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souveraine, aimait mieux rompre les négociations plutôt que de céder sur un point si délicat.

On doit comprendre maintenant que le quatrième point arrêté dans l'entrevue de Villafranca, si simple et si naturel qu'il puisse paraître, impliquait de la part de l'Autriche une immense concession de principe. Ce que l'Autriche, il y a dix ans, n'avait voulu à aucun prix accorder au roi de Sardaigne, elle l'accordait aujourd'hui à Napoléon III, en consentant à ce que sa promesse d'une amnistie pleine et entière fût consignée dans le traité préliminaire de Villafranca. En outre, François-Joseph, en sa qualité de chef de la maison de Habsbourg, prit le même engagement au nom du grand-duc de Toscane et du duc de Modène.

VI.

Lorsque les quatre points qui servaient de base à la négociation, conduite en personne par les deux Empereurs, eurent été réglés, Napoléon III désira ajouter un cinquième point. Il exprima la pensée que les deux grandes puissances catholiques devraient adresser au Saint-Siége des conscils collectifs, relativement aux réformes indispensables à opérer dans les États de l'Église.

La question était des plus délicates. Que l'administration des États de l'Église réclame des

améliorations, personne ne le conteste. Quel est, en Europe, l'État qui n'a pas, plus ou moins, besoin de réformes? L'auguste Pontife, qui occupe aujourd'hui la Chaire de saint Pierre, a témoigné assez souvent et assez haut de son constant et sincère désir de réaliser la plupart des réformes que les grandes puissances avaient recommandées à Grégoire XVI, en 1834.

D'après le témoignage de lord Palmerston luimême, le Motu proprio de 1849 renferme les bases d'un système administratif en harmonie avec l'esprit du siècle, et capable d'assurer le bien-être des sujets pontificaux.

Dans la discussion parlementaire qui s'engagea, le 15 juillet 1856, à la Chambre des communes, sur la motion de lord John Russell, relative aux affaires d'Italie, lord Palmerston, en sa qualité de premier ministre, s'exprima ainsi :

J'ai, en ce moment, à la main la proclamation du Pape, celle qui précéda son retour en 1849, et dans laquelle se trouve complétement exposé un meilleur système judiciaire.

» Je crois que si le Pape avait mis à exécution ce qu'il avait proposé dans ce document, tout ce que désire mon noble et docte ami pour l'administration de la justice se trouverait accompli. » Lord Palmerston ajoutait :

<«< On ne saurait imaginer qu'un gouvernement comme celui du Pape, à la tête duquel est un

homme qui nous a donné, dans le passé, des preuves suffisantes de ses intentions généreuses et de ses vues éclairées, soit incapable de diriger l'administration de ses affaires de manière à détruire les causes de mécontentement qui seules engendrent les convulsions dans l'État. >>

Si Pie IX avait été abandonné à ses propres inspirations, sans être entravé par l'agitation que les factieux ont réussi à perpétuer dans la Romagne, il n'est pas douteux que le Motu proprio de Gaëte ne fût aujourd'hui une vérité.

Fort de la conscience d'avoir constamment poursuivi le bonheur de son peuple avec une sollicitude vraiment paternelle, Pie IX s'est fermement refusé à tout acte qui aurait pu faire croire que la pression morale du dehors avait sur lui plus de force que le sentiment du devoir. Accueillant avec déférence les conseils que l'Autriche et la France lui adressèrent après le Congrès de Paris, il se déclara prêt à accomplir, et au-delà, les promesses de Gaëte, dès que la situation intérieure des États de l'Église permettrait la retraite des troupes étrangères, et assurerait par là aux réformes qu'il projetait le mérite de la spontanéité.

Lorsque le cardinal Antonelli, le 11 mars dernier, communiqua par écrit au comte Colloredo et au duc de Gramont, le vœu émis par le SaintPère, que l'évacuation des troupes étrangères, autrichiennes et françaises, s'accomplît dans le

courant de l'année 1859, cette note du secrétaire d'État se rattachait à la détermination prise par Pie IX d'aborder franchement des réformes qui répondissent aux véritables besoins du pays, tout en étant compatibles avec la constitution organique du gouvernement pontifical (1).

La guerre vint arrêter la mise à exécution de cette noble et féconde pensée.

Napoléon III voulut la reprendre en sous-œuvre à Villafranca, en invitant l'empereur d'Autriche à se joindre à lui pour presser le Saint-Père de réaliser immédiatement les réformes indispensables.

Il était toutefois à présumer que les conseils des deux grandes puissances catholiques, quelqu'amicaux qu'ils fussent, demeureraient inefficaces aussi longtemps que la Romagne ne serait pas replacée sous l'autorité de la souveraineté papale. Pie IX avait manifesté la ferme résolution de reprendre le chemin de l'exil, et de demander, s'il le fallait, l'hospitalité à l'Amérique, plutôt que de

(1) L'auteur de ces pages a eu, à deux reprises différentes, depuis 1856, l'insigne honneur d'une audience du SouverainPontife, qui daigna l'entretenir de la situation politique de l'Italie en général, et des États de l'Église en particulier.

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« J'approuve, eut la gracieuseté de lui dire le Saint-Père, - tout ce que vous avez écrit dans votre histoire du Congrès de Paris sur la politique conciliante et libérale que les princes d'Italie doivent suivre, pour assurer le repos de la péninsule. Mais, puisque vous êtes ici, examinez de près les choses et voyez vous-même si tout ce que l'on nous demande est réalisable. »

se laisser arracher de nouveau des concessions par la révolution.

En revendiquant, dans l'intérêt de la pacification de l'Italie, le droit de donner des conseils au gouvernement pontifical, les deux Empereurs s'engageaient implicitement à remplir les obligations

qu

'ils avaient ouvertement et hautement contractées envers lui, à la face du monde, lorsqu'avant l'ouverture des hostilités, ils avaient garanti la neutralité, l'indépendance et l'intégrité des États de l'Église. Le Saint-Père était donc fondé à leur dire Je veux bien écouter vos conseils; mais, en retour, vous allez vous charger de rétablir l'ordre qui a été si profondément troublé dans les Légations par la guerre que vous venez de vous faire.

La promesse mutuelle, que les deux Empereurs échangeaient à Villafranca, d'unir leur influence à Rome pour amener des réformes dans l'administration pontificale, constituait donc au fond, de la part de tous les deux, l'engagement tacite de maintenir le Saint-Père dans la possession intacte des droits que lui assurent les traités.

C'est ainsi, en effet, que le Saint-Siége a interprété, en ce qui le concerne, la convention de Villafranca. C'est pour cette raison qu'il y a trouvé un motif puissant de prendre en très-sérieuse considération les conseils et les suggestions de S. M. Apostolique et du Fils aîné de l'Église.

Dans la seconde partie de ce travail, nous fe

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