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S II.

Pourvoi du Procureur-général près la COUR DE NANCI.

Un sieur Billecart est poursuivi comme bigame. Dans les interrogatoires qu'on lui fait subir, il prétend que son premier mariage avec Marie Pinet n'est point sérieux; qu'il n'a formé ce simulacre d'union que pour éviter les poursuites auxquelles l'exposait son état d'émigré rentré; qu'au surplus ce prétendu mariage est nul soit parce que son père n'y avait pas consenti, soit parce qu'il n'avait pas été précédé des publications prescrites par la loi du 20 septembre 1792, soit enfin parce qu'il n'y avait assisté que deux témoins.

Le prévenu ayant été renvoyé devant la Cour royale de Nanci, chambre d'accusation, le procureur-général a demandé qu'il fut sursis pendant trois mois à la mise en accusation, et que, durant ce délai, Billecart fût tenu de former et faire juger la demande en nullité de son premier mariage.

Le 5 juin 1811, arrêt qui, sans avoir égard au réquisitoire du Ministère public, déclare qu'il y a lieu à accusation contre Maximilien-Joseph Billecart, et renvoie le prévenu devant la Cour d'assises du département de la Meurthe,« Attendu, y est-il dit, que l'exception proposée par le prévenu ne pourrait donner lieu de surseoir à la mise en accusation qu'autant que cette exception serait de telle nature qu'étant vérifiée, elle anéantirait l'inculpation, et deviendrait ainsi préjudicielle, comme serait l'allégation de supposition et de faux de l'un des actes de mariage représentés ; que l'allégation faite par M. Billecart de prétendues irrégularités commises soit dans les actes préliminaires à son premier mariage, soit dans l'acte de célébration d'icelui, ne présentent point ce caractère, puisque, même étant admises et vérifiées, elles laisseraient l'inculpation subsister en son entier; qu'en effet, lorsqu'il y a possession d'état, et que l'acte de célébration du mariage devant l'officier de l'état civil est représenté, les époux sont respectivement non recevables à demander la nullité de cet acte. que, l'acte de mariage étant produit, et la possession d'étation

contestée, il serait contraire à l'esprit et au texte de la loi de suspendre le cours de la justice par le seul motif de donner cours à une action qu'elle rejette ; qu'enfin il serait contraire à l'intérêt des mœurs qu'une critique minutieuse et tardive d'un lien de mariage jusque alors inattaqué et réputé inattaquable fût admise comme excuse de sa violation ».

Pourvoi en cassation de la part du procureur-général près la Cour de Nanci, pour incompétence et pour excès de pouvoir.

M. Merlin, qui portait la parole dans cette cause, a pensé que la demande en cassation présentait trois questions distinctes: la première, si la nullité de l'un des deux mariages contractés par le prévenu de bigamie formait à son égard une `exception préjudicielle, et si elle devait le mettre à couvert de la peine infligée aux bigames; la seconde, si, en admettant l'affirmative, les juges criminels étaient compétens pour prononcer sur cette exception, ou s'ils devaient la renvoyer aux juges civils, et surseoir à toute instruction jusqu'à ce que ceux-ci l'aient décidée; la troisième, si, dans la même hypothèse, les juges criminels avaient au moins le droit d'examiner si cette exception était recevable de la part de l'accusé.

Sur la première, M. le procureur-général a clairement éta bli qu'en fait d'accusation de bigamie comme sous tout autre rapport, un mariage nul n'était point un mariage, et que par suite on ne pouvait pas considérer comme bigame celui qui, s'étant, de fait, marié deux fois, ne l'avait été valablement qu'une seule; que cela résultait de plusieurs arrêts bien positifs du parlement de Paris (1), et que les lois nouvelles n'avaient point dérogé à cette jurisprudence.

Sur la seconde question, M. Merlin a pensé qu'il fallait distinguer entre le cas où l'accusé de bigamie excipe de la nullité de son second mariage, et le cas où il excipe de la nullité du mariage qu'il avait précédemment contracté ; que, dans le

} (1) Arrêt du 11 mars 1660 dans la cause de Jeanne Letourneux, Arrêt du 23 mars 1697 dans la cause de Chabert. bre 1781 dans la cause du nommé Girand.

- Arrêt du 29 décem

premier cas, le juge criminel peut et doit prononcer sur l'excep tion de nullité que l'accusé de bigamie oppose à son second mariage; et que, dans le deuxième, le juge criminel doit surseoir jusqu'à ce que le juge civil ait statué sur la nullité dont le premier mariage est argué par le prévenu; que cette distinction dérive immédiatement des règles de compétence qui séparent la juridiction criminelle de la juridiction civile ; qu'en effet, dans l'accusation de bigamie, c'est le second mariage qui constitue le crime; que dès lors il est certain qu'en matière de crimes et de délits., la compétence des juges criminels n'est circonscrite par aucune borne, n'est modifiée par aucune réserve, n'est limitée par aucune exception; que, dès qu'un crime ou délit est articulé, les juges criminels peuvent et doivent le rechercher, le poursuivre, le juger dans tous les élémens qui le constituent et en forment la substance; et que, lorsque parmi ces élémens il se trouve une question de droit, ils peuvent et doivent la juger ni plus ni moins que si c'était une question de fait; mais que tout au contraire, lorsque la contestation incidente à une accusation de bigamie roule sur l'existence ou la validité du premier mariage, le juge criminel doit en délaisser le jugement aux tribunaux civils, par la raison toute simple que ce n'est point dans le premier mariage qu'est le crime, mais bien dans le second, et que dès lors le juge criminel est incompétent pour connaître de l'existence et de la validité du premier mariage.

