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vos fidèles paysans, si vous voulez savoir ce que l'avenir vous réserve, regardez avec attention du côté de Paris. » Les affiliés paraissent avoir été assez nombreux, car, depuis le mois d'août 1794 jusqu'en février 1795, ce fut en Hongrie comme une fièvre d'arrestations. Plusieurs des proscrits y échappèrent par le suicide. Environ cinquante accusés de haute trahison se trouvèrent sous les verrous, et parmi eux un deuxième poète, Verseghy, pour avoir traduit la Marseillaise. Un troisième et un quatrième étaient Kazinczy, réservé à une longue carrière littéraire, et Szentjobi, jeune auteur dramatique qui allait bientôt mourir. En quoi, haute trahison? C'est ce qu'on n'a jamais bien su dire. La réaction cherchait une occasion de terroriser. Le procès fut conduit avec une partialité odieuse. Les cinq chefs et neuf autres accusés, dont les quatre poètes, s'entendirent condamner à mort. Sept victimes montèrent sur l'échafaud. Les sept autres furent graciés, et, avec un bon nombre de prévenus moins marquants, allèrent peupler les prisons d'État. Dès lors personne ne remua, et d'ailleurs des passions sincères dirigeaient les Magyars d'un tout autre côté.

La Hongrie et les deux premières coalitions (17921796). C'est surtout depuis lors, depuis 1796, que la nation. se montra décidée et ardente dans la lutte pour l'ancien régime. Jusque-là Ott et Giulay, Kray et Alvinczy (Alvinsi), avec leurs soldats et compatriotes, n'avaient joué qu'un rôle ordinaire. Dans l'épuisement croissant des pays héréditaires, ils arrivent au premier rang, et François II comprend la nécessité de réunir une Diète, qui d'ailleurs, pense-t-il, ne lui refusera rien. Et en effet, assemblée et riches particuliers rivalisent de sacrifices. La vie parlementaire, en 1796, se bornait à cela. Deux députés, ayant parlé des droits de la nation, se virent expulser. De 1797 à 1799, la poésie fut toute belliqueuse, excepté dans la prison où le jacobin » Bacsányi, resté fidèle à ses sympathies françaises et à sa haine contre la coalition, s'écrie encore, lorsqu'un petit oiseau babille sur les barreaux de sa fenêtre : « C'est toi qu'il chante, ô liberté!» Tout autre est l'inspiration de Csokonai, jeune soldat de l'« insurrection », c'est-à-dire de la cavalerie noble qui se lève pour barrer le chemin à l'invasion de Bona

parte. Destiné lui-même à mourir très jeune, il salue la mort prématurée du général Hoche, qui « surpasse à lui seul tous les héros antiques, en tout sauf par le nombre des années». Mais ce chant est une exception dans son œuvre. Sa lyre appelle aux armes ses compatriotes. En effet, après le combat de Tarvis, où les hussards du colonel Fedak périrent en sauvant l'archiduc Charles, les préliminaires de Leoben n'arrêtaient point l'élan militaire en Hongrie. Un poète de dix-sept ans, Berzsényi, croyait voir revivre Léonidas, mieux encore Arpad et Jean Hunyade. Mais la paix de Campo-Formio amena le licenciement de la noblesse.

Son zèle n'eut pas le temps de se refroidir. Elle affronta résolument la seconde guerre, bien que la première eût coûté au seul royaume de Hongrie 100 000 hommes et 30 millions de florins. Les hussards jouèrent un triste rôle dans la tragédie qui termina le congrès de Rastatt, mais généraux et soldats magyars jouèrent un rôle glorieux dans la campagne de 1799. Csokonai célébra leurs victoires et salua le règne prochain de Louis XVIII, digne héritier de Henri IV, dans un petit poème intitulé la Victoire de la justice. Voilà où en était la Hongrie à la veille du 18 brumaire!

II.

La Hongrie de 1800 à 1814.

