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que la conscience inquiète, il les remplaçait vite. Il n'était pas cruel, mais il frappa sans pitié tous ceux dont il suspectait la fidélité. Fort laborieux, - aucun des commis de l'empire n'était plus exact à son bureau, - son application tatillonne arrêtait l'expédition des affaires en 1802, 2000 rapports entassés sur son bureau attendaient une décision; l'archiduc Jean accusait les ministres de l'accabler sous le poids de minuties absurdes pour détourner son attention des questions sérieuses. François avait l'ouverture d'esprit et l'initiative d'un petit employé de province. Il avait réduit en système sa paresse d'esprit. Jaloux de toute supériorité, se défiant de ses serviteurs et de ses employés, troublé par tout projet d'innovation, il n'avait de fermeté que dans la routine. Sa politique se résumait dans l'immobilité : quieta non movere.

L'armée et l'administration. Après la paix de Lunéville, on avait beaucoup parlé de changements nécessaires. Tout se borna à des projets, mal conçus, sans cesse remaniés, qui n'avaient pour but que de tromper l'opinion publique et n'eurent pour résultat que d'augmenter la confusion. Le commandement supérieur de l'armée avait été donné à l'archiduc Charles; ses talents de général ont été très surfaits et, pour paraître grand, il a besoin d'être comparé aux chefs plus que médiocres qui l'entouraient. Ses facultés d'administrateur n'étaient pas de portée plus haute. Il était mal entouré, ne savait pas choisir ses collaborateurs, Fassbender, vaniteux et intrigant, Duka, à qui l'on attribuait quelques-unes des fautes les plus graves des dernières campagnes. L'archiduc était d'ailleurs de pauvre santé, de caractère hésitant et timide, gêné par la détresse du Trésor, par la jalousie de François, que vexait la gloire de son frère. L'on prit quelques bonnes mesures : le Conseil de guerre fut réorganisé et ses membres placés sous la dépendance du ministre de la guerre; mais en 1812, le Conseil aulique reprit toute son autorité et le ministère de la guerre fut supprimé. En 1802, la durée du service militaire, qui était illimitée, fut réduite à dix ans pour l'infanterie, douze pour la cavalerie et quatorze pour l'artillerie. Après le traité de Presbourg, l'archiduc Charles s'efforça d'améliorer la situation des officiers et de relever leur

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instruction, supprima les peines corporelles dans l'armée, organisa une milice territoriale (12 mai 1808). Mais les exemptions furent maintenues et l'armée continua à se recruter presque exclusivement dans les classes inférieures de la nation. La solde était irrégulièrement payée, les invalides mendiaient dans les rues. Quand on voulut récompenser la diète de Bohème qui avait voté un million et demi de florins pour l'entretien de la landwehr, on permit aux membres des États de porter un uniforme rouge.

Dans les autres branches de l'administration, l'incohérence et l'incurie s'étalent. Toute l'initiative des ministres s'épuise à tirer des vieux cartons de Marie-Thérèse et de Joseph II des projets que l'on applique timidement et que l'on abandonne bientôt. Les divers royaumes qui avaient demandé à la famille des Habsbourg une protection chèrement achetée n'avaient pas encore de dénomination commune; le 6 août 1806, François II prit le nom de François Ier, empereur héréditaire d'Autriche. Il donnait ainsi une forme sensible à l'œuvre d'unification lentement poursuivie par ses prédécesseurs. Stadion espérait que ce serait le point de départ d'un droit d'État nouveau, commun à toutes les provinces héréditaires ». François n'avait pas des vues si hautes; il n'avait prétendu que « maintenir l'égalité parfaite du titre impérial et de la dignité héréditaire vis-à-vis des souverains et des puissances les plus illustres de l'Europe, ainsi qu'il convenait à l'antique éclat de notre maison ». Pour désarmer les susceptibilités qu'aurait pu çà et là éveiller ce changement, il s'était hàté de déclarer que rien ne serait changé dans l'ancien ordre de choses, que « les royaumes, les principautés, les provinces conserveraient leurs titres, leurs constitutions et leurs privilèges ».

Il avait pourtant les mains libres. Les résistances qu'avaient soulevées les réformes de Joseph II et qui s'étaient traduites avec quelque vivacité à l'avènement de Léopold II, s'étaient vite apaisées. La noblesse, qui était presque seule représentée dans les diètes, ne s'était émue des empiétements du pouvoir central que parce qu'elle était menacée dans ses privilèges; il suffit pour la désarmer de la rassurer sur ses intérêts. Suivant l'expression de Springer, Léopold avait sauvé la forme en aban

donnant le fond; les États cessèrent de chicaner sur les droits de l'autorité, dès qu'elle ne s'exerça plus en faveur des paysans. Ils étaient fort effrayés des principes révolutionnaires et leur unique préoccupatien était de ne pas déchaîner des passions qui se seraient retournées contre eux. Le seul droit réel qu'ils eussent conservé, celui de voter les impôts, se transformait en une pure formalité non seulement la contribution militaire, qui était l'impôt principal, échappait à leur contrôle puisqu'elle était permanente, mais le gouvernement ne les consultait pas pour modifier le système financier et lever des contributions extraordinaires. Quelquefois ils protestaient timidement on s'excusait sur la gravité des circonstances, et ils n'insistaient pas. Les comités des diètes, chargés de l'administration des « fonds domestiques », étaient soumis à un contrôle rigoureux; les fonctions administratives qu'avaient conservées les États étaient toujours plus limitées. Ils n'étaient plus en réalité qu'une commission gouvernementale, dont les droits se bornaient à « prendre connaissance » des décisions des ministres et dont le devoir était, comme le disait le comte Wallis à la diète de Bohême, « de prévenir même les plus légers désirs du souverain >>> (1805). Dans les villes, les dernières traces d'autonomie avaient disparu, les magistrats élus étaient remplacés par des employés (1803 et 1808), l'administration communale soumise à une étroite surveillance.

