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elle être considérée comme une simple condition du dépôt ? Telle est la question qui fut soulevée dans l'espèce. Pour l'affirmative, on peut dire que, le dépôt ayant eu lieu sous le secau · du secret et sous la condition de ne point révéler la personne à laquelle il était destiné, ce serait violer le secret, détruire la foi du dépôt, que de prétendre obliger le dépositaire à déclarer s'il est ou non chargé de le rendre à telle personne; que la remise de la chose par l'entremise du dépositaire est en quelque sorte une tradition secrète de manu ad manum, qui ne doit avoir d'autres témoins ou plutôt d'autres confidens que celui qui le remet et celui qui le reçoit ; qu'autrement, et si le déposant avait prévu que son seeret fût trahi et l'objet de sa libéralité découvert, il n'eût pas suivi la foi du dépositaire ni confié le dépôt à sa discrétion; que, dans ce cas, le dépositaire doit être assimilé au ministre du culte, qui, suivant la décision de la Cour suprême, n'est pas obligé de révéler ce qui lui a été dit par suite de la confession, même hors du tribunal de la pénitence (1).

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Malgré toutes ces raisons, il est bien certain que l'intérêt public et l'empire de la loi doivent prévaloir sur ces considérations particulières, et que, s'il n'est pas permis de violer ouvertement une prohibition légale, il ne l'est pas davantage de prendre une voie détournée pour arriver au même résultat, et faire passer, par l'entremise d'un tiers, une libéralité destinée à une personne à qui la loi défend de donner. « Lorsque la loi (dit M. Grenier, en son Traité des Donations) a prononcé des incapacités de recevoir contre certaines personnes, elle eût été impuissante si elle n'eût pas prévu les cas où on aurait voulu l'éluder en pratiquant des fraudes. » En effet, dans l'hypothèse prévue, le dépositaire ne serait réellement qu'une personne interposée, et le dépôt un fideicommis tacite fait en fraude de la loi. Aussi Denisart nous apprend-il que les Cours souveraines ont toujours jugé que le dépositaire doit affirmer

(1) Voy. tom. 11 de ce recueil, pag. 957.

qu'il n'est pas chargé de rendre le dépôt à une personine-prohibée; et indépendamment de l'arrêt du 14 mars 1705, dont on a déjà parlé, Denisart cite un autre arrêt du 1 décembre 1708, rapporté par Augeard, qui l'a décidé de cette

manière.

Dans l'espèce, le sieur François Girardin, aïeul de la dame Jabain, l'avait instituée, par son contrat de mariage, son hénitière universelle; il avait réduit ses autres petits-enfans à leur légitime.

Après le décès du sieur Girardin, les sieur et dame Jabain' out prétendu que celui-ci avait déposé au sieur Fournaux de Crebert une somme d'argent assez considérable, avec charge de la remettre à un des légitimaires, en fraude de l'institution portée dans leur contrat de mariage. En conséquence, ils ont fait assigner le prétendu dépositaire aux fins d'être condamné à leur restituer la somme qu'ils supposaient lui avoir été confiée.

Au lieu de répondre catégoriquement sur le fait du dépôt, le sieur Fournaux de Crebert se renfermait dans cette proposition évasive; il disait: « Si j'ai reçu un dépôt du sieur Girardin, j'ai exécuté ses intentions en rendant le dépôt à la la personne qui aurait été indiquée par lui pour le recevoir. Dans tous les cas, je ne vous dois aucun compte à vous sieur et dame Jabain ; je ne vous connais pas. Le dépôt est un secret qu'il n'est pas permis de violer, et si le sieur Girardin avait confié quelque chose à ma foi, vous feriez de vains efforts pour me rendre parjure. »

Le sieur Fournaux de Crebert, pour échapper à l'obligation d'avouer le dépôt, et de déclarer si, en effet, il était chargé de le remettre à une personne prohibée, invoquait les prinapes qui ont été précédemment rappelés, et surtout l'autorité de l'arrét rapporté par Denisart, lequel avait décidé que dépositaire n'était point tenu de faire connaître les conditions secrètes du dépôt. Par ces motifs il soutenait les sieur et dame Jabain non recevables dans leur demande.

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le

Il intervint en effet, le 24 août 1810, un jugement du tri

bunal çivil de Mont-Luçon, qui débouta les mariés Jabain d leurs fins et conclusions, attendu que le secret du dépôt n pouvait être violé, et que le sieur Fournaux déclarait d'ail leurs que, s'il avait reçu un dépôt, il avait exécuté la volont du défunt, et donné au dépôt la destination indiquée.