Période de refroidissement les diètes de 1802 et 1805. Pendant la campagne de Marengo et de Hohenlinden, les Magyars mirent encore tout leur élan militaire au service de l'Autriche; et l'année suivante les levées, ardemment continuées, de la noblesse soutinrent cette puissance dans ses négociations. La paix une fois conclue, on mesura les affreuses misères que la guerre avait faites. Les champs mal cultivés par les vieux parents ou les enfants trop faibles avaient donné de maigres récoltes, et la famine s'ensuivait, notamment en 1800-1801. Les vins se vendaient mal. Quant à la crise monétaire, le comitat de Csongrád la décrivait ainsi : « L'exportation

du numéraire pour le paiement des armées et l'émission des billets de banque nous rendent la vie impossible. Personne n'a de confiance dans ces valeurs fictives. Les riches perdent leur fortune; les pauvres meurent de faim parce que, même payés de leur travail, ils ne trouvent pas à changer leur papier. » Le remède à tant de maux, ce sera l'assemblée nationale! Le roi l'a convoquée en effet le 2 mai 1802 en vue du bien public, disait-il; en réalité pour lui faire abdiquer au profit du gouvernement autrichien son droit de voter les levées de troupes. Les députés refusèrent d'abandonner ce principe constitutionnel, mais, sur les instances de la chambre haute, de plus en plus absolutiste, votèrent pour un temps un notable accroissement de l'armée. Cela obtenu, le roi goûtait peu les discussions sur les réformes économiques, excepté un projet de banque nationale qui, par contre, effaroucha les préjugés rétrogrades de la noblesse. Finalement on se sépara sans avoir rien fait d'utile.

Par contre, dans les années qui suivirent, l'initiative individuelle ou collective réalisa quelque progrès. Les comitats entreprirent de dessécher et de canaliser la plaine. Les grands seigneurs intelligents, les Festetics, les Eszterhazy, les Széchenyi, fondent des écoles d'agriculture, un musée national, un théâtre magyar. Aussi la guerre de 1805 trouva-t-elle la nation froidement disposée, et la Diète convoquée à la fin d'août pour le milieu d'octobre s'annonça-t-elle assez mal. Un désastre vint à point pour relever l'enthousiasme d'une nation que toute son histoire montre surtout grande dans la défaite. Les nouvelles d'Ulm inspirent Berzsényi, qui dit à son peuple : <«< Va, montre encore l'âme de Zrinyi, imite-le dans ce qui fut sa vraie gloire, dans la mort. » L'assemblée pensa en effet qu'elle ne pouvait refuser les sacrifices demandés, mais ce n'était pas l'entrain de 1796, et le nationalisme s'affirmait par une loi sur l'emploi et l'enseignement de la langue magyare.

Avant comme après Austerlitz, et bien que les régiments de Hongrie se fussent distingués à Caldiero, la région voisine de Pozsony (Presbourg) fut comme neutralisée. Le général Palffy, le maréchal Davout et même l'archiduc palatin Joseph tombaient d'accord pour faire respecter le sol et ses habitants. De

ces derniers, Napoléon espérait mieux encore : il ordonnait à Fouché de dicter aux journaux français, très lus par les Hongrois, disait-il, des articles pour leur montrer qu'ils étaient dupes de l'Autriche et de l'Angleterre. La paix interrompit tous ces projets, que nous verrons bientôt reparaître. Elle créait à la Hongrie une grande situation par ce seul fait que l'empereur d'Autriche, exclu de l'Allemagne, avait désormais pour principale couronne celle de saint Étienne.