Toutefois (et c'était la troisième question), M. le procureurgénéral a démontré que, quand une fin de non recevoir se rattache à une action qui n'est pas encore formée, ou qui, si elle est déjà formée, ne l'est encore que devant le tribunal auquel la fin de non recevoir est proposée, ce tribunal est compétent pour en connaître, par la raison toute simple que la fin de non recevoir qui est alors opposée n'est qu'une exception à la demande principale ; et que tout juge à qui appartient la connaissance d'une demande principale a essentiellement le droit de connaître de l'exception opposée à cette demande, sinon à l'effet de l'instruire et de la juger, du moins à l'effet d'en

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précier la pertinence et l'admissibilité préliminaire. De tout ceci M. le procureur-général a tiré la conséquence que la Cour de Nanci avait pu examiner la question de savoir si Billecart avait couvert par son fait la prétendue nullité qu'il opposait à son premier mariage. Ainsi, conclusions au rejet. (1)

Du 8 août 1811, ARRÊT de la Cour de cassation, section criminelle, M. Bailly rapporteur, par lequel:

« LA COUR, Sur les conclusions de M. Merlin, procurour-général, et après en avoir délibéré en la chambre du conseil; Attendu que les nullités proposées par Maximilien-Joseph-Victor Billecart, contre son premier mariage avec Marie Pinet, étaient couvertes, d'après les termes tant de la loi du 20 septembre 1792 que du Code civil, et qu'en rejetant en conséquence l'exception prise de ces prétendues nullités, et en mettant par suite ledit Billecart en accusation, comme prévenu de bigamie, devant la Cour d'assises du département de la Meurthe, la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Nanci n'a contrevenu à aucune loi ; REJETTE, etc. »>

COUR D'APPEL DE PARIS.

Les percepteurs des contributions sont-ils assimilés aur commerçans, et les tribunaux de commerce peuvent-ils les constituer en état de faillite? (Rés. nég.) Cod. de comm., art. 457, 449, 657 et 638.

RAVENEAU-CHAUMON, C. GOIX.

Le tribunal de commerce d'Auxerre, instruit par la notoriété publique que le sieur Raveneau-Chaumon, percepteur des contributions dans le département de l'Yonne, avait, depuis quelques temps, mis dans la circulation une grande quantité de billets à ordre et autres effets de cette nature, sans les avoir payés à l'échéance, se crut autorisé par les art. 437 ̊et

(1) Voy. les conclusions très-développées de M. Merlin sur la question, au Répertoire, v" Bigamie.

449 du Code de commerce à déclarer sa faillite ouverte, મે tommer un commissaire à cette faillite, et à ordonner le dépôt du débiteur dans sa maison, sous la surveillance d'ua huissier.

Le jugement rendu, à cet égard, le 11 juin 1811, est ainsi motivé ; « Considérant qu'aux termes des art. 637 et 638 du Code de commerce, les tribunaux consulaires doivent connaître de toutes les actions intentées contre les receveurs et percepteurs des deniers publics, pour raison des billets par eux faits à l'occasion de leur gestion, et que tous les effets par eux souscrits sont censés faits pour leur gestion, lorsqu'une autre cause ne s'y trouve pas énoncée; qu'il a existé et qu'il existe pendantes au tribunal nombre d'actions intentées coutre ledit Raveneau, pour raison de billets par lui souscrits ou qu'il a endossés, et pour des sommes considérables, lesquelles actions doivent entraîner la contrainte par corps ; que la cumulation de tous ces effets, et pour des sommes importantes, suppose nécessairement, de la part dudit Raveneau, des opérations de banque, courtage et autres, qui, par leur nature, sont de la compétence des tribunaux de commerce. »

Le sieur Raveneau a interjeté appel de ce jugement, et a soutenu qu'il renfermait une fausse application des divers articles du Code de commerce, dont les dispositions ne parlaient que des négocians et des marchands; qu'aucune loi ne plaçait les percepteurs des contributions dans cette catégorie ; que par conséquent les premiers juges, en le,déclarant failli, avaient commis une usurpation de pouvoir évidente:

Le sieur Goix, nommé commissaire à la faillite, a pris la défensive sur l'appel, et reproduit contre le système de Raveneau les moyens adoptés par le jugement.

Du 25 juillet 1811, ARRÊT de la Cour d'appel de Paris, deuxième chambre, par leque!:

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« LA COUR, Sur les conclusions conformes de M. Joubert, avocat - général, Attendu qu'en fait, il n'est pas justifié que Raveneau-Chaumon se soit livré à des actes habituels de commerce; que les percepteurs de contributions ne

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