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Les journaux ont publié des relations détaillées de l'entrevue de Villafranca. Nous pouvons donc glisser rapidement sur ce qui est connu de tout le monde, et nous attacher exclusivement à la partie intime de ce mémorable événement.

C'est à un kilomètre de distance de Villafranca, sur la chaussée qui s'étend du côté de la porte de Vérone, que, le 11 juillet dernier, à neuf heures et demie du matin, en plein soleil, François-Joseph et Napoléon III se sont rencontrés.

Des témoins oculaires de cette scène imposante nous ont assuré que les deux souverains, pénétrés de la solennité du moment, étaient trèsémus en se tendant et en se serrant affectueusement la main; leur brillant et nombreux cortége subissait naturellement l'influence de leur émotion.

Les augustes chefs des armées autrichienne et française étaient en tenue de campagne; l'étatmajor à la suite portait l'uniforme de gala; l'escorte la grande tenue.

Les premiers compliments échangés, FrançoisJoseph se plaça courtoisement à la gauche de Napoléon III, et le cortége reprit aussitôt le chemin de la ville, les états-majors autrichien et français marchant pêle-mêle derrière LL. MM.

Napoléon III avait fait poster aux abords de la porte de Vérone des batteries de l'artillerie de la garde, pour saluer l'arrivée de François-Joseph

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de cent et un coups de canon, pendant que les cloches sonnaient à grande volée.

LL. MM. descendirent de cheval à l'entrée de la maison de M. Gaudini-Morelli, et montèrent immédiatement au salon du premier étage, où elles s'enfermèrent seules après avoir congédié leur suite. Deux sentinelles des cent-gardes se tenaient dans l'antichambre et deux autres sur le palier, pour empêcher l'approche de toute oreille indis- ' crète.

Les augustes négociateurs prirent place, l'un en face de l'autre, des deux côtés de la table sur laquelle, auprès d'un vase de fleurs fraîchement cueillies, se trouvaient la carte du royaume lombardo-vénitien, un encrier, des plumes et quelques feuilles de papier blanc.

Sur l'une de ces feuilles allaient être consignés les arrangements, qui devaient fixer le sort de l'Italie et décider de la paix du monde.

La négociation directe. des deux Empereurs agissant dans la plénitude de leur pouvoir suprême, devait imprimer nécessairement aux stipulations arrêtées par eux un caractère définitif et absolu, que les traités internationaux, rédigés par les agents diplomatiques ordinaires, n'assument qu'après avoir reçu la ratification voulue.

Entre l'armistice signé le 8 juillet par les commissaires des puissances belligérantes et la paix préliminaire conclue, trois jours après, par Fran

çois-Joseph et Napoléon III, il y a dans la forme une différence essentielle qu'il importe de faire ressortir.

La convention du 8 juillet subordonne expressément la valeur et l'exécution des arrangements intervenus à la ratification des gouvernements contractants. Rien de pareil ne pouvait être formulé dans la paix de Villafranca, que les deux Monarques rendaient ipso facto exécutoire par leur seule signature, attendu qu'ils y intervenaient non comme simples mandataires, tels que le sont tous les plénipotentiaires sans distinction, mais comme souverains indépendants, engageant irrévocablement leur parole impériale.

C'est ce qui explique pourquoi la paix préliminaire de Villafranca est devenue le pivot autour duquel doivent strictement rouler les conférences de Zurich. Il n'est point permis aux plénipotentiaires de s'écarter en rien de ce que les deux Empereurs ont entendu se promettre, et de ce qu'ils ont arrêté à Villafranca. Le texte de la paix préli– minaire n'étant que le résumé très succinct de l'entrevue que LL. MM. ont eue dans la journée du 11 juillet à Villafranca, il s'ensuit que les plénipotentiaires sont à chaque instant obligés d'avoir recours aux explications directes des deux Empereurs, afin de pouvoir rendre complétement leur pensée, et de réaliser leurs intentions souveraines, dans l'instrument de la paix

la Conférence de Zurich est chargée de ré

que diger.

Voilà la véritable cause des lenteurs inévitables qu'éprouvent les travaux de la Conférence, à laquelle on a trop légèrement lancé le reproche d'impuissance. On verra plus loin la série des problèmes ardus et compliqués qu'elle est appelée à résoudre. On portera alors, nous aimons à le croire, un autre jugement sur ses travaux, et l'on rendra plus de justice aux résultats de sa féconde activité.

La nécessité d'entourer la Conférence de Zurich de renseignements et de lumières capables de lui faire apprécier au juste la nature et la portée des engagements pris à Villafranca; l'opportunité de combattre les fausses rumeurs et de rectifier les nouvelles exagérées, colportées par la presse périodique; l'urgence de rassurer l'Europe dont les intérêts demeurent depuis si longtemps en souffrance; tout s'est réuni pour faire jaillir le jour sur ce qui s'est passé à Villafranca entre les deux potentats. Ceux-ci, d'ailleurs, se sont séparés trop satisfaits, trop charmés l'un de l'autre, pour avoir eu besoin d'envelopper leur conversation de ce mystère derrière lequel la diplomatie a l'habitude d'abriter surtout les négociations malheureuses. Le lendemain, dans l'entourage intime des deux Monarques, l'on connaissait presque tous les détails de leur entrevue.

Nous ne croyons donc commettre aucune indiscrétion en reproduisant les renseignements, fort intéressants, qu'il nous a été donné de recueillir à des sources très authentiques, sur l'un des faits les plus importants que l'histoire aura à enregistrer, si l'on en doit juger par les suites fécondes qu'il promet.

La négociation directe entre François-Joseph et Napoléon III s'ouvrit naturellement sur la base de la dernière lettre que l'empereur des Français avait adressée l'avant-veille au prince Alexandre de Hesse.

Ainsi que la note insérée dans le Moniteur du 9 septembre l'a déjà fait connaître, il y avait quatre points essentiels dont le réglement devait amener la conclusion de la paix.

Sur le premier point, concernant la cession formelle du territoire conquis, l'Empereur d'Autriche se montra on ne peut plus coulant. « La fortune des batailles a décidé contre moi,- aurait-il dit,—j'en subirai les conséquences; je vous donne la Lombardie, et je suis prêt à en confirmer par traité la cession. Vous en disposerez, Sire, comme il vous plaira. Vous devez cependant comprendre les motifs impérieux qui me défendent d'intervenir directement, si, comme il semble certain, vous entendez en faire don au Piémont. »

François-Joseph, malgré les instances de Napoléon III, persista néanmoins à refuser l'abandon

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