L'opposition dans la diète de 1807. Surtout pour la réorganisation militaire entreprise par l'archiduc Charles, on avait besoin de ce pays, de sa constitution, des votes de son assemblée. On envoya les lettres de convocation le 8 février 1807, le jour même de la bataille d'Eylau, et l'on nourrissait des projets menaçants pour Napoléon et la Grande Armée alors en Pologne. Ce que l'on demandait, « vu la nécessité de méditer la guerre en temps de paix », c'est qu'il y eût des levées régulières fixées une fois pour toutes, et qu'on levât un impôt extraordinaire sur le pays épuisé. Un jeune et grand orateur, Paul Nagy, dirigea la chambre basse, habituellement en conflit avec celle des magnals, imbue de l'esprit aulique. Quant aux sacrifices d'argent, les députés nobles n'épargnèrent ni leurs concitoyens ni eux-mêmes ils accordèrent un sixième de tous les revenus sans privilège, et un centième de la valeur de tous les biens mobiliers. Mais ils refusèrent obstinément de laisser aux mains de l'Autriche le recrutement des soldats et la levée de l'« insurrection ». Paul Nagy flétrit d'ailleurs tout projet de guerre. Sa généreuse parole s'éleva aussi en faveur des pauvres contribuables. Le gouvernement, qui obtenait d'ailleurs le chiffre d'hommes dont il avait besoin pour le moment, n'était qu'à moitié satisfait il le témoigna en se refusant à toute amélioration de la crise monétaire. Ce qui fait des progrès, dans les lois comme dans les mœurs, c'est la langue magyare en 1807 commence une nouvelle période de l'histoire littéraire, celle où dominent les frères Kisfaludy, les meilleurs poètes, l'un lyrique, l'autre dramatique, que la Hongrie eût jamais produits jusque-là. Le soulèvement national contre Napoléon (18081809). Brusquement les nouvelles d'Espagne transformèrent

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leurs anneaux de mariage; à la fin de la guerre, on regardait comme une honte d'avoir encore de l'argenterie. Les Universités, les classes supérieures des gymnases étaient désertées. Le professeur Steffens, à Breslau, convoquait ses étudiants autour de sa chaire et, hors de lui, les yeux pleins de larmes, versait dans ces jeunes cœurs la fièvre du devoir et de l'héroïsme. A Berlin, Fichte, qui mourut victime de son dévouement aux blessés, rappelait à ses auditeurs qu'une seule chose est sûre, la vie éternelle, et qu'on la mérite par la mort et qu'on la perd par une vie de servitude. Schleiermacher bénissait les soldats qui allaient combattre pour le royaume de Dieu, pour que « les droits éternels de l'homme fussent reconnus dans tous les hommes, même les plus humbles ». Les rues retentissaient de chansons guerrières, les unes ordurières et brutales, d'autres admirables de poésie. Les romantiques sortaient de leur tour d'ivoire pour conduire le chœur populaire. Tous ne se dégageaient pas de leurs préoccupations littéraires; dans les vers de Fouqué, de Collin, de Stægemann, de Schenkendorf, même dans les célèbres Sonnets cuirassés de Rückert, l'émotion est trop souvent voilée par les souvenirs du passé, la recherche de la forme, la manie de l'abstration ou la recherche des images éclatantes. Maurice Arndt, qui un des premiers avait commencé la lutte contre Napoléon tout-puissant, est, non pas plus sincère, mais plus rapproché du peuple, et son ode si connue : « Dieu qui a créé le fer, n'a pas voulu d'esclave », est d'un grand élan dans sa simplicité. Le plus souvent, sa sobriété devient de la sécheresse, et il tombe dans la platitude. Sa chanson fameuse « Où est la patrie de l'Allemand? » est une bien pauvre Marseillaise, monotone et froide. Dans la cohorte de ces Tyrtées, un seul fut un grand poète, Koerner, en qui parut revivre Schiller et qui, avant de mourir dans les rangs des chasseurs de Lützow, donna à sa patrie les admirables Chants de la Lyre et de l'Épée. De ces vers, médiocres ou sublimes, comme de l'attitude entière du peuple, une chose du moins ressortait : c'était la résolution de vaincre ou de mourir. On demandait une vraie guerre, on était décidé à ne pas s'arrêter tant qu'on n'aura pas affranchi la patrie tout entière. Toutes

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