Sur l'appel, les sieur et dame Jabain ont été plus heureux et, le 23 janvier 1811, ARRỆT de la Cour d'appel de Riom MM. Delapchier et Pagès avocats, par lequel:

« LA COUR, Attendu que, s'il est dû fidélité au secret de la condition du dépôt, le dépositaire ne doit pas moins de fidé lité à la loi ; Attendu que ce serait une infidélité à la loi de s'être chargé d'un dépôt, sous la condition de le restituer en fraude de ses dispositions; qu'ainsi le dépositaire ne peut jamais se refuser à déclarer positivement si, ou non, il a reçu un dépôt, et s'il a été, ou non, chargé de le restituer à une personne incapable ou prohibée ; Attendu que, dans l'espèce, la condition du dépôt peut avoir eu pour objet une personne incapable ou prohibée, respectivement à l'institution d'héritiers des parties de Delapchier ;-Dir qu'il a été mal Jugé ...... ; émendant, ordonne que, dans la quinzaine de la signification du présent arrêt à personne ou domicile, la partic de Pagès sera tenue d'affirmer devant la Cour s'il lui a été confié un dépôt de la part de François Girardin, aïeul de la femme Jabain, et de quelle somme; et si, ou non, il a été chargé de le remettre à une personne incapable ou probibée, par rapport à l'institution d'héritier, etc. »

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COUR DE CASSATION,

Une Cour d'appel, en annulant un jugement pour incompe tence RATIONE MATERIE, peut-elle statuer en même temps sur le fond, au lieu de renvoyer devant un autre tribunal ? (Rés. aff.) Cod. de proc. civ., art. 473.

BABOIN, C. JAMET.

La loi de 1790 réservait expressement aux parties les deux

degrés de juridiction, dans les matières qu'elle en déclarait sibət ceptibles: en sorte que les juges d'appel qui ausulaient un jus gement pour cause d'incompétence, ou tout autre vice de forme, ne pouvaient retenir le fond, et devaient, au contraire, revoyer devant les tribunaux de premièreinstance. Nous avons rapporté dans de recueil plusieurs arrêts de la Cour de casɔaLaon qui font ainsi jugé (1),

Mais, sous l'empire du Code de procédure civile, la solution ne duit pas étre la même. Ce Code, dont l'objet principal a été de simplifier la procédure et d'abréger les procès, semble autoriser les Cours souveraines à évoquer le principal et à le juger définitivement, quand la matière y est disposée, toutes les fois qu'elles aunullent un jugement pour vice de forme ou pour foute autre cause. Ce sont les termes de l'article 473, termes génériques et absolus, qui n'admettent par conséquent aucune exception. C'est en se fondant sur cet article que la Cour de cassation a décidé, par arrêt du 5 octobre 1808, rapporté tome 9, page 588, qu'une Cour d'appel, en annulant un ju

gement, parce qu'il avait été rendu par un tribunal qui n'était pas composé d'un nombre suffisant de juges, avait pu statuer sur le foud; et qu'en cela, elle s'était littéralement conformée aux dispositions de l'art. 473 du Code de procédure. Voici au surplus le texte de cet article

Lorsqu'il y aura appel d'un jugement interlocutoire, si le Jugement est infirmé, et que la matière soit disposée à receFoir une décision définitive, les Cours et autres tribunaux d'appel pourront statuer en même temps sur le fond définitivement, par un seul et même jugement.

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en sera

de même dans les cas où les Cours, ou autres tribunaux d'appel, infirmeraient, soit pour vices de forme, soit pour toute autre cause, des jugemens définitifs. »

Ces dernières expressions, comme on le voit, ne comporjent aucune exception. Que le jugement soit infirmé

pour in

(1) Voy. les tom. 1, pag. 408, tom. 2, pag. 173; tom. 3, pag. 208,

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compétence, quelle qu'en soit l'espèce, ou qu'il le soit pour vice de forme, l'article précité ne distingue pas. Dans tous ces cas les Cours peuvent évoquer et juger en dernier ressort, alors que la matière est disposée à recevoir une décision définitive. *Cependant le demandeur en cassation, dans l'espèce que nous allons rapporter, soutenait que l'article 473 n'était point applicable au cas d'annulation pour incompétence ratione materiæ; qu'il ne dérogeait point aux articles précédens, dont plusieurs avaient consacré la prérogative des deux degrés de juridiction ; que, s'il autorisait les Cours d'appel à évoquer, c'est parce qu'il supposait que les juges de première instance avaient été légalement, régulièrement saisis; qu'il ne pouvait par conséquent s'appliquer au cas où l'incompétence était radicale et absolue; que, dans cette hypothèse, il n'y avait point de véritable jugement, puisque des juges incompétens, surtout à raison de la matière, n'étaient plus des juges, mais de simples particuliers, sans droit ni qualité pour rendre une décision judiciaire. On invoquait, en faveur de ce système, les arrêts que nous avons précédemment indiqués, et qui ont été rendus en interprétation des lois des 1 mai et 24 août 1790.

Mais on repliquait au demandeur, par les termes mêmes de l'art. 473 du Cotie de procédure, qui, par ces mots, pour toute autre cause, êxclut toute exception, toute distinction. A l'égard des arrêts invoqués, on lui observait qu'il ignorait sans doute ou qu'il feignait d'ignorer qu'ils avaient été rendus sons l'empire d'une législation toute différente, d'une législation qui n'était plus.

Il s'agissait, dans l'espèce, d'une société formée entre Etienne et Joseph Jamet et le sieur Baboin, pour l'achat de soies grises et leur revente après avoir été œuvrées. Baboin, 'qui n'a¬ vait été associé qu'après coup, voulut devenir copropriétaire du fonds de la fabrique. Les deux autres lu en vendirent une portion; ensuite les associés se brouillèrent. Baboin demanda des comptes, et prétendit que l'acquisition qu'il avait faite d'une partie de la fabrique était nulle.

Sur ces débats respectifs, les parties procédèrent olontai

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