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On eut alors le singulier spectacle d'un pouvoir absolu impuissant non seulement à s'exercer, mais même à s'organiser. En 1801, le ministère d'État et de la Conférence avait remplacé l'ancien Conseil d'État. Il comprenait le chancelier, le ministre de la guerre et le ministre-directeur au-dessous, une série de directions générales, justice, chancelleries réunies, intérieur, chambre aulique (finances), députation de la Banque (commerce). On voulait, disait l'empereur, créer un système politique qui, comme une horloge bien réglée, continue à marcher une fois qu'il aura été mis en mouvement ». Les résultats furent si médiocres qu'en 1808 on revint au Conseil d'État; puis en 1814 on ajouta au Conseil d'État un Conseil de conférence. Ces variations incessantes trahissaient la plus extraordinaire

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confusion de vues fallait-il réunir ou séparer la justice et l'administration, les finances et l'expédition des affaires courantes? Devait-on revenir à l'ancien système qui réunissait entre les mains d'un même ministre toutes les questions qui intéressaient un groupe de provinces, ou établir un certain nombre de ministères dont les attributions seraient nettement définies et dont la compétence s'étendrait sur tout l'empire? Sur aucune de ces questions, l'accord ne se faisait. On nommait des commissions d'étude dont les propositions obscures et timidement appliquées augmentaient le désarroi. Personne ne savait au juste ce qu'il devait faire; les conflits des diverses administrations étaient perpétuels; « l'organisation politique n'avait de force que pour paralyser tout mouvement et toute activité ».

Les quelques réformes qui furent accomplies ne sont que le tardif aboutissement des efforts des souverains précédents; le code pénal fut publié en 1803 et le code civil en 1811; tous deux étaient presque terminés avant l'avènement de François II et les changements qui y avaient été introduits étaient loin d'être heureux. Le code pénal conservait le carcan, le jeûne, la procédure secrète, refusait un avocat à l'accusé; le code civil maintenait une législation spéciale pour les grands propriétaires, le clergé. Les tribunaux patrimoniaux subsistaient : cependant les seigneurs n'étaient pas autorisés à se faire justice eux-mêmes et, s'il survenait quelque contestation entre eux et leurs serfs, la décision appartenait aux tribunaux publics. Là se borna à peu près l'action du gouvernement en faveur des serfs. Il s'était d'abord désintéressé du rachat des droits féodaux (1798); en 1812, il fit un pas de plus, interdit les contrats d'affranchissement; naturellement, la situation des serfs des domaines ne fut pas améliorée. L'empereur se piquait cependant de favoriser l'agriculture. On construisit quelques routes: ce qu'elles valaient, il est facile de le deviner quand on voit un chargé d'affaires, dans les conditions les plus favorables, mettre huit jours et huit nuits pour aller de Vienne à Cracovie. L'ignorance des administrateurs, les péages et le régime prohibitif arrêtaient tout développement du commerce et de l'industrie. Les guerres continuelles, le Blocus continental et par-dessus tout l'extravagante

politique financière du gouvernement achevèrent de ruiner le

pays.

On ne subvenait aux dépenses que par des expédients. Dès 1804, les plaintes étaient universelles pas de numéraire, un papier-monnaie discrédité, une complète stagnation des affaires; les usuriers seuls s'enrichissaient. « Cela fait beaucoup crier, écrivait Colloredo, cela donne du mécontentement, mais cela ne change rien. » La population, si gaie par instinct, s'assombrissait; les mariages devenaient plus rares, la mortalité augmentait; Vienne tombait de 250 à 235 000 habitants. Le mal s'accrut les années suivantes. En 1809, on força les sujets à apporter au Trésor leur vaisselle d'argent et leurs bijoux on leur livra en échange du papier-monnaie. En 1811, la dette dépassait 1500 millions de francs; on avait émis pour 2 milliards 500 millons de billets de banque, et ils perdaient plus de 90 p. 100. Les employés, qui ne recevaient en payement que des billets dépréciés, mouraient de faim. Un agiotage effréné ruinait le commerce honnête, corrompait les mœurs et ébranlait les fortunes les mieux assises. Le comte Wallis, outrecuidant et léger, réduisit les billets au cinquième de leur valeur nominale (patente du 20 février 1811); celte banqueroute causa des ruines innombrables, sans même relever le crédit public. Le ministre se consola par des mots ceux qui sont tombés dans la bataille, disaient ses amis, c'est-à-dire ont été réduits à la mendicité, sont morts. d'une mort glorieuse pour la patrie. Tout esprit de prévoyance et d'épargne disparut. Vienne commence à devenir le centre d'une tourbe financière, àpre au gain et au plaisir, qui ne voit dans les malheurs publics qu'un prétexte à spéculations et dont les scandaleuses fortunes démoralisent la foule et préparent le succès des utopies les plus dangereuses.

Le mouvement des esprits; la musique. - La patience des sujets ne se lasserait-elle pas à la longue? La plupart, gagnés par la torpeur de la cour, s'arrangeaient vaille que vaille de ce régime qui déguisait sous un patriarcalisme bonhomme son inertie et ses rigueurs. La police était chargée de contenir les autres. Elle était devenue le premier pouvoir de l'empire, tracassière, ombrageuse, redoutable même aux ministres et aux

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