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PREMIÈRE PARTIE

LA PAIX PRÉLIMINAIRE DE VILLAFRANCA

Zurich, cette Athènes allemande de la Suisse, comme l'appelle Balbi, est le point sur lequel se tournent depuis trois mois les regards de l'Europe entière. C'est là que siége la Conférence chargée d'achever l'œuvre de paix, dont les bases ont été posées par les deux Empereurs dans l'entrevuc de Villafranca. Se peut-il imaginer une mission plus laborieuse, mais en même temps plus sainte, que d'assurer le repos du monde et de régler l'avenir de la presqu'île des Apennins, au milieu du chaos politique qu'un étroit esprit de parti, des haines aveugles et des ambitions sans bornes viennent d'engendrer dans l'Italie centrale? Un terrain neutre, où aucune passion ne pût trouver d'écho, était nécessaire pour l'accomplissement de cette tâche; mais, à part même sa neutralité, la

patrie de Lavater convenait merveilleusement à la réunion de plénipotentiaires chargés de résoudre d'aussi difficiles questions.

Entourée de collines riantes, et baignée par un lac d'une limpidité de cristal, où se reflètent les cîmes neigeuses des Alpes que le soleil couchant revêt de teintes dorées d'un incomparable effet, Zurich respire ce calme profond et doux à la fois qui prédispose l'esprit humain à mieux apprécier ce qui est juste et vrai, en même temps que l'aspect des grandes beautés de la nature l'élève malgré lui au-dessus des passions, dans les sphères sublimes de la méditation et du recueillement. Les plénipotentiaires d'Autriche et de France logent à côté l'un de l'autre, au premier étage de l'hôtel Bauer, dont la façade élégante projette son ombre sur le lac. Ils tiennent leurs séances alternativement dans le salon du comte Colloredo et dans celui du baron de Bourqueney. Assis autour de la table des conférences, ils voient se dérouler devant leurs yeux toutes les splendeurs de la nature suisse, au charme de laquelle ne résiste pas même le touriste anglais le plus blasé. Si, comme l'affirme Buffon, notre esprit subit toujours plus ou moins l'influence du milieu qui l'entoure, les délibérations de la Conférence de Zurich ne peuvent que se ressentir favorablement du calme et de la sérénité qui environnent les plénipotentiaires. Nous croyons pouvoir affirmer qu'en effet les négocia

teurs, s'inspirant des instructions positives de leurs souverains, font preuve du plus vif désir de s'aplanir mutuellement les obstacles dont leur tâche est hérissée, et qu'ils apportent dans la solution de difficultés qui paraissaient inextricables une modération etun esprit de conciliation dont les heureux effets ne tarderont pas à renouer l'alliance entre la France et l'Autriche. Du reste, jamais tâche ne fut remise en de meilleures mains, et le choix des plénipotentiaires eux-mêmes témoigne, de la part des deux Empereurs, de la ferme résolution d'arriver à une entente cordiale.

1.

Issu d'une des plus illustres familles de l'aristocratie autrichienne, le comte Colloredo, dès son début dans la carrière diplomatique, a professé hautement de vives sympathies pour la France. A l'époque où la cour des Tuileries était représentée en Angleterre par M. de Chateaubriand, M. de Bourqueney remplissait à Londres les fonctions de secrétaire d'ambassade. Le comte Colloredo se lia à ce moment avec le jeune diplomate français d'une étroite amitié, que les années n'ont fait qu'accroître et resserrer davantage. Appelé plus tard à remplacer le comte Buol en qualité d'ambassadeur de S. M. Apostolique près la cour

de Saint-James, le comte Colloredo entretint, soit avec M. Drouyn de Lhuys, soit avec le comte Walewski, successivement ambassadeurs de France à Londres, les rapports les plus intimes. Transféré à Rome, le 20 mai 1856, pour représenter l'Autriche près du Saint-Siége, il y réussit également, malgré les difficultés de sa position, à conserver jusqu'au dernier moment avec le duc de Gramont des relations empreintes de la plus franche cordialité. Joignant à une très longue expérience des affaires, une rare droiture de caractère et l'aménité du véritable grand seigneur, le comte Colloredo était appelé, plus que tout autre diplomate autrichien, à élaborer et à signer la paix définitive entre les deux puissances belligérantes, après la lutte sanglante qu'elles se sont livrée dans les plaines de la Lombardie (1).

Le baron de Meysenbug, second plénipotentiaire d'Autriche, occupe à Vienne, au ministère des affaires étrangères, la position qui correspond à celle de directeur de la division politique du même ministère en France.

Considéré à bon droit comme la cheville ouvrière de son département, il a puissamment contribué, lors des complications orientales, à détacher la cour de Vienne de la Sainte-Alliance par la conclusion du traité du 2 décembre. C'est un

(1) Voyez, sur la mort si regrettable du comte Colloredo, la notice qui suit les annexes, page 204.

de ces rares hommes d'Etat chez qui le cœur est au niveau de l'intelligence, et il jouit par conséquent d'une considération hors ligne dans le monde diplomatique. On ne saurait mieux le comparer qu'à M. Desage, de regrettable mémoire, qui a laissé au ministère des affaires étrangères, en France, des souvenirs si honorables.

Frappé cruellement, il y a environ un an, dans ses plus chères affections par la mort prématurée d'une femme incomparable et adorée, le baron de Bourqueney s'était, depuis le mois de novembre dernier, retiré à Blois, résolu à quitter les honneurs de la diplomatie, pour chercher à l'ombre du foyer domestique quelque adoucissement à son deuil profond.

Néanmoins, lorsqu'au retour de la campagne d'Italie, après la signature de la paix préliminaire de Villafranca, l'empereur Napoléon III le manda à Paris par le télégraphe, le baron de Bourqueney, faisant violence à sa douleur, accepta sans hésiter la mission de conclure la paix avec l'Autriche. Tout en tenant très haut, dans les moments décisifs, le drapeau de la France, le baron de Bourqueney a constamment nourri la profonde conviction que l'alliance des deux grandes puissances catholiques était la plus naturelle, la mieux appropriée aux véritables intérêts de la civilisation, la plus favorable à la paix du monde. Appelé à représenter le gouvernement de l'empereur

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