendrait son retour avant d'en décider l'envoi. Lorsqu'il en apprit la nouvelle à Berlin de la bouche du baron de Koller, ministre plénipotentiaire d'Autriche en Prusse, il lui recommanda de la manière la plus pressante de n'en pas toucher un seul mot au cabinet prussien avant son départ. S. A. I. allait quitter Berlin le même soir pour retourner à Vienne.

On voit par là que le prince ne voulait en aucune façon assumer la responsabilité d'avoir contribué à la brusque résolution du cabinet impérial.

Pour bien comprendre le but que le comte Buol se proposait en conseillant à son souverain d'adresser un ultimatum au roi Victor-Emmanuel, il convient de se reporter par la pensée aux événements de 1843, qui offraient beaucoup d'analogie avec la situation où l'Autriche se trouvait vis-à-vis de la France au commencement de l'année actuelle. De même qu'alors le prince de Metternich, en profitant des appréhensions de toutes les cours, avait su habilement préparer la coalition de l'Europe contre Napoléon Ier, le comte Buol conçut l'idée de provoquer une explosion générale, non

pour faire éclater la guerre, mais pour la rendre impossible en mettant toute l'Europe en face des dangers d'une lutte universelle, dont aucune grande puissance ne voudrait courir les chances, attendu qu'il était impossible d'en prévoir la durée et encore moins l'issue.

Le comte Buol savait que la guerre dans laquelle le Piémont tâchait d'entraîner la Cour des Tuileries, était loin d'être aussi populaire en France que le prétendaient certains journaux. Il savait, à n'en pouvoir douter, que le dernier effort tenté en personne par le comte de Cavour auprès de Napoléon III, au mois de mars dernier, pour amener la France à soutenir le Piémont dans une guerre agressive contre l'Autriche avait complètement échoué, et que le premier ministre du roi VictorEmmanuel avait quitté Paris désappointé et fort découragé. Il savait enfin que les bruits répandus sur les armements de la France étaient empreints d'une grande exagération; mais il oublia peut-être un peu trop qu'au besoin, par les merveilleux ressorts de son organisation militaire, cette puissance redoutable pouvait mettre sur pied, en quelques semaines, une armée imposante, de même que, pendant la guerre d'Orient, elle avait improvisé toute une flotte avec une surprenante rapidité.

La réunion de ces diverses circonstances fit croire au comte Buol qu'il pouvait sans péril mettre brusquement fin à une négociation qui traînait

et frapper un grand coup. L'envoi de l'ultimatum du 19 avril devait, suivant ses calculs, contraindre l'Europe à ne prendre conseil que de ses alarmes, et à étouffer la collision à sa naissance. L'autorité et l'influence de la cour de Vienne allaient se relever sans coup férir, et l'Autriche, remettant au fourreau, sur les instances de l'Europe, son épée à demi tirée, aurait droit de garder au sein du futur congrès l'attitude la plus digne et la plus ferme.

Le comte Buol comptait sur le concours effi— cace du cabinet Derby qui, à l'ouverture du Parlement, le 4 février, avait mis dans la bouche de la reine Victoria cette déclaration que « le maintien de la foi des traités était l'objet de sa constante sollicitude. » Il se croyait sûr de l'appui de la Prusse, qui réitérait à Vienne les protestations les plus amicales, et y ajoutait l'assurance positive qu'elle entendait maintenir le statu quo territorial de l'Italie. A plus forte raison, en présence des manifestations chaque jour plus ardentes du peuple allemand, se flattait-il que la Confédération entière se rangerait, comme en 1848, autour du drapeau autrichien. En un mot, le comte Buol était convaincu que l'Europe entière allait, immédiatement et sans hésitation, s'opposer à tout commencement d'hostilité, et que la France ne ferait pas la guerre contre le gré de l'Europe (1).

(1) Les mots soulignés sont ceux dont s'est servi l'Empereur en répondant, le 17 juillet, aux discours des présidents des

Ce n'est pas à nous qu'il appartient de juger un homme d'État distingué, qui, mû par le sentiment le plus patriotique, s'est mépris de bonne foi sur les conséquences d'une démarche aussi décisive, d'un acte aussi irrévocable. Notre unique but a été d'établir à qui est due l'initiative de l'ultimatum du 19 avril, et sur qui doit en peser la responsabilité. C'était là un point qu'il importait de bien éclaircir dans l'intérêt des rapports ultérieurs entre l'Autriche et la France.

III.

A trois lieues de Vérone, sur la route qui conduit à Mantoue, se trouve une petite ville d'environ 7,000 âmes: c'est Villafranca.

L'empereur François-Joseph y avait passé une nuit avant la bataille de Solferino, dans une maison particulière appartenant à M. Charles GaudiniMorelli, et située au milieu de la Grande-Rue. Cette maison, devenue désormais historique, se compose d'un corps de bâtiment faisant façade sur la rue, et de deux ailes qui se replient à l'intérieur et encadrent la cour. Au-dessus de la porte cochère se trouve un salon avec balcon. L'ameublement en est

grands corps de l'Etat, admis au palais de Saint-Cloud à présenter leurs félicitations à S. M., au retour de la campagne d'Italie,

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